Départ

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Le souffle de Lylith se coupa, elle ne s'attendait pas à partir aussi tôt. 


-Demain? Répéta t'elle. Mais je ne suis pas prête...j'ai été recrutée afin de garder la frontière nord, à côté de Priexa...


Pour dire la vérité, Ashford aurait profité de ce prétexte pour revenir à sa terre natale. Elle n'était pas revenue depuis la mort de sa mère et son chez-soit lui manquait. L'air marin et la brise océanique dans ses cheveux qu'elle avait échangés contre l'odeur de sueur, des chevaux et du charbon avait créé un vide en elle. Sa petite maison au toit de chaume, le rire sonore des pêcheurs, le sourire des femmes coupant le poisson de leur mari, l'Océan Bleu rugissant dans ses oreilles, les grandes prairies vertes s'étendant à perte de vue et les chevaux en liberté galopant dans les prés, ce tout avait fait de Lylith ce qu'elle était désormais. Une jeune fille sauvage, libre et autonome. Et désormais elle se sentait incomplète. 


-Vous serez bientôt de retour chez vous Lylith Ashford, rassura le Sorcier interrompant les pensées de la jeune femme. Je vous le promets. Votre famille sera surprise de vous voir rentrer aussi tôt. 



La jeune soldate haussa un sourcil. Il n'était pas télépathe. Sinon il aurait pu lire dans son esprit qu'il ne lui restait aucune famille. A moins qu'il ne fasse semblant et qu'il passe sous silence son don.


-Merci Sir, remercia t'elle. Je serai prête à l'Aube et vous rejoindrai ici même. 



Et alors qu'elle s'apprêtait à partir, il lui posa précipitamment une question:


-Possédez vous une forme d'Art quelconque?

La jeune femme se retourna, et se rappela. 
Elle se souvenait du jour où les Détecteurs étaient venus au village pour emmener les très rares jeunes possédant une forme d'Art, cette magie mystique, permettant de rejoindre la Cité des Ensorceleurs, Balkan.

Cet Art pouvait se présenter sous différentes formes. Pour la plupart, ce don se manifestait en l'une de plusieurs catégories. Les plus communes étaient les Brûleurs, des Ensorceleurs capables de manier le feu, les hommes aux yeux oranges, les Télékinésistes, faisant bouger les objets par leur pensée, aux prunelles violettes, et aussi les Métamorphes, se transformant en ce qu'ils souhaitaient, à un œil bleu et l'autre vert. Il y avait aussi les Réparateurs, des personnes pouvant améliorer et réparer les objets brisés, et aux yeux gris. Certains rares Réparateurs pouvaient interagir avec les émotions des autres, comme atténuer leurs douleurs morales, mais n'étaient pas aussi efficaces que les Modificateurs. Ces derniers avaient la faculté de modifier les sentiments des personnes pendant un assez long instant, ainsi qu'atténuer douleur et souffrance intérieures grâce à leurs prunelles vertes. Seulement, ils ressentaient ce qu'ils retiraient aux autres et pouvaient jusqu'à perdre la vie lors des plus grosses modifications. Il y avait ensuite, les Boucliers, personnes incapable de ressentir la douleur physique, et insensibles à l'Art des autres, sans couleur d'iris particulière. Dans une époque lointaine, ils étaient employés dans l'armée, aux premières lignes, presque réduits à l'esclavage. Désormais ils sont considérés comme des Ensorceleurs à part entière. Dans les catégories les plus rares, on trouvait les Murmureurs capables d'interagir avec les pensées de leur cible en la fixant de leurs yeux dorés. Cet Art pouvait être très dangereux. En effet, bien maîtrisé il permettait à son utilisateur de lire dans les pensées de la victime et de les modifier. Cela atteignait jusqu'à un contrôle total sur le comportement psychique et physique de la personne. Mais seuls des Ensorceleurs de très haut niveau pouvaient prétendre à contrôler une personne avec leur Art. Par exemple, on disait que Lord Orpheus était un Murmureur qui s'était teint les yeux en noirs, une pratique courante dans le pays. Ensuite, il y avait les Naturels, aux yeux roses. Ces personnes possédaient un Art leur permettant de communiquer avec la faune et la flore. Mais aussi d'invoquer et de contrôler des plantes. Ce don est extrêmement rare car les personnes le contrôlant étaient souvent fragiles et discrètes, et ne survivaient guère longtemps dans ce monde sauvage. 
Pour continuer dans la rareté, il y avait les Invisibles, pouvant devenir, comme leur nom l'indique, invisible et se glisser n'importe où, leurs yeux étaient d'un bleu très clair, presque blanc. Pour terminer, il y avait les plus rares de tous, comme le dit la légende, un Faiseur d'Ombre, ou Sorcier d'Ombre, capable d'invoquer les pouvoirs ancestraux. On dit que d'un simple claquement de doigt, ils pouvaient éteindre toute source de lumière et glacer les coeurs. De leur Art, ils façonnaient des objets à leur guise, et pouvaient infliger une torture mentale à leurs victimes en s'immisçant dans leurs souvenirs et leur esprit. On raconte que leurs yeux étaient au commun d'un noir profond, mais lorsqu'ils usaient de leur Art, leurs iris devenaient rouge sang. Ils étaient doté d'une vie étonnement longue mais plus ils usaient de leur Art, plus leur âme devenait noire, sans lumière et personne ne pouvait les faire revenir à leur état naturel. La deuxième légende était un Faiseur de Lumière, un être pur et bienveillant, capable de créer la vie et de manipuler la lumière du soleil et de la lune avec grâce et bonté. Ses yeux d'un blanc pur brillaient avec dignité et honneur. Une phrase résonnait dans le coeur des habitants, dicton promettant des temps meilleurs a l'arrivé d'un Sorcier Blanc. Quand la Lumière sera maîtresse de l'Ombre, elle ravivera la flamme des anciens temps, vaincra l'Horreur profondément enracinée, et restaurera la gloire de l'ancien temps. Cette citation retrouvée sur une pierre gravée, donnait espoir à tous les habitants du pays de Benzale de voir les Abominations définitivement anéanties (bien que la plupart ne souhaitent pas croire en ces fables).

Jamais Lylith n'avait ressenti de sensation étrangère à ce qu'elle avait toujours senti en elle. Ni sensation de liberté ou de chaleur dans ses mains, ni même un changement de couleur d'iris qui s'opérait généralement tôt, vers la dixième année. Mais la jeune soldate avait toujours refusé de se faire tester, car elle savait au fond d'elle qu'elle n'était qu'ordinaire. C'est pour cela qu'elle répondit au noble sur un ton froid:

-Non Sir. Jamais je n'ai ressenti quoique ce soit. J'aimerai m'en aller désormais si vous me le permettez.

Orpheus la regarda de ses yeux noirs, comme si il attendait quelque chose. Mais finalement, il prit une légère inspiration et soupira:


-Très bien, vous pouvez disposer. Je vous retrouve demain sans faute devant ma tente. Nous partirons pour Balkan directement. Prenez le strict nécessaire, le voyage sera long et dangereux.

Et il baissa la tête, ses yeux fixés sur une carte épinglée sur une table en bois, évitant de croiser les yeux sombres de la jeune femme. Cette dernière finit par claquer les lourds pans de la tente derrière elle et sortit dans le froid et la boue du soir.
Dehors la pluie tombait à dru, les Gardes avaient mis leurs affaires à l'abri des torrents d'eau boueuse qui parcourait le camp, comme un serpent sans tête ni queue. Lylith s'amusait à esquiver les flaques avec agilité, perdue dans ses pensées. Elle allait enfin pouvoir voir de ses propres yeux la Cité des Enchanteurs, la Cité d'Émeraude. D'un autre côté, elle irait dans la pointe la plus au sud du pays de Benzale, le point le plus éloigné de Priexa et de ses habitants. Mais elle pourrait enfin visiter le monde et apprendre de nouvelles choses. Certes elle allait rencontrer des gens plus hauts placés qu'elle dans la société, mais au final, cela ne lui importait que peu. Lord Orpheus avait l'air de lui faire confiance pour une raison qu'elle ne comprenait pas encore. 

Perdue dans ses incessantes pensées, son pied gauche dérapa et Lylith tomba à la renverse. Son coccyx se fit douloureux et elle grimaça de dégout en sentant la boue tremper ses vêtements de cuir et de tissus. Endolorie et boueuse, la jeune femme rentra difficilement jusqu'à sa tente où elle put enfin avoir le plaisir de prendre une douche pour rincer ses cheveux et ses pauvres apparats. Elle savait pertinemment que la nuit serait longue et qu'elle ne fermerait pas l'oeil jusqu'à l'aube. Pourtant, elle s'installa sur la paille qui lui servait de matelas et s'enroula du mieux qu'elle put dans une couverture faite main. De sombres pensées lui venaient en tête et d'anciennes légendes troublaient son esprit. La fin du monde, les Abominations lâchées dans le pays à cause d'un Faiseur d'Ombre dissimulé parmi eux, des yeux sombres, une cape noire et...
La lumière du jour commença à effleurer son visage et Lylith sauta hors de son lit, prenant son paquetage sous la main. Elle ferma sa tente silencieusement, cherchant à se faire la plus discrète possible. Qu'allait-on penser d'elle si on a voyait ainsi pressée, son paquetage sous la main? Lylith préférait ne pas y songer et se préparait à partir.

-Où tu vas comme ça? interpella une voix qui lui inspira immédiatement du dégout.
La jeune femme se retourna, les yeux brillants de colère. Elle avait parfaitement reconnu la voix du général, bien qu'il semblait beaucoup plus fatigué que la veille.

-Qu'est ce que tu veux? Fit-elle d'un ton aigre.

Il lui adressa un sourire mauvais.

-Voir la jalousie briller dans tes yeux et te rappeler que tu n'as aucun avenir, jubila t'il.

Aucune lueur de dite "jalousie" n'assombrit le regard de la jeune femme.

-Tu te trompes, Hector, rétorqua t-elle. Je pars maintenant pour une vie sûrement plus enrichissante que la tienne.

La jeune femme ne savait même pas comme elle avait pu deviner son prénom, et cela l'amusait. Il fronça les sourcils, mais garda ce même sourire mauvais.

-Je pars pour la Chasery dès maintenant, alors cela m'étonnerait fortement.

A cet instant précis, Lylith crut qu'il rigolait. Sauf que la jeune femme remarqua les bagages du général et sut qu'il disait la vérité. Elle ne dit rien, bouillant intérieurement. Hector prit son silence comme un signe de victoire. Moqueur, il se détourna de la jeune femme en riant.

-Bonne continuation dans ton...enrichissante vie, claironna t'il. Je m'en vais pour la gloire! Pour ma gloire !

Et il disparut dans le brouillard épais du matin.

Verte de rage, Lylith finit de fermer avec violence sa tente et partit d'un grand pas vers son nouveau destin. Voyager avec cet imbecile ne serait pas tâche aisée, pensait-elle. Mais elle souhaitait voir le regard dérouté du général quand elle se joindrait au groupe pour aller à Balkan. En retard, elle pressa le pas, retrouvant ses repères pour revenir à la tente du Lord.
Quelques instants plus tard, alors que la soldate errait dans le brouillard, elle entendit des voix lointaines.

-Quelqu'un vient Sir, prévint la voix d'Hector, visiblement inquiet.
Souriante, la jeune femme sortit du brouillard, ce dernier formant de gracieuses volutes autour d'elle. Le général lui adressa un regard mauvais.

-Tu me suis maintenant ? Lui lança t'il. Trop jalouse pour accepter que tu n'as pas d'avenir à ce que je vois.

Le Sorcier se trouvait là aussi, grand et menaçant dans sa cape noire. A la remarque du soldat, il étouffa un petit rire sous sa longue cape noire. Mais ce n'était pas des yeux méchamment moqueurs envers la soldate, mais bien adressés au général. Son regard rieur rencontra celui de Lylith qui, avec plaisir, susurra:

-Il se trouve que je suis aussi invitée à rejoindre la Chasery. Il semblerait que nos avenirs mêlés, Hector Blark.

A l'appel de son nom, Blark recula, effrayé et dérouté.

-Comment connais tu mon nom petite peste! Je...tu n'as aucun droit à me parler comme ça!

Sa grosse figure était devenue rouge pivoine, et derrière eux, Lord Orpheus avait encore les yeux rieurs. Prenant goût au jeu, Lylith commença à tourner autour du gros homme, un sourire aux lèvres.

-J'en ai tout les droits, quand on me traite comme une moins que rien alors que je ne souhaitais que servir mon Roi et ma Reine. Peut-on en dire autant pour vous? Le dernier d'une portée de dix enfants, le plus gâté et le mieux nourri. Même si cela a conduit à votre perte...

Les infos filaient dans sa tête à toute vitesse. Le gros homme semblait devenir de plus en plus petit et le sang battait aux oreilles de Lylith. L'autre leva son index boudiné vers le ciel, ses petits yeux noirs brillant de colère et de peur.

-Je t'interdis de parler de ma vie privée, bouillonna t'il.

Mais la jeune femme n'avait pas terminé.

-Votre mère, ayant tout dépensé pour vos bons soins, s'est retrouvée sans rien alors que vous n'aviez même pas la majorité. Vos neuf frères et sœurs ont saisi cette opportunité et vous ont chassé de votre maison, vous envoyant à l'armée. Vous êtes monté en grade par tricherie et supercherie. Puis, il y a deux mois, votre mère est morte faute de maladie et de famine. Et désormais vous culpabilisez derrière la boisson et les femmes, en sachant que c'est de votre faute si votre chère mère est morte. Le reste de la famille vous méprise et vous envoie des lettres de menace. Ne revenez pas ou mourrez. C'est ce qu'ils vous écrivent. C'est pour ça que vous rejoignez la Chasery, pour les fuir eux et vos problèmes de remboursement.

Tout ce long monologue, Lylith l'avait déroulé sans s'arrêter et prise d'un horrible mal de tête, elle vacilla, essoufflée. Le tricheur était blanc comme un linge, figé sur place. Le Sorcier semblait tout aussi obscurement choqué mais se reprit plus vite que le premier homme. Il posa un regard étrange sur la jeune femme avant de dire d'une voix forte:

-Ceci est dit. J'aimerai que nous partions maintenant. Nous avons suffisamment pris de retard avec vos disputes infantiles.

En plus d'avoir haussé le ton, le Premier Sorcier avait prononcé ces mots sèchement et violemment.
Lylith, reprenant son souffle, s'approcha d'un cheval blanc comme neige, qui semblait lui être destiné. Elle installa son paquetage dans les sacoches de la selle et monta à cheval, silencieuse et honteuse. La soldate ne savait rien de comment elle avait pu dire et deviner de telles choses. Tout lui avait semblé si facile et amusant mais le soit-disant général avait l'air tétanisé et le Lord ne lui adressait plus la parole. Après quelques instants, Hector retrouva sa mobilité et, certes tremblant, monta à cheval.

-En route, ordonna le noble sur un magnifique cheval noir.

Et les trois cavaliers partirent au trot vers le sud, abandonnant le camp boueux où commençaient à s'activer les soldats.

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