Révélation

10 minutes de lecture

La ville de Casteldroit était active et vivante. Alors même que Lylith et Hector venait de pénétrer dans le coeur de cette ville fortifiée qu'ils furent embarqués dans un flux de marchandises et de carrioles. Le marché du jour commençait à s'installer sous les premières lueurs du soleil. Les volets des maisons en pierre s'ouvraient comme des fleurs et les habitants commençaient à sortir, un panier tressé à la main. Les dames les plus riches étaient habillées en robe de soie, et voyageaient en petits groupes, critiquant chaque tissus, chapeau et robe que les marchand proposaient. « Non celui-ci est trop petit. Il possède trop de plumes. Le tissus de cette robe est grossier et conviendrait à une paysanne » piaillaient ces dames au nez du pauvre vendeur qui bafouillait quelques excuses. Lylith étouffa un rire moqueur et continua de se frayer lentement sa route parmi la masse de population, criant des « Pardon! Excusez moi! », toutes ces remarques qui lui valaient des regards méprisants. Elle entendit Blark rire dans son dos.

-Vous n'allez pas souvent en ville n'est-ce pas ? Demanda t'il, amusé.

La jeune femme se ferma.

-Je n'y allais jamais, répliqua t'elle d'un ton acerbe. J'avais mon petit village et tout ce qu'il fallait dedans.

-Bien, dans ce cas, fit-il. Je vais vous montrer comment on fait dans une ville comme Casteldroit.

Et il donna un coup de talon au cheval qui partit au trot rapide dans la foule. Les gens s'écartaient rapidement en injuriant les cavaliers.

Après avoir quitté le centre ville, ils firent passer le cheval noir au pas. Lylith se tourna vers Hector.

-C'est comme ça que l'on se fait sa place dans les grandes villes ? Rit-elle. En marchant sur les autres ?

-C'est comme ça de partout Lylith, renchérit-il. Et ça sera pire à Balkan ! Et ne parlons même pas de Benzale.

Le regard de Lylith perdit sa lumière. La jeune femme se tourna et dirigea son cheval vers une rue étroite et humide.

-Que se passe t'il? S'enquit l'homme.

-Orpheus devrait être là avec nous, murmura la soldate. Il aurait dû nous accompagner à la Cité des Enchanteurs.

Hector ne répondit rien et Lylith apprécia ce silence. Perdu, ses yeux noirs se posèrent sur une insigne en forme de main tortueuse d'une auberge. Sur cette plaque en métal était inscrit le nom de ce refuge:

L'Auberge Qui Vous Ensorcelle.

A la vue de ce nom familier, Lylith arrêta le cheval et souffla à son camarde:

-Orpheus m'a dit d'aller dans cette auberge et de chercher un certain John Nebular, rappela t'elle à son coéquipier. On pourrait s'y arrêter pour la nuit je pense.

Elle sentit Hector hocher de la tête et descendit de cheval. Son compagnon fit de même.

-Ca à l'air fermé, observa t'il.

En effet, l'auberge avait l'air d'être déserte et éteinte. Mais la jeune femme sentait du mouvement derrière les murs.

-Ce n'est pas fermé, contredit-elle avant de frapper à la porte en bois.

Blark la regarda, surpris de cette affirmation sans explication, mais la laissa faire.

La lourde porte s'ouvrit et un homme brun aux yeux fatigués les dévisagea. Lylith prit la parole:

-Nous cherchons John Nubelar.

Après un court moment d'hésitation, l'autre homme lâcha:

-Il est pas là.

Et ferma la porte.

-Nous venons de la part de Patte Noire ! Cria dans un dernier espoir la soldate.

Quelques secondes passèrent mais finalement, les gonds grincèrent et les deux voyageurs s'engouffrèrent dans la pièce sombre.

Lylith laissa ses yeux s'accoutumer à l'obscurité de l'auberge.

La pièce était grande mais seules deux bougies émettaient de la lumière. On pouvait distinguer deux hommes, affalés sur le bar, sûrement endormis par l'alcool. Les cinq tables semblaient poussiéreuses et des rats couraient sur le sol, griffant les lattes en bois de leurs petites griffes.

La voix de l'homme qui leur avait ouvert la porte parvint à Lylith et Hector.

-Par ici, murmura t'elle.

La jeune femme suivit ce son, évitant les rongeurs. Elle retrouva l'homme, tenant une trappe d'où partaient des marches en bois, qui paraissaient très peu rassurantes. L'homme lui fit signe d'avancer et Lylith commença à descendre à contrecœur, faisant grincer les morceaux de bois. Elle entendit Hector et l'homme faire de même.

Les escaliers donnaient accès à un couloir qui menait lui même à une porte. La soldate poussa cette dernière. Elle déboucha sur une pièce lumineuse et chaude. Un feu brûlait dans l'âtre et des bougies tenaient en suspension, assurément l'œuvre d'un Réparateur. Un homme était assis dans un fauteuil devant la cheminée. A sa vue, le palpitant de la jeune femme s'arrêta. L'homme se leva et sourit à Lylith.

-Orpheus...souffla t'elle.

Transportée par la joie, elle se précipita vers lui et prit son visage entre ses mains, faisant sourire le Sorcier.

-Je vous croyais mort, murmura t'elle plongeant ses yeux sombres dans les siens.

Orpheus rit.

-Vous me condamnez trop vite Miss Ashford, répliqua t'il amusé.

Elle rit avec lui, se sentant légère comme une plume. Elle passa ses mains gantées sur le visage du noble, à la recherche de la moindre entaille.

-Vous n'avez aucune blessure, remarqua t'elle. Comment est-ce possible...

Il s'apprêtait à lui répondre quand Hector le coupa dans son élan:

-C'est ce que j'aimerais bien savoir aussi, fit-il, acerbe. Comment avez-vous pu vous en tirer alors qu'environ deux cents soldats vous arrivaient dessus ? Même si vous êtes le Sorcier du Roi, un Murmureur ne peut pas terrasser une telle armée à lui seul.

-Vous ne savez rien de ce que je suis capable, gronda Orpheus prenant les mains de Lylith pour les enlever délicatement de son visage.

-Et l'incendie ? Continua sur un ton de défi l'ex général. Comment avez-vous fait pour échapper ces flammes qui montaient jusqu'au ciel ? Voilà ce que j'en pense. Cette attaque n'était qu'une mise en scène. J'ai vu nos assaillants, c'étaient des Veryas. Ce qui ne laisse aucun doute: Vous êtes un traître, vous êtes un Verya.

Il avait dit cette dernière phrase sur un ton cassant, ce qui provoqua un rire étouffé chez l'homme qui les avait escorté. Bien que la jeune femme se posait les mêmes questions qu'Hector, son accusation la choqua. Elle tourna la tête vers l'homme aux cheveux noirs, attendant avec un soupçon de peur, sa réponse. Orpheus, lui, releva la tête, toisant le petit homme de ses yeux noirs brillants à la lumière des flammes, serrant la main droite de Lylith dans la sienne. Il prit la parole d'une voix calme mais glaçante:

-Comment osez vous me comparer à ces rebelles sans foi ni loi Monsieur Blark?

La lumière de la pièce semblait baisser au fur et à mesure que le noble continuait, mais Lylith chassa cette idée de sa tête, cela ne devait être qu'un nuage qui passait.

-Comment osez vous porter de tels propos à mon égard alors que je vous ai sauvé de ce camp misérable où vous vous preniez pour un général ? Vous voulez savoir ce que je suis ? Soit.

La porte se ferma brutalement et Hector sursauta, apeuré. Orpheus ferma les yeux et la pièce se retrouva plongée dans l'obscurité. Le Sorcier tendit sa main gauche devant lui, ses paupières toujours closes, et une volute de vapeur noire sortit de sa paume. Cette masse semblait vivante et formait une sphère. Cette dernière projetait de la lumière rouge sur les murs de la pièce et alourdissait l'atmosphère. D'un mouvement de main fluide, le Sorcier modifia sa sphère en un simple filament qui se glissait entre ses doigts avec grâce. Lylith, s'étant crispée, se détendit, attirée inlassablement par l'Art d'Orpheus. Ce dernier ouvrit ses yeux, désormais d'un rouge sang. A cette vue, Hector poussa un cri terrifié et tenta de reculer et de s'enfuir, mais n'y parvint pas, la porte étant fermée. La jeune femme quant à elle, sourit, émerveillée par ces deux iris pourpres.

-C'est...magnifique, murmura t'elle.

Il fronça les sourcils, un léger sourire aux lèvres.

-Vous n'êtes pas effrayée ? S'étonna t'il.

-Pourquoi le serai-je? Je vous connais et je sais que vous ne me ferez pas de mal, dit-elle sur un ton léger.

Au fond d'elle, Lylith se demandait si ses paroles n'avaient pas été aussi pour se rassurer. Le Faiseur d'Ombre atténua son Art avant de le faire totalement disparaître. La lumière revint dans la salle. Hector, paniqué, sortit son épée du fourreau. La soldate porta sa main libre à sa petite dague, par sécurité.

-Ne m'approchez pas démon, cracha t-il d'une voix tremblotante.

Lylith se tourna vers lui, les yeux brillants de colère.

-Arrêtez de vous comporter comme un enfant ignorant ! Vous savez pertinemment que Orpheus ne nous ferait jamais de mal, Hector.

Blark la regarda, ses lèvres boudinées tremblantes de rage et de peur.

-Il va nous détruire, murmura t-il. Il va détruire Benzale. C'est ce que nous racontait l'Ancienne de notre ville, à Marta. Il va déchainer les Affreux sur nous, et rien, rien ne va l'empêcher...

Lylith serra les mâchoires, énervée. Derrière elle, Orpheus regardait la scène d'un air sombre, tenant toujours la main de la jeune femme.

-A Priexa, notre Ancienne nous disait que c'était un être sensible, qui d'un simple mouvement de main, pouvait restaurer la force de jadis des Ensorceleurs, ajouta la soldate doucement. Elle nous décrivait ses prouesses avec admiration et respect. En soit, il n'est guère différent des autres Ensorceleurs. Son pouvoir est juste plus...rare et plus efficace.

Hector secoua la tête.

-N'avez-vous donc jamais entendu parler de la Prophétie? bredouilla t-il.

La jeune femme fronça les sourcils et récita:

-Quand la Lumière sera maîtresse de l'Ombre, elle ravivera la flamme des anciens temps, vaincra l'Horreur profondément enracinée, et restaurera la gloire de l'ancien temps.

L'autre ricana.

-Non pas celle-ci. Elle n'est bonne que pour les nourrissons et les grands-mères. Je vous parle de celle qui annonce la fin du monde.

Orpheus prononça d'une voix morne:

-Quand le ciel d'un noir se couvrira, et la terre par le feu ébranlée, il sera temps au monde de contempler les Horreurs d'un autre temps. Par la main d'un être d'ombre, par les os d'un être de lumière, et le sang d'un innocent, les Bêtes seront libérées et fouleront notre sol autrefois si florissant. L'eau deviendra sang, l'air un poison mortel, le pays brûlera dans une peur oppressante, et se mourra dans les hurlements de ses habitants. L'Ombre se sera volatilisée et la Lumière se morfondra dans une prison de verre, contemplant le Premier Arbre qui brûlera comme une torche de lumière. Les Sept Premiers seront Six et le dernier sera félon, aux cotés de l'Ombre grandissante.

Ses narines se dilatèrent et Lylith battit des paupières, ne sachant pas quoi répondre à cela.

-Rien ne te dit que cela le concerne Hector! finit-elle par protester.

Blark renifla:

-Cela me parait tout indiqué pourtant. Il est le Faiseur d'Ombre le descendant de Yornard.

Lylith s'apprêta à répliquer quand Orpheus interpela l'homme qui avait mené Hector et Lylith dans ce salon.

-John? Tout va bien?

Nebular leva ses yeux, d'un gris acier, vers son ami.

-On vous a suivi, murmura t'il. Ils sont dans la ville et vous cherchent...

Sa voix se brisa et il tituba. Le noble se précipita pour le rattraper et se tourna vers ses compagnons de voyage.

-Mon cheval est dans l'écurie, indiqua-t'il. Sortez le et prenez le votre. Je vous rejoins dans un instant.

-Pas les Verya, pas eux, piallait l'ancien général, pris de terreur.

Lylith hocha la tête et tira la manche d'Hector qui tremblait toujours, son épée dans ses deux mains, tendue vers le Sorcier. Entrainé par la jeune soldate, il finit par ranger son arme au fourreau, les yeux affolés.

-Ils arrivent pour nous tuer, continuait-il de dire d'une voix faiblarde.

-Monte et fais ce qu'il a dit, ordonna t'elle d'une voix sèche. Ou tu serviras de diversion.

Le petit homme acquiesça rapidement avant de prendre les escaliers à toute vitesse. Lylith, quant à elle, retourna à la porte, attendant Orpheus. Ce dernier échangeait avec John qui semblait à bout de forces.

-Te rends-tu comptes de ce que tu as fait? Murmura le Réparateur d'une voix faible. Elle a une partie de ton Art en elle, tu sais ce que cela implique Griffin...

Orpheus répondit, visiblement désemparé:

-Je n'ai pas eu le choix...mon Art aurait pu la tuer et je ne pouvais pas me permettre de la perdre...

Son ami soupira et toussa.

-Soit...mais il y a autre chose en elle. Quelque chose que je n'arrive pas à percevoir...tu es bien sûr qu'elle n'a pas de forme de magie quelconque?

-Elle m'assure que non...mais elle possède une force dont j'ignore la source et que je n'arrive pas à cerner.

-As-tu essayé de pénétrer son esprit? demanda le Réparateur.

Lylith écoutait, le souffle court. Orpheus pouvait lire dans les pensées? Avait-il lu les siennes?

-Non, ce n'est pas digne de moi John. Et je crois que je ne pourrai pas. Je peux entendre les pensées de tout le monde sans le vouloir. Mais elle...ce...mur étrange me les cache. Je n'ai donc pas tenté de forcer son esprit.

-Sage décision, approuva son ami aux yeux gris. Mais il faudra un jour ou l'autre percer son petit secret, Griffin.

A ceci, le noble ne répondit rien.

-Que comptes-tu faire d'elle? ajouta l'homme aux yeux gris.

-L'emmener à Balkan, et c'est là que je verrai de quoi elle est capable.

L'autre ricana.

-Elle va se faire manger tout cru si tu la plonges dans la Cité des Enchanteurs. Surtout si elle n'a pas d'Art.

-Je ne pense pas, répondit avec confiance le Sorcier. Elle est très débrouillarde tu sais.

Le coeur de Lylith se gonfla.

-Elle me rappelle Catheryne, souffla John. Souriante et douce avec toi même si elle savait que tu étais un Faiseur d'Ombre...

Lylith entendit Orpheus se lever et elle s'éloigna de la porte discrètement.

-Ashford n'a rien à voir avec...elle, fit-il d'un ton sec, retrouvant sa froideur habituelle. Je vais les rejoindre, repose toi.

Et dans un froissement du lourd tissu de sa cape noire, le noble partit, Lylith s'étant volatilisée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire OpheliaAshendown ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0