L'Inévitable et Fatidique Destin

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Lylith sortit de l'auberge à grands pas, se répétant en boucle la discussion qu'elle venait juste d'entendre. A entendre John Nebular, une partie de l'Art Obscur du Sorcier vivait en elle. Était-ce un bon ou mauvais point? La jeune soldate n'en savait rien. Elle rejeta ses longs cheveux noirs en arrière et courut rejoindre Blark qui tenait les deux chevaux par les rênes.

-Rien à signaler? s'enquit-elle.

L'autre secoua la tête.

-Non tout est calme, répondit-il.

Et espérons que cela dure, pensa la jeune femme.

La lourde porte s'ouvrit et Orpheus arriva, sa lourde cape noire flottant derrière lui.

-Lylith, tu monteras avec moi sur Oclock, annonça t'il. Hector fera cavalier seul. Nous devons partir, et vite. Les Veryas parcourent les rues à notre recherche.

Orpheus prit la longe de son cheval noir et monta, Lylith derrière lui. Blark sur le cheval blanc, le Sorcier et ses acolytes partirent au galop sans hésiter dans les rues couvertes de pavés humides de la rosée du matin.

La place du marché était étrangement déserte. Des paniers gisaient sur le sol, comme si ils avaient été abandonnés par leur possesseur. Rien ne bougeait et tout était absolument silencieux. Orpheus passa Oclock au pas et traversa l'immense place, ses yeux noirs scrutant chaque recoin de la grande place, visiblement sur le qui-vive.

-Ils sont là! hurla soudainement une voix venant d'une petite rue fleurie.

Et environ douze soldats se mirent à courir vers les voyageurs, l'air menaçant. Le cheval noir se cabra et Lylith s'accrocha aux hanches d'Orpheus. Ce dernier écarta rapidement les mains et une vague de fumée noire fit chuter les Phoenix Veryas avant même que les pattes antérieures de l'équidé ne touchent le sol. Le Sorcier s'apprêtait à faire demi tour et à galoper jusqu'au pont levis quand des branches épineuses poussèrent, écartant les pavés, bloquant la sortie de Casteldroit. Lylith se retourna, ébahie. Un jeune homme blond s'était relevé, mains tendues vers ces immenses plantes, ses yeux roses brillants d'une rage sans fond. Orpheus émit un petit ricanement sans chaleur.

-Crois-tu réellement que ces lianes vont nous arrêter Naturel? fit-il sur ton moqueur. Ne voudrais-tu pas rejoindre le côté du pouvoir et de la facilité.

Le jeune Naturel cracha:

-Plutôt mourir que de rejoindre un dictateur!

Lylith vit les mâchoires du Sorcier se serrer comme si cette appellation l'avait blessée. Il murmura:

-Soit.

Orpheus cligna des yeux et ses pupilles devinrent immédiatement écarlates. Le Naturel eut une mine terrifiée mais se reprit et tendit d'épaisses tiges couvertes d'épines qui se précipitaient vers le Sorcier et sa cavalière, à la manière des énormes serpents des Landes Arides que Lylith avait déjà vus, dessinés sur les pages poussiéreuses d'un livre ancien. D'un simple geste de main, Orpheus réduisit ces plantes en volutes de sable doré. Son ennemi recula d'un pas, effrayé. Il semblait abandonner quand il fut pris d'un spasme et sembla se changer en pierre. Les muscles de son cou s'étaient tendus et le jeune Verya regardait le ciel, de l'écume aux lèvres.

Lylith jeta un regard effrayé à Orpheus. Ce dernier avait ses yeux rouges rivés sur la victime qui se raidissait de douleur, en poussant des râles rauques. Les lèvres du Sorcier Noir bougeaient lentement, murmurant des paroles dans une langue inconnue. Le noble tendit sa paume gauche vers le Naturel. Un léger fil de vapeur de noire sortit du cœur du jeune homme, et rejoignit lentement le cœur de la main d'Orpheus. Lylith comprit avec horreur que c'était son compagnon de voyage qui torturait ainsi l'Ensorceleur félon, le tuant à petit feu. Hector se tenait derrière eux, les yeux rivés sur le Sorcier, une expression inexplicable sur le visage. Un mélange entre l'émerveillement, la fureur et surtout de crainte.

-Orpheus...souffla la jeune femme aux cheveux noirs. Laissez-le...

L'homme ne détacha pas ses prunelles sanglantes de sa proie, comme si il n'avait pas entendu les paroles tremblantes de Lylith.

-Griffin! cria t'elle, en tentant de baisser le bras gauche du Sorcier, désespérée.

Le Faiseur d'Ombre sembla revenir à lui et cassa le lien entre lui et sa victime. L'homme posa un regard perdu sur la jeune femme. Il tituba de son cheval et la soldate dut le maintenir sur selle en le rattrapant par les épaules, le remettant droit sur la selle d'Oclock. L'Ensorceleur cligna des yeux plusieurs fois, comme si il venait de se réveiller et la teinture sanglante s'évapora, rendant la couleur ébène aux yeux du noble.

Le Naturel Ennemi s'écroula sur sol dans un bruit sourd, la respiration bruyante. Lylith sauta à terre et se précipita vers lui. Elle tendit sa main à son visage et remarqua que ses mèches dorées se mouvaient à chaque respiration que le jeune Verya prenait. Il ouvrit ses pupilles roses et vit la jeune femme devant elle. Il voulut dire quelque chose mais rien ne sortit de sa bouche encore écumante.

La jeune femme hésita et retira son gant noir. Elle posa sa main blanche sur le front du blessé. A ce contact, l'homme se détendit et il battit des paupières, sombrant lentement dans le sommeil. Lylith se releva, prudente, le regard rivé sur le soldat endormi. Elle entendit Orpheus descendre de selle derrière elle, approchant à grands pas.

La jeune soldate se tourna sèchement vers lui, les yeux brillants de colère.

-Vous auriez pu le tuer ! S'écria Lylith, hors d'elle.

L'homme la toisa d'un regard froid.

-Il aurait eu ce qu'il méritait, répliqua t'il, pesant tout ses mots. Et puis les autres sont morts et cela ne vous pose pas de problème.

Lylith jeta un rapide coup d'oeil aux autres gardes Veryas, couchés sur le sol et sans vie. Pourtant elle répliqua:

-N'est-ce pas vous qui disiez que chaque Ensorceleur était précieux ?

A la grande surprise de la soldate, il haussa le ton:

-C'est un traître! Rugit le noble. Imaginez le nombre des nôtres qu'il a tué Miss Ashford! J'ai vu des dizaines d'Ensorceleurs que j'avais moi-même formés à la perfection, mourir sous les flèches des Veryas!

Il fit mine de se retourner avant de revenir vers Lylith qui restait sans voix.

-Sauvez-le si cela vous chante, ajouta t'il d'une voix tremblante et basse, comme si il essayait de se calmer. Mais sachez que jamais, au grand jamais, il ne vous aurait rendu ce service. Il vous aurait tué et exposé votre tête sur un pique à l'entrée de Warendra, la cité des Veryas. Pensez-y Miss Ashford.

Et le Sorcier Noir se détourna dans un bruit sec, sa cape glissant sur les pavés de la place, et enjamba les corps des rebelles pour rejoindre sa monture.

Lylith regarda le noble monter sur le cheval, les yeux au bord des larmes. Elle haïssait cette guerre inutile de tout son cœur. Une vie restait une vie. En tant que soldate, elle avait livré deux batailles en faveur de la monarchie actuelle. Lylith avait déjà tué des Veryas parce qu'on le lui demandait, elle avait enflammé des cadavres parce qu'on lui en avait donné l'ordre, privé des familles d'un être aimé parce qu'elle avait fait le choix de s'engager dans la Garde et de défendre son pays. La jeune soldate savait que de nombreuses villes avaient été pillées, mises à feu et à sang parce que c'était la guerre et que c'était comme ça quelle se manifestait: en semant le chaos chez l'ennemi sans faire attention aux dégâts collatéraux. Des vies innocentes sacrifiées pour un combat qui n'était même pas le leur. La plupart du peuple de Benzale ignorait même les raisons de ce conflit. Mais Lylith, elle, n'avait pas laissé tomber dans l'oubli pour quoi elle se battait et mettait sa vie en danger. Pour montrer que tout était possible, même pour la plus simple des pêcheuses.

Dans son enfance, on n'avait pas cessé de lui répéter qu'elle n'était qu'une simple fille sans avenir et destinée hors du commun. Même sa mère le lui disait souvent et lui demandait de rester vivre avec elle pour l'aider à la ferme. Mais Lylith refusait d'abandonner ses ambitions et s'était mis en tête de devenir Protecteur, des gardes chargés d'assurer la protection de la famille royale. Ils étaient admirés dans le pays par leurs aptitudes au combat et leur bravoure. Ils étaient des modèles pour la petite Lylith. Mais c'était toujours pareil, les Protecteurs étaient des hommes depuis des générations et l'entraînement était très dur physiquement et moralement. De plus, il n'y avait qu'une personne choisie tout les cinq ans. Ainsi, les chances de la jeune femme étaient très minces et avaient été réduites à néant lorsque Blark avait découvert son subterfuge au camp. Mais Orpheus lui avait offert une possibilité encore meilleure: rejoindre la Chasery et protéger un mythe, une légende. Elle serait encore plus importante qu'en étant une Protectrice et cela lui avait redonné courage.

Son regard se posa à nouveau sur le Naturel qui gisait sur le sol poussiéreux. Elle hésita. Si elle le soignait, Lylith savait qu'il ne se poserait pas la question si oui ou non il devait la tuer ou non lors d'une possible prochaine rencontre. Pourtant quelque chose au fond d'elle lui soufflait de l'aider pour au moins alléger sa souffrance, car bien que le Verya soit endormi, ses traits du visage étaient encore plissés par la torture d'Orpheus. Son réveil serait douloureux, Lylith en était certaine. Alors, elle se pencha vers lui, ignorant les paroles de l'Ensorceleur. La voix d'Hector arrêta son mouvement:

-Lylith, que faites-vous? Demanda t'il d'un ton pressé. Les autorités vont arriver, on devrait partir.

Orpheus ne disait rien, et regardait simplement la jeune femme, attendant de voir ce qu'elle allait faire. Cette dernière inspira et posa sa main sans gant sur le front de l'ennemi.

Elle ressentait sa douleur. Il souffrait. Physiquement comme moralement. Le Naturel pensait à sa fiancée, se demandant si il survivrait assez longtemps pour se marier avec elle, si il pourrait avoir des enfants avec elle. Il pensait à sa mère, mourante et à son père, qui les avait abandonnés alors qu'il n'était qu'un nourrisson. Il revoyait comment il avait découvert qu'il possédait l'Art Naturel, quand ses yeux avaient changé de couleur pour se teinter d'un rose pâle. Lylith parcourait tout ses souvenirs avec lui, assistant à son arrivée dans le mouvement des Veryas, les combats qu'il avait menés et la rencontre de sa fiancée.

C'étaient des souvenirs précieux et variés. Le Naturel avait vécu des choses affreuses mais avait aussi connu l'amour et le bonheur. Lylith aurait pu le laisser là, à rejoindre les Sept et la place qui lui revenait de droit au sein du Premier Arbre. Le laisser mourir. Mais qui s'occuperait de sa mère ? De sa fiancée ? Savait-il qu'elle était enceinte ? Visiblement non. Mais que dirait Orpheus? Orpheus n'est pas ton Roi, souffla sa conscience. Mais c'est mon ami, murmura son cœur.

-Je vous en prie...gémit la voix du Verya dans la tête de Lylith. Vous êtes quelqu'un de bien...je ne sais pas quel Art vous maniez mais...Juliet...

Et ses paroles moururent dans la tête de Lylith, elle le sentait de plus en plus faible et il semblait s'enfoncer dans une eau noire où la soldate ne pouvait pas accéder à ses souvenirs. Elle plongea sans réfléchir dans ce puit métaphorique. Elle le voyait, coulant sous l'eau calme et angoissante de l'affreuse et inévitable destinée. La jeune femme nagea jusqu'à lui, battant des pieds et des mains. Elle tendit sa main non gantée vers lui. Le Verya le regardait d'un air effrayé et intrigué. Il était apeuré par ce qu'il allait découvrir, et intrigué à l'idée de mettre le pied là où toute personne finit. Mais l'image de sa fiancée traversa son esprit telle un éclair fulgurant. Cette pensée repoussa violemment cette idée de mourir. Il ne voulait pas. Il ne souhait plus. Alors, dans un dernier élan, il tenta d'attraper la main que lui tendait Lylith. Leurs doigts se frôlèrent. Mais, sous les yeux horrifiés de la soldate, une bête monstrueuse surgit des profondeurs et ferma son immense gueule sur le Naturel qui poussa un cri terrifié, étouffé par l'eau noire. Lylith ne put voir que l'immense gueule du monstre ainsi que deux yeux rouges méfiants et méchants. Ses pupilles lui rappelèrent horriblement celles d'Orpheus. La bête cligna des yeux, regardant Lylith mais après avoir attrapé sa proie dans les abysses noires de la mort, elle disparut, laissant la soldate sous le choc dans l'immensité de cette eau noire.

La jeune femme eut soudain l'impression d'étouffer. L'air lui manquait. Elle jeta un coup d'œil vers le haut, à la recherche de la surface. Mais ses yeux ne trouvèrent rien. Que du noir et des masses d'eau. La jeune femme tenta de nager vers ce qui lui semblait être le haut. Mais, plongée ainsi dans le noir, rien n'avait de sens. La gauche était la droite, le haut était le bas et tout se ressemblait.

Son cœur s'emballait à mesure que Lylith se rendait compte qu'elle était allée trop loin. Vais-je rejoindre le Naturel?

Le sang rugissait à ses oreilles et sa vue commençait à se troubler. Bientôt, la jeune brune fut incapable d'effectuer le moindre mouvement. Un bruit sourd résonna à ses oreilles et sa tête lui fit affreusement mal. Elle venait de tomber sur la place du marché. Donc elle allait mourir. Une voix résonna et lui sembla lointaine. Était-ce celle d'Orpheus ? Ou celle de Blark ? Impossible à savoir. Lylith se sentait inlassablement couler. Elle ne se débattait pas. A quoi bon ? Si cela était son destin, elle l'acceptait bras ouverts.

Dans sa vision floue, une immense masse noire bougea devant elle. C'était la bête qu'elle avait vue. Elle lui semblait étrangement familière. Mais aucune peur ne fit frémir son pauvre cœur qui semblait se changer en pierre dans sa poitrine. Allait-elle, comme le Naturel, la prendre dans son immense gueule ?

Sa vue s'éclaircit. Désormais elle voyait la Bête clairement. C'était un dragon. Comme ceux décrits dans les livres de la bibliothèque de sa mère. Un immense dragon noir aux yeux rouges. Ses écailles noires brillaient d'un éclat irisé, dangereusement magnifiques. Ses crocs étaient blancs et luisaient dans l'obscurité. Ses ailes brassaient gracieusement l'eau, provoquant des tourbillons qui ballottaient doucement Lylith. Elle tendit sa main d'un geste affaibli vers le museau de la magnifique créature et toucha son museau.

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