Ce que tu m'as laissés

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 Seulement cette sensibilité, je ne la tiens pas de nulle part. On nous répétait souvent : « Tel père, telle fille. » et ça me paraissait plutôt juste. 

Cette capacité à ressentir fort, à aimer sans demi-mesure, à se faire mal parfois avec nos propres pensées. Ce regard un peu décalé sur le monde, cette tendance à vouloir tout comprendre, tout réparer, à chercher un sens même là où il n’y en a pas. C’était toi. Et c’est devenu moi.

Tu m’as laissée avec un cœur trop plein, une mémoire en puzzle, et cette étrange impression que ta vie continue de vibrer en moi. Tu ne m’as pas légué un patrimoine, pas une fortune mais tu m’as laissé la chose la plus riche : ta manière d’aimer, ta façon d’écouter, ton sens de la justice, ta lumière dans les yeux quand tu parlais de tes projets. Et je le répète tu n’étais pas parfait, mais c’est ce que tu répétais sans arrêt aussi “Personne n’est parfait, on a tous nos défauts et nos qualités, c’est normal, nous sommes juste humains”

Il y a cette chose étrange que tu m’avais transmis : Ta foi en l’humain, malgré tout, que t’auras gardé jusqu’au bout, toute ta vie, à vouloir aider les autres. Je n’ai pas cette force, parce que j’ai compris que tout le monde ne pouvait pas être sauver, que j’allais m’épuiser dans cette tâche. 

Au-delà de ça, tu étais un sacré personnage, je me demandais parfois ou tu allais puiser toute cette imagination pour débiter autant de conneries. T’en a fait rire une paire, aux larmes, sûrement quelque chose qui marque le plus les gens. Trop plein d’énergie, trop plein d’idées, trop plein de mots. Et moi, dans tout ce vacarme, j’essayais de comprendre, d’attraper au vol ce que tu cherchais à transmettre. Enfaite, je crois que tu étais un mélange de clown, de philosophe, de rêveur, de très sensible. Tu pouvais passer de réflexions profondes à des conneries monumentales en quelques secondes et c’est ce qui faisait toute la richesse, tu ne te prenais pas au sérieux parce que tu avais compris que ça ne servait à rien. Mais dans ton agitation, il y avait toujours un message caché, une vérité planquée derrière une vanne, une envie de faire passer quelque chose. J’ai passé une partie de ma vie à essayer de déchiffrer ce que tu ne disais pas vraiment. Je me demandais parfois si tu avais conscience de la marque que tu pouvais laisser aux gens, tu disais parfois que tu dérangeais, parce que oui, au fond, tu souffrais d’une profonde injustice, mais je pense que les gens ne savaient juste parfois pas comment faire avec ton excentricité, parce que rares sont les personnes comme toi, les gens souvent endormis, il ne faut pas trop les secouer. Tu sentais parfois ce décalage, tu savais qu’on ne te comprenait pas toujours.
Mais je peux te le dire : tu donnais envie de rire plus fort, de voir plus loin, de penser plus librement.

Tu as redonné un souffle à la vie de certaines personnes, un élan.
Et je reste convaincue que c’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire aux autres, quand c’est possible.

Ça marchait parce que c’était vrai. Parce que tu avais réellement cette envie d’élever les autres, de leur apprendre, de les aider. Tu ne jouais pas.
Alors oui, je sais qu’il y avait une petite part d’égocentrisme là-dedans, une envie d’exister, de briller un peu aussi. Mais au fond, tu voulais avant tout que les autres brillent.
Que chacun réalise qu’il avait quelque chose à l’intérieur de lui.
Surtout ceux qui l’avaient oublié.

Tu n’as pas changé le monde.
Mais tu as changé des vies.

Et finalement, c’était ça, le vrai travail de ta vie.

Parce que tu répétais sans cesse “c’est le travail de toute une vie, d’apprendre à se connaître, de s’accepter, d’être aligner, de savoir qui on est” mais peut-être qu’en fait, tu avais fini par l’achever, ce travail, non pas en te cherchant encore et encore,
mais en aidant les autres à se trouver un peu.

En éclairant des morceaux d’eux-mêmes qu’ils n’osaient pas regarder.

Si je devais compter ta vie, je ne saurais pas par où commencer. Tu as un eu un parcours assez riche, mais peut-être faudrait-il commencer par le début. Tu as vu le jour, 15 jours après la mort de ton père, tu étais le dernier des six enfants que ta mère a dû élever seule. Ta mère qui a également connu un parcours assez compliqué, elle a perdu un enfant peu de temps avant ta naissance, mais avant tout cela, elle a été adoptée, tu n’as jamais connu tes grands parents. Tu as donc évolué dans un environnement ou tu as très tôt été confronté à la perte, et tu as dû apprendre à te débrouiller tout seul. Malgré ça, tu admirais profondément ta mère, qui était une femme aimante, courageuse, bourrée de talent, qui avait un attrait pour la peinture, la couture...Une femme pleine d’humour, que tu devais puiser de là. C’est comme ça que tu me la décrivais. A travers toi, j’apprenais un peu à la connaître et à l’admirer à mon tour, je te posais souvent des questions sur elle d’ailleurs, déjà parce que je savais que ça te faisait du bien d’en parler, et parce que tu avais une façon de décrire les gens qui était toujours touchante, juste et plein de tendresse.

Tu as donc fait un parcours classique, un CAP, l’armée, et très tôt tu te rends compte que tu as des dons, que tu arrives à lire les autres en un regard. Ta sœur t’achète un oracle, par pur hasard, puis tu ressens que quelque chose va arriver à ta maman, 1an plus tard, elle décède d’un cancer du sein, un jour avant ton anniversaire. Tu avais 28ans. J’avais enfui cette information, mais elle vient faire un drôle d’écho à la photo et au ressentis que j’ai eu le matin de ton départ.

Evidemment, ce ne sont pas les seuls ressentis que j’ai eu depuis le début de ma petite vie, mais ce n’est pas sur ça que j’aurais envie d’épiloguer, bien que, dans le parcours de mon père, ça une place centrale et fondamentale.

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