Ninil Mushroom

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 L’homme s’approcha de la vitrine. Les araignées se poussaient hors de son chemin. Elles couinaient : « un client ! » toutes excitées qu’elles étaient. Les entendre parler le laissa sans voix. Une chose pareille ne pouvait être possible ! Elles ne devraient pas être physiquement capables de s’exprimer, pensa-t-il. Il craignit d’être atteint d’une maladie de l’esprit. Il les regardait s’en aller vers la porte vitrée. Elles s’y massèrent en bloc noir et l’ouvrirent avec lenteur.

 À l’intérieur, les champignons verdoyants enchevêtrés dans des filets de soie blanche recouvraient le plafond ; des rideaux de dentelles immaculés tombaient sur les rayons chargés de victuailles et sur le sol poussiéreux où s’extasiaient de minuscules araignées – des enfants – devant ce géant à la crinière de feu.

 L’une d’entre elles, plus grosse, se laissa pendre du plafond, attachée par l’abdomen où sortait sa soie, et lui fit une courte révérence, puis s’exprima avec une locution étonnante :

 « Mes salutations, cher client ! Je suis Ka. Vous êtes, ici, chez Ninil Mushroom, le seul magasin de ravitaillement de la ville ! Je vous en prie : faites comme chez vous ! Toutefois, je dois vous avertir : les articles en vente sont soumis à un prix annoncé par notre réceptionniste en chef que vous trouverez près du comptoir, à votre gauche après l’entrée. Partir sans payer fera de vous un article de Ninil Mushroom et soumis aux même conditions de vente que les autres. Avez-vous bien compris le fonctionnement de notre somptueux magasin ? »

 Une araignée se balança entre eux et lâcha un petit « coucou » en passant. Une autre tomba du plafond dans la chevelure de l’homme, vite rejointe par ses amies, et entreprit d’explorer cette abondante forêt de poils exotiques.

 « Veuillez excuser la puérilité de mes consœurs, reprit Ka, déconcertée. Elles sont très jeunes et vous êtes notre premier client. D’ailleurs, Ninil, la maîtresse de ce magasin, vous aurait accueilli elle-même si les petites ne l’avaient pas coiffé n’importe comment. Malheureusement, elle a trop honte pour vous montrer sa ravissante beauté.

 — Ka ! s’écria une voix féminine dans la salle derrière le comptoir. Veuillez excuser mon absence, cher client. Mais, je ne suis pas encore prête à me montrer. J’arrive bientôt, ne vous inquiétez pas. Je peux sentir votre odeur alléchante. Entêtante. Fraîche. Appétissante. Vous êtes un humain ! J’en suis certaine ! Vous êtes de mauvaises personnes : vous nous chassez et nous écraser par pure méchanceté. Je n’aime pas les humains. Je les mange ! Je vais vous manger une fois prête. Attendez-moi. »

 La porte s’entrouvrit pour laisser apparaître un bras gris, rachitique, à la main longue, fine et fragile.

 « Ou, donnez-moi une pièce pour vous pardonner d’être né humain, et deux autres pour ne pas vous manger. »

 L’homme regarda les araignées qui dansaient à ses pieds ; puis celles qui se pendaient toutes autour de lui, et Ka, dont les yeux globuleux étincelaient d’un violet menaçant. Il était piégé. Il s’en rendait compte. Mais, il ne prit pas peur : il était déjà voué à mourir.

 Il plongea une main dans sa manche bouffante et en sortit une poignée de centimes.

 « Cela sera-t-il suffisant ? » proposa-t-il.

 Les petites araignées poussèrent des cris sidérés et se jetèrent sur l’inestimable trésor qu’il leur révélait, puis l’apportèrent dans la paume de la main de leur maîtresse qui referma prestement la porte.

 Après quelques secondes de gloussements et d’agitations, la main réapparut en faisant un geste qui dispersa ses employées dans toutes les directions.

 « Vous êtes ici chez vous, chanta-t-elle. Vous êtes sous ma bienveillante protection dorénavant, cher client. Ka, fais-lui visiter. Et donne-lui une chambre. »

 L’intéressé lui montra les différents rayons, les articles en vente, allant du paquet de chips aux tartes vrombissantes et ronronnantes ; ainsi que la chambre froide pleine de viandes indéterminées, et une pièce exiguë à l’arrière du magasin où elle l’invita à se loger.

 « Ninil est gentille, dit-elle dans la pénombre de la chambrette, mais si vous ne payez pas, elle vous mangera. De plus, elle a une très mauvaise mémoire, il est préférable de lui donner quelques pièces régulièrement.

 — Merci de ce conseil, petite demoiselle, répondit-il. »

 Son attention fut soudain attirée dans un coin de la pièce où commençaient à se masser des ténèbres opaques. Elles étouffèrent la lumière mourante des champignons et gonflèrent de plus en plus. Les araignées qui somnolaient dans leurs cocons de toile s’enfuirent en toute hâte.

 « Voilà qui est étonnant ! s’exclama une Ka agacée dont les yeux s’illuminèrent d’un beau violet éclatant. Elles osent pénétrer dans mon domaine ?! Les sottes ! »

 Aussitôt, le mur d’acier du fond de la chambre et les ténèbres disparurent, avalés par une force invisible. L’araignée lâcha un petit rot et se tapota les chélicères.

 « Oups, excusez-moi. Je me suis emportée. »

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