Départ.

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 Un liquide noirâtre s’écoulait de la théière, et tombait avec grâce dans la tasse à café que Ninil avait déposée devant l’homme, attablé. Elle ne cessait de lui sourire et de le regarder avec envie ; une lueur dans son regard qui ne lui offrait guère de sympathie. Elle nourrissait un cochon, rien de plus.

 « Mangez ! l’exhorta-t-elle. Cela vous fera le plus grand bien ; vous êtes aussi fin qu’une mine de crayon. »

 Elle posa une main sur l’épaule de son client et la retira prestement, les yeux ronds comme des ballons. « Oh ! » fit-elle, surprise, avant de partir à en vitesse à tout petit pas, les six bras levés au-dessus de sa tête. Elle rentra dans l’arrière-salle, derrière le comptoir, et s’y enferma.

 Intriguées par la réaction de leur maîtresse, les araignées quittèrent leurs cachettes afin de le toucher à leur tour. Elles lui parcoururent les épaules par dizaines, sans rien ressentir de particulier.

 Il retint un soupir, et tourna son attention vers les viennoiseries passées de dates. « Je ne mange pas », leur dit-il d’un ton mélancolique. Il se releva dans l’intention de quitter définitivement ce lieu. Il ne s’y était que trop attardé. Il devait retourner seul à la lumière. Rester loin de Ninil et de ces araignées. Il craignait d’apprendre leur identité. Il le savait, au fond de lui, mais il rejetait cette amère vérité. Pourtant, les mots qui sortirent de lui furent un reflet involontaire de ses pensées.

 « Tout n’est que tromperies. »

 Il sortit du magasin après s’être débarrassé de toutes les araignées qui nichaient sur lui. Il les entendit lui crier au revoir, lui souhaiter bonne chance et tout le bonheur du monde. Que dire de ces adieux, autrement qu’ils lui empoignaient le cœur.

 Ka l’attendait au milieu de la rue. Seule. Les yeux étincelants. Pendue à un fil accroché dans les cieux enténébrés.

 L’homme fit un mouvement de dénégation. « Ne cherche pas à m’arrêter », commença-t-il avant de se taire devant la gravité de l’araignée.

 Elle prit la parole après quelques secondes à l’étudier. Sa voix ne parvenait pas d’elle, mais de partout à la fois ; un écho sinistre qui autrefois aurait façonné une terreur absolue dans son cœur.

 « Pourquoi veux-tu nous quitter, humain qui n’est plus humain ? articula-t-elle lentement.

 — Je veux seulement me promener », mentit-il.

 Ka se laissa tomber, le choc de sa chute fissura le sol, des ombres émergèrent des lézardes, et tendirent leurs bras tentaculaires vers lui. « Pourquoi veux-tu nous quitter ? insista-t-elle.

 — Pourquoi veux-tu le savoir, araignée qui n’en est pas une ? »

 Les ombres retournèrent dans les tréfonds de la terre. Ka s’écarta. « Tu nous reviendras. Tu me devras un câlin à ce moment-là, et je t’embrasserai en retour. »

 Il se détendit.

 « C’est un marché », accepta-t-il.

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