Chapitre 2 - Boxe

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J’ouvre la porte du garage avec mon trousseau de clés et j’invite Aleksy à y entrer. Je l’emmène tout au fond, devant une nouvelle porte donnant accès à un petit studio. À l’intérieur, il découvre mon paradis. Un sac de frappe pendu au plafond, un canapé et une télé avec des consoles et un mini-frigo. Le tout éclairé par des néons tirant vers le rouge donnant un aspect urbain et très masculin à la pièce.

A : J’y crois pas… c’est quoi ce truc de ouf ?

N : C’est mon coin secret, normalement personne n'y entre à part moi.

A : Et tes parents ?

N : Non même pas, ils n’y vont jamais.

J’ai comme l’impression qu’Aleksy se sent vraiment à l’aise dans ce lieu. Il a les yeux écarquillés et tourne la tête énergiquement vers tous les recoins de la pièce. Ça m’amuse de le voir reprendre du poil de la bête. Je vais chercher mes gants de boxe et je les lui tends.

N : Tiens vas-y, essaye ! Tu verras, taper dans un sac de boxe ça fait un bien fou ! Quand j’ai besoin de me défouler, je frappe dedans comme un malade !

A : Ouais, ça a l’air cool.

N : Tu devrais retrousser tes manches, ça sera plus facile pour mettre les gants.

A : Nan… nan, c’est bon t’inquiète c’est pour pas avoir froid.

Je ne saisis pas sur le coup, puisqu'il y a le radiateur qui tourne à fond dans la pièce. Mais ça ne sert à rien de le contrarier pour une histoire de manches. Je me positionne derrière le sac pour le maintenir.

N : Vas-y commence doucement avec quelques directs, droite, droite, gauche.

*Pif pif paf*

N : Vas-y, encore !

*Pif pif paf*

N : Allez, deux fois de suite !

*Pif pif paf* *Pif pif paf*

N : Rajoute un crochet à ton enchaînement.

*Pif pif paf pif* *Pif pif paf pif*

N : Essaye de mettre des kicks pour voir !

*PAF* *PAF*

N : Ok, maintenant enchaîne en variant les coups.

*Pif pif paf pif paf* *PAF* *Pif pif pif paf* *PAF*

N : Alors ?

A : T’as raison ça défoule de ouf !

N : Vas-y je te laisse faire sans le tenir. Imagine que le sac c’est la personne que tu détestes le plus.

Je m’écarte de quelques pas pour lui laisser de la place. Il prend une grande inspiration, et commence à frapper dans le sac en suivant mes conseils. Il apprend vite, sa technique s’améliore au fil des secondes et ses coups résonnent de plus en plus.

Soudain, je sens mon téléphone vibrer. C’est un message de Laurène ! Je l’avais totalement zappé depuis l’histoire avec Xavier et Cassandra ! J'ouvre le message et je lis « Désolé de pas être venue aujourd’hui, je suis malade. ». C’est sûrement pour cette raison que ses messages se faisaient plus rares et plus courts. Sans m’inquiéter plus que ça, je lui réponds « Ne t’en fait pas bébé, repose-toi bien ! ». Puis je range mon téléphone dans ma poche.

Ça doit faire maintenant trois bonnes minutes qu’il cogne sans s’arrêter.

N : Ok Aleksy, fait une petite pause !

Mes paroles n’y font rien. Il continue à frapper dans le sac, mais sa cadence ne fait qu’augmenter.

N : Aleksy ?

Il ne s’arrête toujours pas, c’est comme s’il ne m’entendait plus. Son regard a changé du tout au tout. Il regarde le sac avec haine et agressivité. Ses coups sont rageurs et sont destinés à faire mal.

A : Laisse-moi putain, j'vais le crever !

Il a complètement perdu les pédales. Je me jette sur lui pour le calmer mais il se débat. Juste avant que je ne le sépare du sac, il envoie un grand front-kick qui le fait valser et manque de le décrocher du plafond. Reprenant peu à peu ses esprits, Aleksy fond en larmes dans mes bras. Je ne sais pas du tout comment réagir ni quoi faire.

A : Aide-moi, j'en peux plus de cette vie de merde…

Mon sang ne fait qu'un tour. J’ai pu ressentir une infinie détresse, un immense calvaire dans son appel à l’aide. Des larmes coulent à flots et ses sanglots résonnent dans toute sa poitrine. J’en ai le cœur brisé. Je le serre fort contre moi, et le berce pour essayer d’apaiser ses pleurs qui semblent incalmables. Je tente de passer ma main dans ses cheveux mais il la repousse brusquement. Son corps est pris de violents tremblements, il a l’air complètement effrayé.

J’en profite alors pour l'aider à retirer ses gants, puisque je ne pense pas qu’il les réutilisera aujourd’hui. Je défais les scratchs et je les enlève. Mais pendant un très bref instant, le temps que ses manches redescendent, une vision d’horreur me fige sur place. J’aperçois plusieurs entailles sanguinolentes sur ses poignets. J’en ai la boule au ventre, j’en ai des nausées.

Comment j’ai fait pour ne rien remarquer pendant les cours, alors qu’il est à côté de moi plusieurs heures par jour ? Je me dégoûte, littéralement. Je suis un enfoiré narcissique, je ne vaux pas mieux que les autres. Mais ce n’est pas le moment de se lamenter. En cet instant, je dois lui apporter tout le soutien dont il a besoin. J’ai merdé, et je dois rattraper mes erreurs.

Je le convie à s’installer sur le canapé à côté de moi. Nous demeurons silencieux pendant plusieurs minutes, ne sachant pas par où commencer. La distance entre nous devenant rapidement gênante, je me rapproche de lui car ce qu’il a besoin actuellement, c’est du réconfort. Ce n’est plus le moment d’être pudique. Je place mon bras sur ses épaules. Ses sanglots ont l’air de s’être peu à peu dissipés.

N : Ça va mieux ?

La question en soi est idiote. Non évidemment qu’il ne va pas mieux, mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour amorcer la discussion avec lui. Il se contente de me répondre d’un bref hochement de tête, par politesse sans doute. Si j’ai envie qu’il se livre à moi, je dois tout d’abord lui demander pour ses bras. Mais les mots s’emmêlent dans ma tête, je n’arrive pas à sortir une phrase concrète.

N : Tu… pourquoi… j’ai vu…

Je prends une grande inspiration. Je ne peux pas me permettre de me montrer hésitant. Je dois paraître digne de confiance pour qu’il se confie à moi. Il doit pouvoir compter sur moi.

N : Quand j’ai enlevé les gants, j’ai vu tes poignets…

Aleksy se crispe tout à coup. Ce qu’il voulait me cacher en ne remontant pas ses manches n’est finalement pas passé inaperçu. Son visage se ferme encore un peu plus et son regard devient fuyant.

N : Je comprends pourquoi tu ne voulais pas me les montrer Aleksy. Mais sache que… je ne te juge pas, peu importe les raisons qui t'ont poussé à le faire. Je veux juste comprendre et t’aider, du mieux que je peux.

A : J’en ai marre Niels…

N : De quoi ?

A : Marre de tout, marre de me lever tous les matins et faire comme si tout allait bien dans cette vie de merde. Rien ne va Niels ! J’ai essayé…

Ses larmes se remettent à couler de plus belle. Il semble tout de même être en train de se libérer d’un poids énorme, un poids si lourd qu’il ne pouvait plus le contenir seul dans son corps.

A : J’ai essayé que ça aille mieux, mais chaque jour c’est encore pire. Donc plusieurs fois j’ai voulu en finir, pour de bon… Mais à chaque fois je n’ai jamais eu le courage d’aller jusqu’au bout, même ça je n’y arrive pas…

Ses révélations me terrifient. Je n’aurais jamais pensé que c’était à ce point. Chaque jour depuis le début du lycée, je risquais à tout moment de ne plus jamais le revoir, du jour au lendemain. Je me mets à imaginer que si je n’avais pas forcé le destin pour le voir, si j’avais attendu la fin de la journée ou même seulement la fin du cours, il ne serait peut-être plus de ce monde. Un frisson d’effroi parcourt ma colonne vertébrale.

N : Si tu n’as pas eu le courage… c’est parce qu’au fond de toi tu as encore une raison de t’accrocher… à la vie.

A : Tu penses ?

N : J’en suis persuadé ! Pense fort aux gens à qui tu tiens et qui tiennent à toi. Si par malheur tu venais à ne plus être là, je ne sais pas si je m’en remettrais un jour…

Je me rends compte que ce que je viens de dire est incroyablement égoïste, mais pourtant c’est vraiment ce que je pense. Aleksy me regarde avec des yeux remplis de reconnaissance. Mais je vois aussi qu’il est accablé par la honte après ce que je viens de lui dire.

A : Je suis vraiment désolé Niels… je n’ai pas pensé aux répercussions que ça aurait pu provoquer…

N : Non Aleksy ce n’était pas un reproche. Je voulais juste te dire que… je suis sûr que beaucoup de gens t’aiment énormément et ne souhaitent que ton bonheur.

A : Comme toi ?

Ses yeux sont braqués sur les miens. J’ai l’impression que son regard me transperce de toute part. Je me noie dans cette mer de café que sont ses yeux d’un brun nuancé, chaud et rassurant. Mon visage vire au rouge, mes battements de cœur s’accélèrent soudainement. Qu’est-ce qui m’arrive ? Pourquoi j’ai du mal à faire sortir les mots de ma bouche ?

N : Je… Oui ! Tu comptes beaucoup pour moi et je t… j’ai envie de t… te voir heureux !

Il esquisse un timide sourire. Il semblait en attendre plus mais il a l’air quand même rassuré.

A : T’as raison… quand j’étais sur le point de le faire, je pensais à ma mère. Je ne veux pas la rendre plus triste qu’elle ne l’est déjà… Elle travaille déjà comme une folle pour me payer tout ce dont j'ai besoin, et elle ne supporterait pas un autre deuil…

Il pousse un long soupir mélancolique. Un autre deuil ? Maintenant que j’y pense, depuis qu’on s’est revu il ne m’a pas parlé de…

N : Ton père ?

Il acquiesce muettement. C’est un choc pour moi. J’ai connu son père quand on était amis en primaire. Les fois où il allait le chercher à l’école ou quand j’allais chez lui. C’était un homme bien, droit dans ses bottes mais toujours soucieux du bonheur des autres. Il était très gentil avec moi, il me considérait même comme le frère d’Aleksy tant on était toujours fourrés ensemble. C’était vraiment un bon père…

N : Quand ?

A : L’année dernière, à la suite d'un cancer. Ils n’ont rien pu faire pour lui…

N : Je suis sincèrement désolé de l’apprendre Aleksy…

A : Tu n’y peux rien, personne n’y peut rien… Mais maintenant, ma mère et moi on ressent comme un énorme vide à la maison… Tout semble sans intérêt…

Il a les yeux vitreux. En parler lui rappelle sûrement beaucoup d’horribles souvenirs qu’il aurait préféré ne jamais ressasser. Mais pourtant il a l’air décider à lâcher ce qu’il a sur le cœur.

A : Son décès n’était que le début…

N : Le début de quoi ?

A : Depuis qu’il n’est plus là, je n’arrive plus à me sentir heureux. J’essaye d’oublier par tous les moyens possibles…

N : Tu veux dire…

A : L’alcool… la drogue…

N : Oh merde… alors du coup… c’est pour ça que tu traînais avec eux ?

A : Ouais… le seul moyen d’en avoir, c’était d’être ami avec eux. Ils sont potes avec des mecs plus vieux. Le moindre truc qu’ils veulent, ils arrivent à l’avoir.

N : Ouais, je vois…

A : Du coup ils ont commencé à m’apprécier, à m’inviter à leurs soirées… Je me suis mis à penser qu’ils étaient peut-être comme moi…

N : Comme toi ?

A : Tristes, perdus, voulant fuir la réalité…

N : Et ?

A : Bah pas du tout… La seule chose qu’ils cherchaient, c’était de baiser et d’avoir du pouvoir. Ils ont tous une vie de rêve, ils sont pétés de thune, leurs parents se mettent à quatre pattes pour eux. Ils n’ont rien à voir avec moi…

Je ne suis bizarrement pas très surpris par ses révélations. Mais, malgré ce qu’il me raconte, je n’arrive pas à définir cette étrange peur qu’il ressent à leur encontre. Et il y a cette histoire, ce que Xavier m’a déballé dans la classe tout à l’heure…

N : Et… Cassandra ?

Son visage se tend. J’ai l’impression d’avoir touché un point sensible, il y a encore des choses qu’il ne m’a pas dit.

A : Quoi Cassandra ?

N : Et bien… vous êtes en couple, alors…

A : C’est une salope.

Oui, ça je le sais bien, il ne m’apprend rien sur le coup.

N : Mais alors… pourquoi tu t’es mis avec elle ?

A : Je pensais que ça m’aiderait peut-être à penser à autre chose…

N : Donc… tu ne ressens rien pour elle ?

A : Non, et elle non plus. Pendant les soirées, je la voyais bien s’éclipser avec n’importe quel gars qui la draguait. Mais ça ne me faisait ni chaud ni froid.

N : Et… tu l’as fait avec elle ?

A : Je…

Son visage devient blême. Qu’est-ce qu’il a si peur de me dévoiler ? Les phrases de Xavier me résonnent dans la tête. C’est de sa panne dont il a peur de me parler ? Non, il ne se mettrait pas dans cet état-là pour ça, il y a autre chose...

N : Tu peux me le dire Aleksy, ça restera entre nous…

A : Je sais pas Niels…

N : Je peux faire quelque chose pour t’aider ?

A : Je… peut-être…

N : Vas-y demande-moi n’importe quoi et je le ferai !

A : Je pense que… j’arriverai à en parler si…

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