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La Toyota Aventis file sur la route qui lie Fukuoka à Kitakyūshū. Dans son habitacle, deux jeunes gens en pèlerinage : Doriane et Simon. Fous du Japon, qu’ils ont décidé de traverser de part en part, ils ne tergiversent plus sur un sujet tabou : un fantôme qui planait au-delà des océans : un couple à la dérive, sur le radeau du quotidien.
Doriane, visiblement, ne rêve plus. Simon crèvera à petit feu. Comment vivre sans elle, loin de ses sourires, de ses petits clins d’œil, de cette légèreté que n’ont pas les autres femmes ? Il n’ose pas y penser et, pour la première fois, ferme les fenêtres qui dissimulent l’horizon des possibles.
Hors de question pour lui de continuer à vivre sans cet amour qui n’existe peut-être plus. Il le sait : il est inutile de résister à Doriane et ses arguments lancés comme des projectiles. Ses désirs sont ses ordres, ses requêtes, des désordres, et sa pause, qu’elle propose au détour d’une prose féroce, n’est au mieux qu’un arrêt sur image, au pire un fondu au noir. Il le sent. Il le sait. C’est gravé : sans la musique qu’ils s’inventaient au fil des jours, il n’y aurait jamais eu de Doriane et Simon.
N’est-il pas préférable de se perdre à jamais que de subir ad vitam l’existence douloureuse d’une vie sans elle ? Que de la savoir heureuse, elle, dans les bras d’un autre ? D’un homme qui ne la mérite pas ? Sans même y réfléchir, et pour la première fois de sa vie, Simon dépose les armes. Débranche son cerveau. Il ferme les yeux. Respire. N’écoute plus les dissonances de Doriane, sa peur qui grandit à mesure de la vitesse.
N’était-ce pas préférable qu’ils meurent tous les deux, égarés dans les méandres luxuriants d’Aokigahara, main dans la main, ensemble toujours comme Tristan et Yseult ? Un accident de voiture ferait tout aussi bien l’affaire. Et les cris de Doriane n’y pourront rien changer.
FIN
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