Chapitre 6

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Étape une ; réaliser que l’on vit dans un régime totalitaire.

Étape deux ; avoir les arguments nécessaires à sa dénonciation.

Étape trois… Rien de plus simple : commencer la révolution.

De fil en aiguille, et surtout de bouche-à-oreille, Vas avait réussi à propager sa volonté de rébellion auprès d’une centaine d’individus en une semaine. On entendait des discussions au coin de la rue à propos d’un certain porte-parole au sujet d’une manifestation illégale prévue le 12 novembre 2223. « Il paraît que le gouvernement nous censure. T’imagines toi ! », « Apparemment, les experts de la Liberté ont brûlé tous les livres critiquant la société », « C’est grave. Si les experts de la Liberté censurent réellement les recherches scientifiques, alors… Il faut le dénoncer. »

Mais Vas en voulait davantage. Ce n’était pas suffisant. La tellicratie devait s’effondrer, et ce n’était pas avec une centaine de personnes que ça allait fonctionner. Il eut une idée brillante : diffuser le message à travers des affiches collées sur les murs. Son slogan, à leur dos, se retenait facilement, le message était clair et limpide, parfait pour mobiliser les gens. La police d’écriture était simple, Arial, en noir, en gras, sur un fond blanc. Tout ce qu’on retenait, c’était le propos.

« La tellicratie contrôle nos vies. Hercerg dictateur, Hercerg abuseur. »

À la veille de la manifestation, Vas estimait avoir environ plusieurs milliers d’alliés. Ce n’était pas énorme, pas suffisant pour renverser le gouvernement, mais assez pour commencer à faire pression. Hercerg, lui, ne s’attendait pas à de telles conséquences. Il était toujours persuadé être l’idole du peuple. Et c’était ce que Vas préférait. Ah ça, s’il pouvait voir sa réaction lorsque la révolte débutera, il s’en réjouirait.

Tout se déroulait comme prévu, sauf pour Line. Elle n’était pas idiote, elle avait compris que son alter avait un plan. Il ne lui restait plus que la parole pour dissuader Vas d’aller trop loin. Alors, lorsqu’ils se retrouvèrent seuls, la veille du moment fatidique, elle se posa, prit une grande inspiration et lui hurla dessus.

— Non, mais tu t'en rends compte ! Une manifestation illégale, demain ! Mais qu’est-ce qu’il t’a pris de faire ça ?

— Je ne peux pas rester passif face à la censure. Tu le sais. Si tu ne veux pas être mêlée à ça, grand bien te fasse, mais moi, je compte bien y aller, à cette manifestation.

— Bien sûr que je suis mêlée à ça. On partage le même corps ! Et j’en suis l’hôte. C’est donc moi qui décide de ce qu’on en fait.

— Oh Line… Tu sais que tu ne peux pas m’échapper.

Ce que Vas insinuait, c’était qu’elle pouvait tout faire : mentir, s’enfermer, s’évader, mais elle ne pouvait pas le contrôler. Si Vas décidait de sortir de leur monde intérieur pour prendre possession de leur corps, il en était ainsi. Elle dissocierait et ne se souviendrait de rien jusqu’à ce qu’elle reprenne le contrôle. Pour elle, ce sera une journée perdue dans un trou noir, comme un bref coma. Oui, Vas était assez puissant pour la mettre de côté pendant quelques heures.

Son plan était simple : il se débarrasserait d’elle demain matin en devenant l’hôte de leur être pour la journée. Il irait à la manifestation et changerait le monde. Quant à Line, elle ne saurait rien de ce qui se passera.

Le trouble dissociatif de l’identité était une plaie pour Line et Vas. L’un voulait s’imposer à la société, laisser sa marque, tandis que l’autre désirait simplement mener une vie paisible en tant que libraire. Mais ensemble, ils n’arriveraient à rien tant que l’un d’entre eux ne céderait pas. Et ni Line ni Vas ne succomberaient.

Elle était déterminée à empêcher son colocataire de poursuivre son plan, tandis que lui était déterminé à transformer la politique. Ils ne s’appréciaient jamais. Vas avait toujours voulu prendre le dessus sur elle, se mettre en avant, se la jouer, tandis qu’elle préférait rester discrète. Quand il apparaissait, leur entourage criait de joie, « Vas ! L’incorrigible Vas ! ». Quand c’était elle, elle ne se réduisait plus qu’à lui, « Où est Vas ? On veut voir Vas ! ».

Line avait passé sa vie à n’être que l’ombre de Vas, car il était plus sympathique, plus drôle et plus sociable. Elle lui en voulait pour ça, car elle décevait ses proches dès qu’elle existait. Sans doute aurait-il été préférable pour tout le monde que ce soit lui qui passe le test de QI. Peut-être que les choses auraient changé, qu’il aurait remplacé Hercerg, mais c’était elle qui l’avait passé. Puisqu’elle était l’hôte, celle qui suivait les cours, qui avait grandi et qui avait été traumatisée par son passé, son cerveau avait inventé Vas. Elle était une personne à part entière, tandis que lui n’était qu’une incarnation de la violence qu’elle avait subie. Il représentait la personne qu’elle aurait aimé être, l’idéal, le grandiose. Mais lui n’était rien de réel.

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