Chapitre Unique

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Chez les miens, il y a une rumeur qui court qu’en ce monde il existe des âmes liées à travers l'espace et le temps, elles sont appelées "âmes sœurs". Depuis toujours, je me demande à quel point c’est vrai. Chaque soir, je me pose alors sur le toit de la maison du doyen et j’observe le ciel étoilé en imaginant les histoires de ces êtres qu’on attribue aux légendes. Mais à chaque fois, l’ancien vient et ronchonne avant de m’obliger à rentrer. Il faut dire qu’avec sa tête de vieux tanuki, je n’aimerai pas être celui qui le contredit l’Oyaji !

« JIKI ! » hurle-t-il justement en utilisant son vieux bâton pour taper l’ardoise de sa maison d’argile.

Je ne me retiens pas de rire, alors que je saute de ma place. Ma course est vive. Je glisse dans la boue pour éviter son coup de canne. C'est qu'il est trop vieux pour m’attraper ! Je rigole amusée et pleine de joie de vivre. Mes moustaches au vent et ma queue pimpante me donnant un air triomphale ! Hors de question d’être punie pour être montée sur son toit ! Je me demande si Hotaru, mon amie d'enfance, sera sur le chemin pour me prêter une feuille de tanuki. De quoi me dissimuler ni vu, ni connu. Mais non. Cette fois-ci, elle est trop loin pour m’aider ! Tant pis, je n'ai qu'à poursuivre ma course.

Notre village n’est pas bien grand. Tokiya se moque de la boue qui me recouvre alors que je fuis. Sa mère Mifune le reprend et me dit d’arrêter mes bêtises tandis que je suis déjà loin. Je saute par-dessus le jeu de shogi des oncles Tomo et Kujo, qui se mettent aussi à me poursuivre. Alors que la nuit tombe, que les étoiles baignent notre forêt de leur éclat, je rigole et termine ma course par un passage que je suis la seule à pouvoir prendre. Les anciens sont trop grands et gras, par rapport à moi, pour passer dans ce tunnel ! J’ai gagné !

Enfin, être la seule renarde d’un village de viverrin, en soi, ce n’est pas très courant. Je prends mon temps sur le chemin vers mon chez moi. Quand j'y pense, ma mère était une Yoko comme on en trouve peu. Amoureuse d’un humain elle vint à quitter le monde des esprits pour celui des humains. Pourtant, le Ningendo est dangereux pour nous ! Les hommes ont peur de nos pouvoirs, c'est Oyaji qui me l'a dit. Elle serait revenue avec moi dans ses bras, enveloppée dans un linge. Il parait qu'elle me serrait fort contre elle, malgré ses blessures et le sang qu'elle perdait. Finalement, elle n’a pas survécu à tout ça. Depuis lors, le village prend soin de moi. Car entre esprits de la nature on s'entraide.

Pour tout dire, j’aime à croire que cette légende sur les âmes est vraie. Cela voudrait dire que maman est juste partie rejoindre l’âme de celui qu’elle aime ! Je n'ai donc aucune raison d'être triste. Mais je sais que ce ne sont que des rêves, il me suffit de regarder mon triste terrier pour le comprendre. Hotaru m’a d'ailleurs déposé un peu de lapin devant l'entrée. Elle est adorable.

M'emparant de ce précieux présent, je le maintien dans ma gueule avant de me glisser dans ma tanière. Je l’ai moi-même façonnée et j’en suis fière. Enfin, je reste une piètre chasseresse, et je dépend encore grandement du village pour me nourrir. Au moins, mes pouvoirs m’ont permis de solidifier la terre, le feu du renard est bien pratique pour ça. Et puis, parfois, je trouve des breloques humaines qui passent par un portail entre nos deux mondes. C’est ma petite collection personnelle que j'ai installée contre les parois ou dans les profondeurs de mon antre.

Posée, et ayant fini de dévorer mon maigre repas, je nettoie mon pelage d’un joli noir. Le bout de ma queue est d’un terne marron, mais un bon coup de langue et d’eau me permet de lui rendre son blanc éclatant. Un morceau de verre du monde humain me sert de miroir, alors que je m’occupe de mes oreilles. Une léchouille sur les poils de ma patte et hop, je la glisse sur le haut de ma tête. Le geste devient vite mécanique, d’autant que mon lit de feuilles m’est agréable. Il a une odeur de menthe depuis que j’y ai glissé quelques brins ce matin.

Fatiguée, je fini par m'endormir. Alors que mes paupières se font lourdes, mes songes vont à ma mère. J’aurais aimé la connaître… et sans m’en rendre compte, une larme finit par quitter mes yeux bleus pour glisser sur mon museau. Elle vient finir sa course au milieu du feuillage, seule. Si j’avais un unique souhait, ce serait de pouvoir la rencontrer.

« Jiki ? Jiki ?
— Laisse-moi dormir Hotaru. »

Je ronchonne, me remettant bien en boule dans mon nid. Et pourtant, on insiste encore en me secouant. C’est énervée que je me réveille, prête à mordre l’opportun quel qu’il fut. Mais finalement, il n’y a personne. Perplexe, je m’étire et hume l’air. Il y a un parfum que je ne connais pas de mélangé aux effluves de menthe. Quelqu’un est bien venu chez moi.

Je me dis que je devrais prévenir les gens du village mais… Finalement non. Lorsque je passe le bout de mon museau dehors, je remarque que la nuit est encore là. Le ciel est si dégagé qu’il brille d’un éclat surréaliste. A cette heure-ci, les Anciens et le village doit dormir. Je ne veux pas être une gêne pour eux, car malgré mes jeux ou pitreries, ils m’ont toujours aidée et aimée.

Je décide de me servir de mon flair pour pister mon visiteur opportun. Bon, il n’est pas aussi pointu que celui d’un canidé comme ces fichus tanuki de malheur, ou que l’okami qui dirige la forêt. Mais je peux dire que je me débrouille plutôt bien en tant que vulpes. En tout cas, l’odeur me mène en direction de la rivière. Bientôt, le son de l’eau vient se mélanger à celui des insectes ou encore, du vent dans les branches d’arbres. C’est comme un chant, et je baisse un peu ma garde. Je suis en territoire sauf ici, je n’ai donc rien à craindre.

Je garde ma piste, mais alors que ma patte avant aurait dû finir sur la terre boueuse, c’est une pierre inconnue que je touche. Dès lors, mon paysage change. Je ne suis plus dans ma forêt, mais j’ai la sensation qu’il me suffira de me retourner pour la rejoindre. De rebrousser chemin, tout simplement. Pourtant, quand je tourne ma tête de renarde derrière moi, je ne vois qu’un buisson.

Peu rassurée, je m’avance sur ces pavés. Les lieux sont déserts, et le ciel bien moins étoilé. La cour devant moi est clairsemée de nombreuses feuilles mortes. Le grand arbre, cerclé d’une corde et de talisman, répond à ma question muette autant que le puits, et le grand tori rouge.

« Un temple ? » murmurais-je, avant de commencer à m’y promener.

Les anciens m’en avaient parlé. Parfois, certains des nôtres choisissaient de servir, et protéger, des entités encore plus incroyables que nous, les esprits. On les nomme « Kami », et ils sont la Nature même mais sous différentes formes, et avec différentes visions des choses. Ils sont là pour guider et protéger le monde des hommes. Quant nous, nous sommes là pour veiller à leur bien-être. Du moins, à l’origine. Car avec les siècles, le monde des hommes a changé et nous avons fuit vers un endroit de paix.

Alors que je vadrouille ici et là, curieuse, une forte brise me fait glapir. Le vent se façonna, et sans que je ne puisse bouger une patte, un Kami prit forme. Son kimono était pourvu de manches qui semblaient infinies, un effet de nuage et de coton offrant cette illusion. Sa chevelure était tel un ruisseau. Sa peau scintillait comme les perles des larmes de Yuki Onna. Un visage parfait, mais que je ne pouvais définir. Etait-ce un mâle ou une femelle ? J’imagine que cet être est au-dessus de cela.

« Jiki no Yoko, fille de Rokusho no Yoko, soit la bienvenue en mon sanctuaire. »

Je ne peux que rester paralyser face à elle, me demandant ce que je dois faire. Alors, elle s’approche et je me mets en boule. Je n’aurais pas dû embêter Oyaji ? Mais finalement, elle me prend doucement dans ses bras. Son sourire est chaleureux, et c’est timidement que j’y réponds. De même que je formule la question qui me brûle les babines.

« Vous m’avez fait appeler Kami-sama ?
— Il serait juste de dire que j’ai entendu ton vœu. Rokusho m’a servie fidèlement des siècles durant, je pense qu’il est temps que tu saches pourquoi elle a choisit le monde des hommes. »

Sa voix a comme un écho, mais elle m’apaise étrangement. Je fini par inconsciemment me blottir contre elle, et ne me rend compte qu’elle m’emporte dans les cieux qu’après. En un instant, nous sommes au-dessus des nuages. Je peux alors voir ce ciel étoilé, si similaire au miens. Non… Il n’y a pas de nuages et pourtant : pourquoi y a-t-il moins d’étoiles ?

« Rokusho n’a pas choisit un humain, mais m’a choisit moi. Je ne peux quitter le monde des hommes, car je dois les protéger. Protéger ces cieux. Et ta mère m’y aidait jeune renarde…
— Pourquoi ?
— Si jamais les étoiles venaient à disparaitre, le monde dans lequel les humains vivent s'en verra anéantis !, me dit-il tristement avant de poursuivre, La nature sera dévorée et le monde des esprits disparaîtra à son tour. Car leurs âmes sont liées. »

Les mondes sont… vivants ? Ils ont une âme ? Finalement, j’écoutais Kami-sama me raconter qui était ma mère tout en me perdant dans les étoiles. Sans que je ne m’en rende compte, je fini par de nouveau m’endormir entre ses bras chaleureux. Mais à mon réveil, j’étais dans ma tanière. Et le vent me murmura qu’il m’attendrait. Oui, je deviendrais une Yoko digne des dieux. Et alors, je protégerais les étoiles et les âmes de nos mondes : comme ma mère.

Mais avant ça, je dois aller réveiller Oyaji et déranger la partie d’oncle Tomo et Kujo ! Il faut bien que je m’entraîne après tout !

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