Les 20 minutes les plus longues de mon existence

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Le dix-huit avril dernier, à 15 heures, j’avais le premier rendez-vous téléphonique avec mon éditeur. Je devais lui poser toutes les questions que j’avais sur le projet de contrat d’édition qu’il m’avait envoyé la semaine précédente. Nous avions convenu, par mails, qu’un rendez-vous téléphonique serait plus efficace qu’un interminable échange de mails. J’avoue aussi que j’avais très envie d’entendre sa voix et de « voir » (au téléphone) si le courant passait bien entre nous.

15 heures donc, je suis dans mon antre – là où j’écris au milieu de mes livres et de mes guitares -, j’ai coupé la musique et vérifié au moins quinze fois que mon téléphone n’est pas en silencieux et…. Rien. Bon, je me suis dit qu’il avait sans doute quelques minutes de retard, que ce n’était pas grave, qu’il allait appeler bientôt et qu’il fallait que j’arrête de stresser.

15 heures et 5 minutes : il n’a toujours pas appelé. J’ai encore vérifié – au moins quarante fois – que le téléphone fonctionnait et qu’il n’est pas en silencieux. Je me décide à l’appeler : une sonnerie, deux, puis, trois… Ça bascule enfin sur le répondeur. Je lui laisse mon message, le plus aimable possible, lui disant qu’on avait rendez-vous et que je restais à sa disposition quand il voulait.

Là ont débuté les vingt minutes les plus longues de toute ma vie. Car il n’a finalement rappelé qu’à 15 heures 25, soit environ vingt minutes plus tard. J’ai eu le temps de rebalayer toute l’histoire de Gilbert depuis le début, de sa genèse avec les défis proposés à l’époque par LéaC, et puis de la rencontre entre ces réponses aux défis avec l’envie que j’ai, depuis l’âge de mes 15 ans environ, d’écrire l’histoire d’un tueur malgré lui ; des idées qui m’étaient venues pour les différentes missions, des recherches associées, de la documentation ; de la rédaction de ces missions ; de la question de savoir comment j’allais bien pouvoir terminer cette histoire, sans tomber dans une énumération de missions de plus en plus périlleuses. Puis, quand j’ai mis un point final à cette histoire sur Scribay, vos réactions enthousiastes, la décision, un peu folle, d’envoyer les « Aventures de Gilbert » (nom à l’époque) à des maisons d’éditions, juste le jour de mon soixantième anniversaire, moi qui avait dit depuis mon arrivée sur ce site que je ne cherchais pas à être publié. J’avais quand même fait près de 70 envois à l’époque, dont près de la moitié sous forme papier, avec impression et affranchissement. Je me suis souvenu aussi que j’avais ratissé tellement large que j’avais inclus – je n’y connaissais pas grand-chose à l’époque – toutes les maisons d’édition à compte d’auteur dans ce panel. La joie de recevoir les réponses – rapidement avec ces dernières maisons à compte d’auteur, forcément… - et comme j’ai déchanté rapidement en lisant les contrats : 800 € par-ci, 2350 € par là. Cela m’a vraiment fait comprendre que je voulais être publié, mais pas à n’importe quel prix. Autant j’étais prêt à mettre la main à la poche pour le papier, l’encre, les enveloppes et les timbres, autant, je n’allais pas moi-même payer l’édition. C’était un choix que, maintenant, je ne regrette pas.

Je me suis rappelé aussi tous les échanges avec vous, dans les commentaires, les quelques incohérences qui ont été relevées par vos soins, toutes les corrections, de grammaire, d’orthographes, qui étaient restées malgré les nombreuses relectures. Me sont également revenues en mémoire toutes les lettres des maisons d’édition – à compte d’éditeur celles-ci – avec la sempiternelle réponse : « nous vous remercions de votre confiance, blablabla …/… nous saluons la qualité de votre manuscrit, blablabla ../… mais il ne correspond malheureusement pas à notre ligne éditoriale actuelle ou notre catalogue est actuellement plein et nous ne cherchons pas de nouveaux auteurs ». Voilà, plié, jeté, au revoir, on n’en parle plus.

Je me suis souvenu du découragement. J’avais fini par y croire, sans doute par prendre mes désirs pour des réalités. J’ai donc eu un grand coup de mou, entre mars et mai 2021. Bon, ce n’était sans doute pas non plus étranger au fait de changer complètement de vie après 40 ans... Il y avait sans doute un lien, même direct.

Et puis un matin, je me suis réveillé avec la certitude que ça marcherait un jour. Je ne savais pas quand, ni avec qui, mais un jour, Gilbert serait publié. Ce jour-là, j’ai repris toutes vos remarques, toutes celles que j’avais eu sur ce premier jet et je les ai regardées en face. Il y a eu entre autre, une suggestion de ma sœur, qui m’a semblé particulièrement pertinente : il fallait que je me décide entre plutôt un polar, avec de l’humour ou un gros livre de rigolade, avec un peu d’intrigue dedans… Elle m’avait dit qu’il ne lui semblait pas que j’avais fait un choix clair entre ces deux possibilités. Elle avait totalement raison.

Je me suis donc attaché, en parallèle de mon départ à l’autre bout de la France, à réécrire totalement cette histoire. Elle a d’ailleurs changé de titre, devenant « Comme des mouches » (L’homme fatal ou les aventures de Gilbert), titres suggérés avec bonheur par mon ami Enlil Enki, qui avait été l’un des premiers fans de Gilbert lors de sa publication sur le site de Scribay. J’ai donc remis les mains dans le cambouis, évitant les copier-coller et privilégiant une réécriture totale. Mon écran était divisé en deux : à gauche l’ancienne version dont tous les défauts me sautaient au visage et à droite, la nouvelle histoire, qui, à n’en pas douter, serait publiée un jour. Plus j’avançais, plus je comprenais les refus des maisons d’édition. La première version était lourde avec les pensées de Gilbert. Le comique au début devenait franchement lassant. Le personnage manquait de profondeur, c’était souvent juste un « connard »… Difficile de s’attacher à une telle personne. J’envoyais chacun des nouveaux chapitres à LéaC qui les relisait sans concession. Elle avait compris que je visais de passer à un autre niveau d’écriture et donc, elle ne laissait rien passer des répétitions, des verbes faibles, de ma sale habitude de commencer des phrases par « et » ou par « mais », l’oubli des points en fin de ligne de dialogue…. Bref, ça a vraiment été du travail. Je les envoyais également à Enlil, qui avait malheureusement quitté le site depuis quelques temps et nos échanges de mail, ses suggestions m’ont également permis de bien enrichir cette nouvelle version. Etienne, mon ami Etienne Ycart a aussi beaucoup relu et annoté les premiers chapitres, même s’il a un peu regretté que « j’adoucisse » un peu Gilbert, il aimait beaucoup le coté farce du personnage dans la version initiale, mais il a respecté mon nouveau choix.

Il y a eu aussi toutes vos remarques, commentaires, annotations sur cette nouvelle version, majoritaire des encouragements sur le fait que « Comme des mouches » était devenu plus fluide, plus aisé à lire et surtout, que les premiers chapitres semblaient moins décousus, qu’il commençait à y avoir une réelle cohérence entre eux.

Plus le travail avançait et plus je comprenais que j’avais été extrêmement présomptueux en envoyant une première version bancale, pas très bien écrite. Les réponses négatives n’étaient finalement pas étonnantes. À la limite, c’était même plutôt bien de leur part que la moitié de ces maisons d’éditions aient pris la peine de me répondre.

En octobre 2022, j’ai mis une touche finale à cette nouvelle version. Au passage elle avait gagné un certain nombre de pages, de la profondeur et de la cohérence. J’en étais vraiment devenu fier et je savais, en mon for intérieur que cette version-là serait publiable. Restait à trouver la bonne maison d’édition.

J’ai donc repris la liste des maisons d’éditions auxquelles j’avais fait le premier envoi, vérifié leur ligne éditoriale, éliminé celles auxquelles il fallait envoyer un manuscrit papier, exclu également toutes celles qui m’avaient dit que l’histoire n’était pas dans leur ligne éditoriale. Il n’en est plus resté qu’une quinzaine auprès desquelles j’ai fait un envoi électronique.

Ensuite, coup de bol, je suis tombé sur un auteur, ici sur Scribay qui était publié aux Editions Complicités, maison que je ne connaissais pas. Je me suis renseigné : c‘était une maison d’édition parisienne existant depuis 1991, donc pas un « feu de paille ». Cet auteur avait publié deux livres chez eux, donc, il avait dû être content de sa première coopération avec eux. Je l’ai donc rajoutée à ma liste et je leur ai fait un envoi, en janvier 2023, il me semble.

Je suis ensuite reparti, avec des hauts et des bas, des accélérations et de longues pauses parfois, dans la rédaction de ce qui m’occupe beaucoup, à savoir « La tête dans les étoiles », cette histoire de la conquête spatiale française, du nucléaire français, militaire puis civil et de l’évolution du monde et des mœurs entre 1939 et 1982, au travers de la vie d’un couple atypique. Entre les recherches, les lectures et la compilation des faits historiques pour élaborer cette histoire, ma vie bretonne, mes journées ont été bien occupées cet hiver et ce début de printemps. Pour tout dire, je pense que j’avais un peu oublié ces envois de « Comme des mouches ».

Et puis, le 14 avril à 16h31, alors que j’étais en train de préparer mes notes pour la rédaction du chapitre 50, l’année 1977, j’ai reçu une notification de ma boite hotmail : un mail des Editions Complicités :

Cher Monsieur,

Suite à la lecture du tapuscrit, j'ai le plaisir de vous confirmer que nous serions ravis de poursuivre la collaboration avec vous.

Nous prévoyons de publier un ouvrage de 170 pages au prix de vente de 17 €. Un tirage de 100 exemplaires est prévu au lancement. Bien entendu, les retirages sont pris en charge en fonction de la demande effective.

Je reste bien entendu ouvert à la discussion sur ce contrat que vous trouverez en pièce jointe, il me serait très utile d'avoir votre sentiment quant à celui-ci.

Dans l'attente de vous lire, je vous souhaite une excellente fin de semaine.

Bien cordialement.

Le contrat précisait clairement le titre de l’ouvrage « Comme des mouches »

Cependant, durant ces 20 interminables minutes, j’ai eu le temps de me dire : et s’il s’était aperçu que c’était une erreur ? Et si finalement, après avoir relu le manuscrit, il s’était dit que c’était une grosse daube ? Et s’il n’osait pas me le dire ou qu’il ne savait pas comment ?

Heureusement, à 15 heures 25, le téléphone a sonné, c’était lui et le courant est très bien passé entre nous.

J’ai renvoyé le contrat signé en fin de semaine, accompagné du manuscrit relu une toute dernière fois.

Mais ces 20 minutes m’ont semblé tellement longues, infiniment longues. Elles m’ont semblé durer près d’un an avec tout le parcours de cette histoire qui m’est revenu en mémoire.

J’aurais pu vous parler aussi des quelques secondes avant que je décide de changer de vie, qui m’ont semblé durer très longtemps, durant lesquelles, j’ai vu tous les possibles défiler, toutes les alternatives s’offrant à moi se dérouler devant mes yeux pour finalement faire la seule chose qui me permettait de rester vivant et de redevenir moi-même. Mais ceci est une autre histoire….

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