1-1 : Retrouvailles

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 Les yeux rivés sur la poussière du chemin, Ombeline se demandait comment les choses avaient pu en arriver là. Trois jours plus tôt, les troubadours avaient monté le camp. Des feux avaient été allumés. Les carrioles avaient été disposées en cercle et le repas cuisait doucement comme à l’habitude. Les enfants jouaient et criaient. Une troupe de soldats aux armoiries inconnues était alors apparue. Ils avaient rapidement désarmé les personnes capables de leur résister, assommé les plus récalcitrants. Ils avaient ensuite séparé les troubadours en deux groupes : d’un côté, les familles avec de jeunes enfants, de l’autre le reste des ménestrels, dont Ombeline. Les familles avaient été laissées là. Les autres avaient été entravés, liés entre eux en une grande colonne de prisonniers puis emmenés pour une destination inconnue. 

 Cela faisait 3 jours qu’ils marchaient ainsi. En chemin, ils avaient rejoint d’autres bandes de soldats et de captifs. Les militaires ne faisaient montre ni de violence ni de compassion, juste d’une neutralité efficace qui avait vite fait comprendre que tout acte de rébellion ou tentative d’évasion auraient des conséquences désagréables, si pas funestes, pour les coupables.

 Ainsi Ombeline regardait sombrement ses pieds en avançant encore et encore. Elle était fatiguée. Elle était sale. Elle avait peur aussi, même si elle mettait un point d’honneur à ne pas le montrer, retenant rageusement ses larmes. Du bruit devant elle lui fit relever la tête. Elle vit alors apparaître les silhouettes de nombreuses tentes. Ils arrivaient à un campement. D’autres files de prisonniers approchaient, avec leur escorte de soldats. On les parqua dans un immense abri, avec ordre de s’asseoir. Impossible de savoir combien de prisonniers et de prisonnières s’entassaient ici, probablement plus d’une centaine. Les visages étaient fermés, les regards sombres, ou hantés par la terreur. Ombeline réussit à s’installer avec ses compagnons d’infortune dans un coin, le front posé sur ses bras croisés sur une de ses jambes. Avec autant de corps dans un espace clos, la température commença à monter de façon pénible. L'oderu aigre de la sueur était étouffante. On pouvait entendre des hommes jurer tout bas, quelques sanglots étouffés, des prières désespérées.

 Ombeline soupira, trouvant son unique réconfort dans la proximité de certains de ses compagnons et compagnes de route. La troupe l’avait recueillie, elle, l’enfant perdue qui avait essayé de les voler. Ils avaient plus fait pour elle en trois ans et demi que n’importe quel Whorgram durant ses onze années d’existence à Fort Daenlorn. Les troubadours étaient devenus la famille qu’elle n’avait jamais réellement eue.

 Soudain, elle entendit des voix se rapprocher de la tente. L’entrée de toile se souleva, laissant passer un individu à l’allure altière, des gradés et un vieil homme. Le vieillard se mit à déambuler entre les prisonniers avec un des militaires. Il montra quelqu’un, puis un peu plus loin une autre personne, puis une troisième. Tous étaient emmenés. En arrivant près d’Ombeline, le soldat la força à lever la tête, lui agrippant les cheveux d'une poigne ferme. Le vieux hésita un peu puis… « Oui… Elle aussi. »

 Ombeline tressaillit en l'entendant l'appeler ainsi, au féminin. Qui était-il? Comment savait-il? Son visage lui rappelait vaguement quelque chose, un souvenir flou. L'avait-elle croisé dans une taverne? Lors d'un spectacle? Sur un marché? Ailleurs? On la conduisit dans une autre tente, plus petite. Les trois autres personnes précédemment désignées étaient déjà là, attachées au poteau central de la tente. Rapidement, Ombeline fut ligotée à son tour, les mains dans le dos, contre le pilier. Le silence régnait. Une lanterne laissée au sol lui permettait d’apercevoir les traits de ses codétenus. Leurs aspects lui paraissaient familiers… Soudain, l’un des prisonniers interpella son voisin :
— Khordel, c’est toi ?!?
— C’est bien moi, il me semblait bien reconnaître ton visage, Balgor,
— Ainsi nous sommes presque tous réunis si je comprends bien, intervint le dernier
— Barthélémius ? demanda Ombeline
— Et oui Petite Sœur, c’est bien moi.

Un silence pesant s’installa. Pas évident de reprendre contact quatre ans après s’être éloignés dans des circonstances aussi brutales. Mais la curiosité de la jeune fille prit le dessus face à la situation.
— Alors ? Qu’êtes-vous devenus depuis… notre séparation ?
Kordhel grommela.
— Mercenaire. 4 ans de batailles. Avec Lucian.
— Oh… Il est dans le coin ?
— Je crois pas, on venait d’être envoyé sur des missions différentes…
— Ah… avec de la chance, il échappera à ces gens… Vous connaissez ces armoiries vous ?
— Non, répondit Barthélémius, pégase d’or sur champ noir… ça ne me dit rien du tout.
— Et toi Barthélémius, qu’as-tu fait pendant quatre ans ? demanda Ombeline,
— Moi ? Et bien… J’ai… J’ai… étudié.
— Étudié ? Étudié quoi ?
— Oh… des choses et d’autres…
— Mhmmm…
— Et toi, Petite Sœur ?
— Je suis d’abord restée avec Balgor. Mais on a été séparé un jour sans que je réussisse à le retrouver. Je me suis débrouillée seule quelques mois avant d’intégrer une troupe de troubadours. Je vis avec eux depuis trois ans et demi environ…
— Mais pourquoi ce travestissement ? interrogea Khordel
— Au cas où ça aurait échappé à ton sens de l’observation Kordhel, être une fille isolée, à la rue, est une chose dangereuse. Ça m’a évité certains… risques.
— Ah… oh… oui… je… comprends.

 La conversation s’éteignit. Khordel tenta d’attraper la lampe avec son pied, jurant quand il constata que c’était impossible. Ombeline cherchait au sol un caillou un peu tranchant pour essayer de cisailler ses liens. Mais rien, la terre battue ne recelait que poussière et gravillons. Dépitée, elle soupira et reprit la parole :
— À votre avis, ils nous veulent quoi ?
— Que veux-tu dire ? On n’a pas eu de chance. Ils nous ont capturés parce qu’on était au mauvais endroit au mauvais moment non ?
— Eh bien, c’est vrai qu’ils ne se sont pas contentés de nous. Mais ensuite, vous avez bien vu, dans la grande tente, un vieux nous a désignés un par un. Je pense que nous étions particulièrement ciblés.
— Oui, renchérit Barthélémius, je suis du même avis. Moi, ils sont venus me chercher jusque dans la maison de ma… hum… protectrice. J’étais tranquillement installé au salon, je m’apprêtais à déguster un DÉLICIEUX thé au miel quand ils ont débarqué et m’ont kidnappé. J’étais très clairement leur cible, ça n’avait rien de hasardeux. Je n’ai même pas eu le temps de savourer une gorgée de mon thé…
— Mais pourquoi ? demanda Balgor, Ça n’a aucun sens ! Nous ne sommes personne, nous n’avons même pas de nom !

 Tout à leur questionnement, ils entendirent soudain des cris et des vociférations au-dehors. Un groupe, dont au moins un membre en colère, se disputait et semblait se rapprocher de la tente. Le rabat de toile fut brutalement écarté et quatre personnes entrèrent. Avec le contre-jour, la fratrie n’arrivait pas à bien les voir. Ils reconnurent cependant l’individu à l’allure altière, vraisemblablement le chef de la force armée. Était-ce le seigneur dont la troupe portait les armoiries ? Il était accompagné de deux soldats. Mais le quatrième homme, masqué par la pénombre, restait indiscernable à leurs yeux. C’était pourtant lui qui vociférait avec rage et qu’ils avaient entendu avant l’entrée du petit groupe dans la tente.

— Comment OSEZ VOUS Seigneur Hénantier ! J’EXIGE la libération de ces jeunes gens SUR LE CHAMP ! SUR LE CHAMP, VOUS M’ENTENDEZ ! hurla-t-il.

 Le seigneur Hénantier, responsable de leur capture, était tendu et les deux gardes se tenaient sur le qui-vive, leurs mains proches du pommeau de leur épée. Cela n’impressionnait nullement l’inconnu qui continuait sur le même ton, grondant comme mille orages.

— VOUS ALLEZ LES LIBÉRER SÉANCE TENANTE SEIGNEUR HÉNANTIER ! Vous savez QUI je suis !
— Seigneur, je ne fais qu’obéir aux ordres de mon commanditaire. Vous comprendrez bien que je ne peux pas accéder à ce genre de requêtes, pas même pour vous. Surtout pour une bande de va-nu-pieds pareille !
— JE VOUS INTERDIS DE PARLER D’EUX DE LA SORTE ! VOUS N’AVEZ AUCUNE IDÉE DE QUI ILS SONT !
— Que voulez-vous dire ?
— Ces jeunes gens que vous maintenez dans des conditions inacceptables ne sont nul autre que MES PETITS ENFANTS ! VOUS M’ENTENDEZ ?! RELÂCHEZ-LES IMMÉDIATEMENT !

 À ces mots, Ombeline et ses frères eurent un hoquet de stupeur. L’homme se rapprocha.

— JE NE TOLÉRERAI PAS QUE DES MEMBRES DE LA MAISON WHORGRAM SOIENT TRAITES COMME DES CRIMINELS ! IL SUFFIT ! RELÂCHEZ-LES !

 Le seigneur Hénantier avait pâli. L’inconnu, désormais dans la faible lumière de la lampe, était la cible du regard de la fratrie. Ils ne l’avaient vu qu’en de rares occasions, mais… cette mâchoire prononcée, ces sourcils froncés, cette posture. Petit à petit, ils en vinrent tous, chacun de leur côté, à la même conclusion : c’était bien leur grand-père, le seigneur Guearth, là, face à eux. C’était incompréhensible. Toute leur enfance il les avait complètement négligés. Et voilà que, non seulement, il exigeait leur libération, mais il les présentait en plus comme des membres officiels de la branche principale de la famille ? Ils en restaient tous stupéfaits, le souffle coupé, pendant qu'ils observaient l’étrange échange se déroulant devant leurs yeux abasourdis.
— Je… J’ignorais en effet qu’il s’agissait de vos petits-enfants. Mon commanditaire ne m’avait pas informé de cela. Je devais juste retrouver les jeunes gens correspondants à certaines descriptions et susceptibles d’être reconnus par un vieux serviteur de sa maison.
— J’IMAGINE TRÈS BIEN CE QUE MON IMBÉCILE DE FILS VOUS A DIT ! Maintenant, suffis ! Libérez-les immédiatement !

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