Le reste de la population, soit quatre-vingt-dix-huit pour cent, pense que ne pas agir est un signe de faiblesse. "On ne se laisse pas marcher sur les pieds quand même !" Alors quand quelqu'un veut nous faire peur avec un "Vous ne savez pas à qui vous parlez !" le commun des mortels se doit de réagir. On lui a appris à faire comme ça. Depuis tout petit. Quelle maman ne s'est pas réjouit quand son bambin, à grand renfort de cris stridents, s'est mis à cavaler après le chat pour lui arracher des pattes son précieux doudou et lui asséner un coup en se disant que celui ne sa laissera pas faire quand il sera grand ? Qui ne s'est pas régalé devant des programmes télévisuels idiots mais dont l'essence même est d'inculquer à nos consciences la revanche, la rancune, la menace, la surenchère ? Qui ? Personne ? Le commun des mortels, celui qui se laisse emporter par la douce innondation car incapable de nager à contre-courant, alimente l'interminable liste canine. La rhétorique du Chihuahua atteint donc son objectif. Le Laboratory Scribay Institute prévient : "La rhétorique est [...] l'art de l'action du discours sur les esprits." Plus les esprits sont sensibles aux couinement nerveux du Chihuahua, l'action de son discours, plus ils s'y soumettront. Ou alors, dans un formidable élan de fierté, ils tenteront de s'y soustraire par la violence.

 — Vous ne savez pas à qui vous parlez !
 — Si, je sais.