2 — Dalata (2)

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Alessia sortit du forum puis traversa les ruelles sordides de la cité, évitant badauds et gens peu fréquentables de la populace afin de rejoindre l'arène. Celle-ci devait se trouver à proximité du centre de Dalata. La maxime populaire disait que tous les chemins menaient forcément à l'arène. Arrivée à bon port, elle s'inscrivit en tant que combattant libre pour les premiers affrontements en fin d'après-midi.

L'arène était de taille modeste, un jouet d'enfant comparé aux immenses colisées des grandes cités d’Aëlrys. Une simple fosse entourée de plusieurs estrades, une seule loge surélevée par rapport aux autres. Il y aurait foule ce soir, le vieil adage « Du pain et des jeux ! » était toujours de coutume, encore plus dans les rares cités septentrionales du Haut-Korvalys. La vue du sang réchauffait les cœurs, qu’il s’agisse de paysans, patriciens, marchands ou mendiants cela importait peu.

Son estomac criant famine, la jeune femme prit un repas frugal composé de lanières de viande séchée et de fruits secs qu’elle tira de son sac de voyage. Elle déambula ensuite aux alentours, parcourant les quelques échoppes, se renseignant sur d'éventuels contrats auprès de l'intendance civique. L'après-midi passa en un éclair et Alessia fut vite de retour à l'arène. Le début des hostilités ne fut guère divertissant pour une combattante comme elle. Les gladiateurs professionnels étaient une denrée rare, on ne les ferait certainement pas concourir contre le premier quidam.

Le premier fut un jeune gringalet de seize printemps, qui semblait avoir autant d'expérience avec les armes qu'avec les charmes de la gent féminine. Plus habitué au maniement des outils agricoles, il n'avait jamais dû poser la main sur une épée, et vu les regards intéressés qu'il décrochait à la mercenarii, n'avait jamais dû danser le branle du loup au cours de sa brève existence. Elle ne lui fit grâce que de simples préliminaires, le désarmant sans méchanceté après quelques passes d'armes maladroites. Le deuxième, un homme d'un âge plus mûr, ne fit guère mieux avec sa grosse masse, qu'il avait dû emprunter sur un chantier. Plusieurs regards dans l’estrade entre les combats permirent Alessia d’observer en détail les nobles les plus riches qui avaient daigné se rendre dans l'arène aujourd’hui. Elle déduisit rapidement lequel d’entre eux était le fameux fils du sénateur Varius de Castell, aux atours les plus luxueux, toge d’un pourpre sombre et bordé de liserés d’or.

Le troisième combattant, un ancien veterani d’une des Legios de Korvalys, d’après le tatouage qu’elle remarqua sur son bras gauche, comptait lui offrir plus de résistance. Il portait une lorica segmantata usée ainsi que l'équipement standard : un glaive, un bouclier ovale de taille moyenne et un javelot, le pilum. Tout comme elle, le légionnaire avait passé avec brio les premiers combats.

Alessia remarqua que le Castellan avait daigné jeter un œil sur l'affrontement qui allait se dérouler dans l'arène, étant resté plutôt désintéressé lors des échauffourées précédentes. Assis dans la loge la plus luxueuse, il sembla murmurer à l'oreille de l'éditor de l'arène qui se trouvait à ses côtés. Ce dernier se leva de son siège puis s'avança au bord afin de faire une annonce. La mercenarii se fendit d'un sourire, les intentions du cadet De Castell limpides.

— Gentes dames et sires, afin de rendre cette soirée de spectacle plus divertissante avant les combats professionnels, j'ai le plaisir de vous annoncer que le prochain duel sera un combat jusqu'à ce que mort s'ensuive. Que le sang coule pour les ouailles de Dalata ! s'époumona-t-il marquant le début de l'affrontement d'un bras levé inquisiteur.

La foule exulta à grands cris, ravie par la perspective de voir enfin un véritable match à mort en ce début de réjouissance.

— Sache que ça n'a rien de personnel, femme.

Les mots étaient sortis de la bouche du légionnaire avec simplicité, son visage aussi expressif qu'une statue de marbre des héros de guerre de jadis. Alessia ne lui accorda même pas le luxe de lui répondre. En effet ça n'avait rien de personnel.

Les deux adversaires se regardèrent d'un air circonspect, cherchant les failles de l'autre. Le légionnaire tenait fermement son javelot. Il allait le lancer, se doutait Alessia. Elle n'aurait alors qu'à foncer à toute vitesse pour éviter le pilum. Il fallait qu'elle cale parfaitement le début de sa course avec la prise d'élan de son adversaire, autrement celui-ci aurait le temps de réajuster sa trajectoire et le javelot irait s'empaler droit sur elle.

Le légionnaire se mit en mouvement, arma son javelot vers arrière. Alessia fila comme le vent, dégainant Crépuscule, elle n'avait que quelques secondes pour atteindre l'homme.

Elle fut sur lui en un éclair, prête à le frapper en plein torse. Elle ne dut son salut qu'à un réflexe surhumain, guidé par son instinct. La mercenarii esquiva au dernier moment la pointe de fer du pilum qui manqua de l'embrocher. Le légionnaire, contre toute attente, avait usé de son javelot comme une pique. Alessia répliqua immédiatement d'une large fente horizontale, mais Crépuscule ne fit que rebondir contre le bouclier du guerrier.

Elle recula de plusieurs mètres afin de réfléchir à une approche différente. La fougue du combat brûlait dans ses veines. Elle s'interdit cependant de dégainer Aube. Si elle triomphait trop facilement, le Castellan la dédaignerait, pensant que c'était son adversaire qui n'avait pas été à la hauteur. L'homme ne lui laissa guère de répit et fut sur elle en quelques instants. Intrépide, il essaya de nouveau de l'empaler. Alessia esquiva sans mal la pluie de coups d'un pas sur le côté, mais toute forme de contre-attaque fut vaine, car le légionnaire protégeait immédiatement ses flancs à l'aide de son bouclier.

Le pilum, par sa nature, n'était pas conçu pour une telle utilisation, destiné à se briser au premier impact contre un bouclier. Alessia avait toujours refusé d'utiliser ce genre de protection, préférant garder une main libre pendant le combat si possible. Et un poignard pendait à son ceinturon. Si elle arrivait à atteindre la hampe du pilum, ce dernier se fracasserait en deux. La jeune femme chargea son adversaire, tandis que celui-ci d'un mouvement pénétrant tentait de nouveau de l'empaler.

La mercenarii se concentra en son for intérieur, l'écoulement du temps se ralentit à ses yeux. Le pilum voltigea dans sa direction, mais à une vitesse indolente. Sa capacité ne lui permettait pas de transcender les lois de la physique, elle était atteinte de la même lourdeur que son adversaire. Mais elle, pour compenser, avait une parfaite maîtrise de son corps. Corrigeant sa trajectoire avec celle de la pique de fortune, elle glissa le long de la hampe en bois puis entama un moulinet habile de sa lame vers la main du légionnaire.

Elle aurait pu tenter de le frapper au torse, mais le tranchant n'aurait fait que ricocher sur la lorica. Son coup fit mouche et la partie supérieure du javelot s'écrasa à terre. Surprit, l’homme fit quelques pas en arrière, jetant le reste du pilum et dégaina son glaive. Il ne souriait plus et les choses sérieuses allaient commencer.

Mais Alessia ne comptait pas lui laisser le temps de souffler et elle repartit aussitôt à l'assaut. Comme escompté, il se réfugia derrière son bouclier et s'attendit à des frappes en quarte ou en sixte. Prenant son impulsion elle se propulsa à toute vitesse sur le bouclier, se réceptionna sur ce dernier, prit appui puis bascula d'une pirouette par-dessus l'épaule de l’homme.

En un instant, quasi imperceptible, Alessia attrapa sa dague et la planta dans l'entrouverture de la lorica, au niveau du creux de l'épaule, déchirant tendons et muscles sur son passage. Hurlant de douleur, le légionnaire se retourna et tenta de frapper son assaillante à l'aide de son bouclier par réflexe. Le mouvement ne vint jamais, son bras pendouillait mollement le long de son torse. Après un second cri, il laissa tomber son bouclier à terre. Se sachant condamné, il moulina afin d'atteindre la mercenarii avec son glaive.

Elle para sans grande difficulté ses assauts patauds et grossiers, puis à la faveur d'une ultime parade une once décalée, dévia la lame du glaive vers l'extérieur d'un mouvement du poignet. Elle fit un bond en avant et fendit en deux la gorge découverte du légionnaire d'un mouvement circulaire. Il heurta le sol de l'arène, à l'agonie, son fluide maculant le sable d'un rouge ardent.

Puis la populace exulta.

Elle sortit sous un tonnerre d'applaudissements. Même si elle n'éprouvait aucune joie à l'idée d'avoir tué quelqu'un, elle ne put empêcher les acclamations de réchauffer son cœur.

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