5 — Embuscade (2)

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Ils finir par remonter une petite butée, à une dizaine de mètres des portes du hameau. Un bien grand mot qui désignait une arche branlante et prête à s’écrouler, entourée de palissades en bois rudimentaires. Alessia et son compagnon la traversèrent. À vue d'œil, le village ne comptait pas plus d’une vingtaine d'habitations. Murs en torchis et toits en chaume, la plupart étaient bâtie sur des pilotis. De par la proximité des marais, les inondations devaient être fréquentes en cas de pluies abondantes. Seul bâtiment en pierre, un ædes de taille modeste trônait au centre d’une place exiguë.

— Et maintenant où allons-nous, capitaine ? fit la mercenarii. Pittoresque endroit.

— Au Crapaud Bouffi, une auberge, énonça Lex, on doit juste descendre la ruelle sur la gauche, c’est le grand bâtiment au fond. On devrait y obtenir des informations sans trop de problèmes.

Alessia et Lex mirent pied à terre et attachèrent les chevaux à un piquet sous un abri en bois rudimentaire près de la place puis se dirigèrent vers le fameux établissement. La bâtisse désigné par Lex était plus haute et plus importante que les autres masures, aux colombages renforcés par des poutrelles en bois. De sa cheminée en briques s’échappait une longue chape de fumée grise. Au-dessus du seuil, se trouvait un encadré avec l’inscription « Le Crapaud bouffi » suivi d’une représentation grossière de ce dernier. Le capitaine prit la tête et entra en premier dans l’auberge, talonné par la mercenarii. Elle ne fut pas surprise par ce qu’elle y découvrit.

Effluve âcre, mélange de pisse et de bière éventé. Un bar miteux et poussiéreux, aux coins recouverts de toiles d’araignées derrière lequel se tenait un vieillard avachi, occupé à lustrer une rangée de chopes en bois. Au centre, la cheminée aux flammes crépitantes dévoilait des tables et des chaises rudimentaires, assemblage parfois hasardeux de planches en bois clouées les unes aux autres. Peu d’entre elles étaient actuellement occupées aussi tôt en après-midi, par petits groupes, par exemple sur la droite, trois fripons ripaillaient tous en jouant aux cartes, pariant des pièces de petite-monnaie. Un autre, dans le fond, semblait s’être endormi sur sa chaise. Et pour finir, attablés au comptoir, deux rudes gaillards revêtus de mailles et de cuir, probablement membre de la milice locale.

C’est dans cette direction que se dirigea Lex dans un premier temps. Ils évitèrent sans mal les détritus qui jonchaient le sol et les quelques chaises renversées puis tirèrent deux tabourets et s’assirent à leur tour au bar. Le capitaine des Lames entama de suite la conversation avec le tenancier et s’empressa de commander deux schnaps.

— Hé gueule d’ange, qu’est-ce que vous venez faire ici, toi et la donzelle ? les interpela soudain le milicien le plus proche tandis que le tenancier s’éclipsait derrière son comptoir. Ici c’est pas un coin pour les gens comme vous. Ceux de la cité.

Ils s’étaient rapprochés, comblant l’espace vide entre eux et le capitaine. Alessia sentit leur regard pesant s’arrêter sur elle. Tout à coup, elle se sentit comme un morceau de viande exhibé en public. Valait-elle le risque que l’on se batte pour prendre possession d’elle ? Pour sa peau blanche douce et délicate, sa longue chevelure de flammes, sa poitrine et ses cuisses galbées ? Autant de détails que s’acharnaient à deviner les deux larrons. N’y avait-elle jamais songé ? Couper une bonne fois pour toutes ses cheveux à la garçonne, se taillader le visage d’une vilaine cicatrice et bien d’autres choses pour soustraire sa féminité à la lubricité quasi-permanente de la gent masculine. Mais dans un sens ne serait-ce pas leur donner raison ? Devait-elle à ce point renoncer à ce qu’elle était pour juste un peu tranquillité ?

— Nous sommes juste de passage, répondit calmement Alessia tout en tournant le chef vers le premier des miliciens. Nous sommes ici pour affaire, mes braves.

— Braves... Il soupira puis regarda son comparse. Ulfberht, une autre tournée. La même. Il marqua une pause devant sa chope vide. Y a que la vermine qui se rencontre à Vlaken. Vous deux, vous m’avez l’air louche.

— Nous ne vous causerons pas d’ennui, reprit Lex. Il glissa son insigne sur le comptoir, bien en évidence. Nous ne sommes que des mercenare. Mandatée par la haute de Dalata.

— Et qui vous envoie ici, mon sire ? lança le milicien après un bref regard sur le blason Castellan.

— Cela ne vous regarde pas, rétorqua Lex. Alors que le tenancier arrivait avec leur commande, il l’interpella. Cette tournée est la mienne. Pour la dame et ces deux messieurs. Santé.

Alessia trinqua avec son capitaine et avala d’une traite la boisson. Elle sentit son estomac grogner, elle n’avait guère eu le temps de prendre une collation avant de quitter le domaine. L’eau-de-vie au goût légèrement fruitée lui brûla la gorge. Elle se retint de tousser après avoir dégluti, histoire de ne pas perdre définitivement la face.

— Tu sembles avoir la bourse bien remplie, gueule d’ange. On peut faire quelque chose pour vous ? fit le milicien après deux gorgées de sa pinte.

— Et toi la langue bien pendue. J’aimerais avoir des informations. Vous devez savoir qui va-et-vient dans le hameau, c’est un petit coin. Y a eu de l’agitation ces derniers temps, ce matin plus précisément ?

— Peut-être, mais c'est pas notre genre de moucharder au premier venu. Montre l’argent et je te dis ce que nous savons moi et mon comparse.

Lex passa de nouveau la main à sa ceinture et deux lys d’argent vinrent s’ajouter aux dépenses de ce début d’après-midi. Le milicien les glissa dans sa paume et les soupesa, comme s’il redoutait une entourloupe.

— Parle et tu en auras deux autres ensuite.

— Y a pas grand monde en ce moment à Vlaken. C’est tranquille. En effet, il y a toujours les petites spécialités du coin. Mis à part les crapules de Dalata qui veulent un peu d’ombre, plus personne ne vient ici. L’hiver a été long et froid. La route, plus personne la connaît. Des fois y a des marchands de passage, mais il ne reste pas bien longtemps.

— Va falloir faire bien mieux que ça. Et ton ami, il en dit quoi ? Ces derniers jours ?

Le milicien frappa du coude son confrère hagard, son regard perdu dans le vide. Le balourd s’ébroua sans comprendre ce qu’on lui demandait. Lex posa de nouveau la question. Il se mit à réfléchir stupidement puis eut soudain une révélation.

— Ah oui, ce matin en effet. Y a eu un peu d’agitation. C’était un groupe de Vipères des tunnels, presque une dizaine. Ils ont traversé le village comme si l’Engeance était à leur trousse. Baldur Oeil de Serpent était avec eux.

— Bien, ils étaient à cheval n’est-ce pas ? Est-ce qu’une femme était avec eux ? De taille moyenne et aux longs cheveux corbeaux. Une mercenarii comme ma sœur d’armes ici présente.

— Non, je ne pense pas, poursuivit-il après s’être gratté le crâne. Je ne les ai aperçus que du coin de l’œil. Les Vipères n’aiment pas qu’on se mêle de leurs affaires.

— Donc ils n’ont pas traversé les marais en barque et sont sortis de Vlaken, conclut Lex. Tu pourrais m’indiquer une direction ? Les Vipères ont un repaire dans les environs ?

— Hé, gueule d’ange, le coupa le premier des miliciens, je crois que c’est assez d’informations pour les quatres lys que tu nous as promis. On balancera pas gratuitement Baldur. Va falloir payer plus, ta donzelle est bien silencieuse. À son tour de raquer. — À ses mots, Alessia glissa une main jusqu’à sa bourse pour se saisir d’une poignée d’aquil — Oh non pas de cette façon ! Elle a de si jolies lèvres… Elle pourrait nous montrer comment elle s’en sert pour faire dresser nos queues.

Lex crispa le poing et le dévisagea d’un regard noir. Alessia lui intima de rester maître de ses émotions d’un hochement de tête. Ce n’était pas la première fois qu’un rustre se permettait de lui faire de telles avances. Elle dégaina un poignard qu’elle planta d’un coup sec dans le bois du comptoir.

— Je pourrais, en effet, admit Alessia en fixant les yeux porcins et lubriques du milicien qui ne sourcilla pas. Mais ne t’attends à aucune caresse de ma part. J’ai entendu dans les bordels d’Arthédas qu’il suffisait d’une poignée de minutes pour qu’un homme se vide de son sang à ce niveau-là.

— Hé, Friedrich, je crois qu’elle te propose de t’égorger le poireau ! Tu as capté ? s’emporta le balourd hilare avant de donner un coup de coude dans les côtes de son frère d’armes. La laisse pas te causer comme ça !

— La ferme Gaunt ! vociféra celui-ci. Ulfberht, une autre ! Quant à toi, ma jolie, tu ferais mieux de surveiller ta langue. Si je m’occupe de toi, il te faudra un moment avant que tu puisses à nouveau t’asseoir sur une selle.

Alessia retira la dague de la table pour en soupeser le poids. L’espace d’un instant, elle observa son fil acéré. Une brève envie de faire couler le sang s’empara d’elle.

— Je ne pense pas qu’on arrivera à les faire parler davantage, lui chuchota Lex après avoir posé sa main sur la sienne. Évitons de déclencher une bagarre. Retourne à nos chevaux, je t’y rejoins dans quelques instants. Je vais parler au tavernier.

La mercenarii s’exécuta non sans laisser échapper un court grognement au passage. Elle rengaina sa lame au passage puis s’éloigna non sans dévisager une dernière fois Friedrich et Gaunt. Elle sortit du Crapaud Bouffie, remonta la ruelle étroite et se dirigea vers Cal et la monture de Lex. La conduite de son capitaine à son égard lui avait déplu, comme s’il la considérait comme incapable de gérer ses émotions et de faire preuve de sang-froid. Aurait-il agi de même avec l’un de ses frères d’armes ? Alors qu’elle réajustait la selle sur le dos de l’alezan, Alessia sentit des pas se presser derrière elle.

— Regarde, comme prévu, elle porte quasiment le même tabard que les pleutres de ce matin. Hé toi, la mercenarii, tu vas gentiment nous suivre si tu veux vivre.

Alessia les observa avant de glisser sa main jusqu’à la poignée de l’une de ses dæmorias. Deux coupe-jarrets en brigandines légères et aux visages recouverts de foulard sombre s’avancèrent vers elle pour la prendre en tenaille. Des Vipères des tunnels. Cette fois-ci, elle n’hésiterait pas avant d’agir. La mercenarii ferma les yeux et fit le vide à l’intérieur.

Ils tirèrent aussitôt l’acier de leur fourreau. Alessia fit de même avec Crépuscule. Deux pas vers l’avant, garde haute pour couvrir son flanc. Le premier leva sa massue vers le ciel, une frappe grossière et puissante pour faire chanceler la défense de la mercenarii. L’espace libre restreint et en infériorité numérique, la moindre dépense excessive pourrait se révéler fatale. Alessia prit une respiration, la masse descendit à toute vitesse. Elle attendit un instant de plus.

La jeune femme glissa sur le côté, puis vers l’avant tendit le bras d’une feinte verticale fulgurante. La massue frappa dans le vide. L’homme recula et jura, porta la main sur la vilaine balafre qui parcourait le haut de sa cagoule ensanglantée. À quelques centimètres près, elle le privait de son œil. D’une volte rapide, Alessia se jeta sur son second adversaire, profitant de la poignée de secondes qu’elle venait de gagner. Elle enchaîna les frappes hautes et basses, se jeta sur le côté, piqua vers le flanc du vaurien. Ce dernier se défendit comme il put, agita sa hache dans tous les sens, incapable de reprendre l’avantage. Alors qu’elle s’apprêtait à porter le coup final, l’autre revint à la charge. Cri hargneux, elle s’échappa d’une roulade acrobatique en extension, attrapa dans le même laps de temps la dague qui pendait à sa ceinture.

L’homme à la massue s’écroula par terre, le poignard fiché dans sa carotide. L’autre détala à toute vitesse, abandonnant au passage sa hache en fer. Alessia acheva le malheureux en train de se noyer dans son propre sang puis ramassa son arme. Elle devait rejoindre Lex le plus rapidement possible.

— Ne bouge pas d’un pouce, ma jolie, fit Friedrich dont Alessia reconnut de suite la voix. Tourne-toi. Doucement, si tu ne veux pas que j’abîme ton ami. — Elle s’exécuta et aperçut de suite qu’il pointait une arbalète chargée sur elle — Bien. Maintenant, jette ton arme !

Lex à genoux et les mains attachées, sa gorge menacée par le glaive de Gaunt, affichait la mine des mauvais soirs. Le capitaine des Lames de Castell leur avait donné du fil à retordre, à la vue de leur visage tuméfié. La mercenarii examina ses chances d’esquiver un tir d’arbalète puis d’être assez rapide pour empêcher Gaunt d’égorger Lex. Une approche suicidaire, en conclut-elle. La jeune femme laissa tomber Crépuscule puis fit de même avec Aube et sa dague qu’elle déposa sur le sol. Ils patientèrent quelques minutes, Alessia toujours sous la menace de l’arbalète puis le fuyard finit par revenir accompagné par d’autres membres des Vipères des tunnels.

— On fait quoi d’eux maintenant, chef ? fit Friedrich à l’attention du brigand à la tête du groupe.

— Emmenez-les à Baldur, ordonna-t-il. Il souhaite leur parler.

Gaunt se rapprocha. Son premier crochet lui coupa le sol, le second la fit chanceler pour de bon. Ses oreilles sifflèrent. Puis la douleur vint et les étoiles commencèrent à danser devant ses yeux. On lui enfila un sac sur la tête et elle sentit son agresseur la hisser sur ses épaules. Et ensuite plus rien.

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