Chapitre 3 

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Soudain, je me figeai. Le démon nous couvait du regard, la prunelle teintée de...de quelque chose qui pouvait s'apparenter à de la tendresse.

-Je ressens ta colère, et je tiens à ce que tu saches qu'elle est injustifiée. Je ne vous ferais aucun mal, jamais. C'est une promesse.

-Je ne sais rien de la parole des hommes comme vous.

-Comme moi ?

Il eut un sourire en coin et la tendresse fut complètement effacée par la malice.

-Tu as quelque chose à reprocher à mon peuple ?

C'était une vraie interrogation, sans moquerie ni ironie.

-Non, avouais-je.

Et c'était vrai. Les démons s'étaient installés sans demander un quelconque avis sur nos terres, et ils avaient mis un terme à notre monarchie mais ils ne nous avaient jamais blessé. Ils dirigeaient d'une main de fer et la peur qu'ils inspiraient avait mis un terme aux guerres de territoires et aux répressions souvent utilisées par les gardes de notre ancien roi.

-Mais vous êtes effrayant et vous faites peur à mon ami, repris-je hésitant.

Il partit dans un éclat de rire et se pencha vers nous. Du coin de l'œil je vis sa main se diriger vers moi et eus le réflexe de fermer les yeux, attendant l'impact.

Elle se posa alors contre ma joue et il me caressa du bout des doigts avec une délicatesse insoupçonnée.

Je rouvris mes paupières et tombait nez à nez avec lui. Ses yeux envoutèrent les miens et je me sentis entouré d'un cocon apaisant. Pour la première fois de ma vie j'eus l'impression d'être à ma place, en sécurité. Mes pensées furent entièrement concentrées sur lui, éclipsant ma colère et ma peur.

Je ressentis tout cela avec incompréhension, sans réussir à comprendre ce qui pouvait causer mon attachement. Je tournai mes yeux vers Egio et remarquai qu'il fixait le démon, une expression de béatement peinte sur le visage.

Apparemment je n'étais pas le seul victime de cet enchantement. Cet individu nous envoûtait, c'était la seule explication possible.

-Ton ami n'a pas peur du mal que je pourrais lui faire, mais de ce que je pourrais t'infliger à toi, et je lis la même chose dans tes yeux. J'ai beaucoup aimé ce que j'ai pu entrevoir de votre relation hier, ainsi que les jours précédents, j'apprécie votre complicité et je vous veux, passionnellement, furieusement.

En l'écoutant, je pensais soudain à ces humains, réduits en esclave par les démons. Alors c'est cela qu'il recherchait depuis le début ? Je sentis peu à peu son esprit s'infiltrer en moi, créant un lien entre nos deux âmes. Je me sentis perdre le contrôle et la peur revint en force. Si je m'abandonnais à cette douce paresse, si je lui laissais l'ascendant il pourrait nous faire du mal. Il pourrait faire du mal à Egio. Et il le priverait de ses rêves de liberté. Nous aurions l'esprit tellement brumeux, entouré de son aura, que nous ne nous rendrions compte de rien, acceptant tout avec passivité.

Il fallait que j'agisse avant de ne plus pouvoir le faire.

-Je ne comprends pas, intervins alors innocemment Egio. Nous ne sommes pas des objets. Vouloir un objet est normal, mais un humain ? Comment peut-on vouloir un humain ?

-Oh, jolie et mignon énergumène, sourit le démon. Je vous veux pour le divertissement, pour le plaisir que je prends à vous observer, pour vous voir blottis contre mes flancs en hiver, et jouer dans le jardin intérieur en été. Je vous veux vous tout entier, à mon service.

-Nous avons déjà une maison. L'institution de Madame Theresa. Et nous aimons habiter là-bas, nous ne sommes pas volontaires pour entrer dans la demeure et servir n'importe quel démon, m'exclamais-je furieusement.

Toute trace de sécurité avait déserté ma conscience. La peur qu'il arrive malheur à Egio brisa le lien qui s'était établi entre l'individu et moi.

Je repoussai brutalement sa main et attrapai le bras du brun, le faisant se lever. Non, je ne le laisserais pas toucher mon frère. Il fallait que je le ramène dans un lieu sûr, écarté de tout danger. Il fallait que je reprenne le contrôle de la situation.

-Nous allons nous en aller et vous ne nous retiendrez pas. Vous nous avez menacé, vous allez voler nos affaires, mais vous ne nous prendrez pas notre liberté. Je ne laisserais pas Egio devenir un esclave et vous ne lui ferez aucun mal !

Ma voix s'éleva avec rage, mettant fin à la douceur du petit matin. Cet homme voulait nous enlever à notre vie, nous transformer en esclave juste pour son plaisir et il n'en était pas question. Sans un regard en arrière, je contournai le démon qui ne fit pas un geste pour me retenir, et me dirigeai d'un pas décidé vers la lisière de la forêt, le brun sur mes talons.

-Adriel, arrête.

Sa voix claqua dans l'air, et je ne pus plus faire un geste. Mes membres paralysés se raidirent. Et je constatai avec panique qu'il m'était impossible d'aller à l'encontre de son ordre.

Tous mes muscles m'abandonnèrent pour respecter l'injonction sèchement prononcée par l'homme. Je ne savais même pas comment il connaissait mon prénom.

-Tourne toi vers moi.

Je lui obéis bien malgré moi et fit face à cette montagne de formes sombres. Ses yeux me fixèrent avec courroux et sans que je ne puisse l'expliquer, mon cœur se serra de culpabilité. A chaque fois qu'il établissait un lien entre nous, son aura envahissait tout mon corps et je ne pouvais que courber l'échine. Pire encore, je le faisais avec plaisir.

J'eus beaux chercher dans les tréfonds de ma mémoire, la raison de ma colère restait floue, brumeuse, et je me sentis soudain ridicule au plus haut point, comme pourrait se sentir un gamin après avoir fait un caprice.

Sans comprendre ce qui me prenait, j'eus la soudaine envie de l'étreindre et d'enfouir mon visage dans son cou pour ne plus avoir à supporter la vue de sa colère. Et je restai là, paralysé par la volonté du démon et ce sentiment de culpabilité teintée d'impuissance me fit glapir piteusement.

-Je sais. Aucun saiken n'aime mettre son démon en colère. Tu ne sembles pas avoir compris que je ne vous laisse pas le choix. Lorsqu'un démon choisit ses humains, ceux-ci ne peuvent l'ignorer. S'ils le font, ils finissent bien vite par ressentir tellement de tristesse et de vide qu'ils accourent au domaine. Je t'épargne le récit d'humain que j'ai vu se jeter aux pieds de leur démon, implorant leur pardon et suppliant pour qu'il le garde près de lui, pour toujours.

Il s'approcha de nous et bien que mon instinct animal me poussât à reculer afin de m'éloigner de ce prédateur, une toute autre partie de moi ne souhaitait que cela. La proximité. Et la liberté de mouvement pour que je puisse détendre ces traits pleins de colère et étouffer mes remords.

-Tu n'en as pas encore conscience, mais je nous évite bien des malheurs en me montrant intransigeant. Je vous ai choisi et vous ne pouvez vous défaire de ce lien. Vous commencez même déjà à le ressentir, raison pour laquelle Adriel a été dans l'incapacité de se soustraire à mon autorité. Ce n'est pas une quelconque magie que t'empêche de bouger, ajouta-t-il en se tournant vers moi, c'est simplement ton esprit qui est dans l'incapacité de faire quelque chose qui me déplairait.

Un silence pesant suivit ses paroles et, voyant que je restais figé et qu'Egio ne se manifestait pas, à demi caché derrière mon dos, il annonça d'un ton ennuyé :

-Enfin, si vous préférez que je vous laisse expérimenter la détresse et les larmes causées par le sentiment d'abandon de son démon, soit. Je ferai selon vos désirs.

Il nous tourna alors le dos et s'éloigna lentement, la démarche féline, son long manteau de fourrure volant derrière lui.

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