3.Adieux.

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Enracinés dans une vieille souche, le lierre s'était frayé un chemin dans les feuilles mortes tombées au sol. Ses étroites tentacules vertes s'étendaient à fleur de terre formant un drap de tiges entremêlées, elles glissaient lentement à la recherche d'un escalier vers le ciel. Le destin ou une incroyable chance voulut qu'Utvold, l'un des quatre arbres ancestraux, se trouva sur sa route. Dans sa quête éperdue de lumière, il rampa sur l'écorce du vénérable géant, l'agrippant, l'enlaçant dans ses bras émeraude. De petites vibrations agitèrent les fines lianes, une main caressait avec déférence le tronc d'Utvold.

Les doigts appuyèrent sur la peau boisée, parcourant le labyrinthe de crevasses, d'aspérités et de plaies millénaires.

 Le jeune homme propriétaire de la main curieuse murmura sans troubler la quiétude des lieux.

- Bonjour mon ami.

 Il aimait le contact rugueux de la vieille écorce, il sentait sa puissance sereine et inébranlable. Les branches d'Utvold furent les premières à s'élever vers les cieux puis vinrent Utseld, Utpil, Utcolm et Utfur. Ce dernier disparut tragiquement durant la grande guerre. 

Le jeune homme n'avait pas le droit d'être là et encore moins de toucher l'un des arbres sacrés. Les Lugren n'existaient que dans les légendes et les mythes d'Utfeld, souvent présentés comme des monstres sanguinaires aux pouvoirs terrifiants qui vivaient dans les ténèbres. La vérité était toute autre. Ils existaient réellement et ils étaient les esclaves de l'Animiste.

Égaré dans ses pensées, Il n'entendit pas le léger frémissement au-dessus de lui.

- Sygwyn.

Il sursauta, une voix féminine chuchotait dans les branches.

- Isen! Ne reste pas là.

- J'avais envie de t'entendre avant de...

Il l'interrompit.

- C'est dangereux. Si Utgror nous surprend.

- Utgror est dans sa tour, c'est le jour des doléances.

Le feuillage frémit en hauteur et de frêles branches en surgirent. Elles descendirent lentement épousant l'écorce d'Utvold.

Sygwyn tendit le bras et le colla contre le tronc. De fines racines déchirèrent sa peau en plusieurs endroits et elles s'élevèrent le long de l'écorce. Les deux tentacules se rejoignirent et se mêlèrent créant un inextricable noeud de lianes vibrant.

Sygwyn sourit. Le contact était si enivrant, les émotions d'Isen courraient sous sa peau comme de la sève chaude. Les deux jeunes gens ne s'étaient jamais vus, une frontière naturelle infranchissable les séparaient mais malgré les obstacles ils s'étaient épris l'un de l'autre sans jamais parvenir à se l'avouer.

Isen rompit la magie de l'instant. Sa voix s'affaiblit le temps de réprimer un léger sanglot.

- Je ne peux pas rester Syg. Je dois partir. Demain j'ai vingt ans et là-haut c'est l'âge à laquelle nous choisissons quelle voie notre vie va prendre.

Elle fit une pause.

- Je suis obligé de partir loin d'Utfeld. Je n'ai pas le choix.

Sygwyn tenta de masquer son désarroi en maîtrisant sa voix.

- Je comprends Isen. Tu vas terriblement me manquer mais les souvenirs de chacune de nos rencontres restent gravés en moi. J'attendrais ton retour.

Les branches d'Isen se détachèrent des lianes fines de Sygwyn et lentement remontèrent vers les feuilles.

- Au revoir Sygwyn.

Le jeune homme ne répondit pas et se détourna de l'arbre, les yeux humides.

- Adieu, chuchota t-il.

Isen était sa lumière dans la pénombre des basses-terres. Grâce à elle il effleurait la liberté mais il le sentait dans son ventre, dans son esprit, elle ne reviendrait pas. 

Sa racine vibra en lui, elle ressentait son désespoir et tentait de le réconforter.

Soudain une branche craqua près de lui. Sygwyn se retourna vivement.

L'Animiste était là. debout devant lui, ses yeux luisaient de fureur.

- Que fais tu ici. Cet endroit est interdit aux Lugren.

Sa voix était aigue et désagréable.

- Je me suis égaré Maître.

Utgror leva la main et le jeune homme se figea, il était incapable de parler et de bouger.

- Tu me défie depuis beaucoup trop longtemps. Tu mérites un châtiment et cela devant tous tes camarades Lugren.

Il tenta de se concentrer sur Isen mais même ses pensées étaient pétrifiées, une seule image apparaissait dans son esprit. Les yeux inquisiteurs et froids de l'Animiste.

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