Prologue

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Comme toujours, la pluie tombait à verse sur ces terres marécageuses, inondant les cultures et faisant dégoutter les toits des mansardes. La scène prenait place dans une hutte miteuse et sombre, sans fenêtres placée au milieu des marais sombres et glauques. Éclairée par un âtre rougeoyant, la pièce était baignée d'une obscure moiteur tandis que les ombres dansaient sur les visages des personnes présentes. Une multitude de fioles et de flacons de couleurs étranges s'amoncelaient sur les côtés au beau milieu d'un capharnaüm de reliques ésotériques et d'herbes de sorcières. Des squelettes d'animaux se mêlaient aux fétus en bocaux, et des crânes humains côtoyaient les encensoirs malodorants et les yeux de bêtes baignant dans des liquides miroitants.

Une table au centre de la pièce supportait une multitude d'ingrédients infâmes, et de flacons dont les vapeurs brûlaient les poumons. Et au centre de la table, une carafe pleine et un verre vide.

La maîtresse des lieux était une vieille femme tordue et voûtée, au corps difforme et laid. Couverte de verrues et de rides, elle avait le teint olivâtre, un ventre replet mais de longs doigts décharnés, et ses dents noires jaillissaient de sa bouche sans lèvres. Son front large était avancé par dessus deux yeux exorbités qui ressemblaient à des sphères de lumière enrobées de ténèbres. Lui faisaient face deux jeunes gens, qui requerraient ses services de sorcière.

Le premier était un garçon de moins de vingt ans. Il était plutôt grand, mais se tenait légèrement baissé, les épaules tombantes et les paupières mi closes, comme un chien qui rabat ses oreilles et sa queue. Ses cheveux noirs étaient coupés ras, et il était imberbe. Il était revêtu d'un grand manteau noir trempé de pluie et de boue, avec des bottes boueuses et des gants noirs. Il était visiblement enrhumé, son nez était rouge et il reniflait légèrement, mais sa physionomie trahissait qu'il était certainement souvent enrhumé, et au vu de ses conditions de vie et du climat de la région, ce n'était nullement étonnant. Son visage était pâle et décharné, parsemé de tâches de rousseur. Ses doigts se tordaient d'appréhension, et il tremblait non seulement de froid, mais aussi de peur, tout en jetant des regards à la personne qu'il accompagnait ici.

Un chevalier, revêtu d'une armure et portant l'épée à la ceinture se tenait à sa droite. La main sur le pommeau de son épée, celui ci était aussi fier que résolu. Bien qu'il soit nettement plus petit que son compagnon, le chevalier le toisait avec arrogance.

La vieille sorcière désigna la carafe en déclarant d'une voix chevrotante:

-"C'est ce que vous avez demandé. Cela n'a pas été facile, mais j'ai réuni tous les ingrédients, et la mixture est prête. C'est un philtre qui fut très commun à une époque, mais qui depuis longtemps maintenant est oublié dans tout le reste du pays. Je suis une des dernière personne à en connaître la recette."

Le chevalier jaugea la chose avec méfiance.

-"Est on absolument sûr que cela fonctionnera parfaitement?

- Oui." Répondit la vieille." Mais je dois vous mettre en garde. C'est extrêmement dangereux. Et de plus, je vous rappelle que les effets sont irréversibles. Une fois bu, il n'est plus possible de faire marche arrière.

- Je n'ai aucune hésitation." Fit le chevalier."Halion. Tu peux lui donner l'argent."

Le jeune homme grimaça.

-"Mais enfin!" Dit il." Ce n'est pas absolument nécessaire. Rien ne te force à…

- J'ai déjà pris ma décision. Je dois m'y tenir. Inutile de discuter.

- Réfléchis un peu! Ne prends pas ça à la légère.

- Je ne prends pas ça à la légère. Justement. Je suis un chevalier, et pour être un chevalier je ne peux pas me permettre de fermer les yeux sur ces détails.

- Je t'en supplie! Ne fais pas ça! C'est irréversible. Tu ne pensera peut être pas toujours de la même manière.

- Si! C'est ça aussi être chevalier, j'ai un avis et je sais m'y tenir. J'ai assez perdu de temps ici. Les années passées ici avec la famille n'ont certes pas été inutiles, j'ai appris tout ce qu'il fallait pour être chevalier, manier l'épée, monter à cheval et tout cela. Je sais maintenant me battre mieux que quiconque, et je connais par cœur le code d'honneur des chevaliers. Mais tant que je resterais ici je ne pourrais pas être chevalier. C'est pourquoi il faut que je partes, et avant de partir il faut que je m'assure de n'avoir jamais de problèmes avec ça.

- S'il te plaît! Réfléchis! Tu as encore le choix, tu es libre, tu es jeune, tu pourrais aussi bien te marier, trouver le bonheur, avoir des enfants…

- Non! Ça ce ne sont que des rêves de bonnes femmes. Je ne suis pas n'importe qui, ne l'oublie pas! Je suis chevalier. Je dois vivre en chevalier. J'ai déjà eu le temps pendant toute ma vie pour réfléchir à ça, et j'ai déjà choisi quelle voie je suivrais. Je serai chevalier parce que j'ai ça dans le sang. C'est ma destinée d'être un preux chevalier, de parcourir le monde l'épée au poing, d'accomplir des quêtes, et de servir le royaume.

- Je sais… je sais… c'est pour ça que tu dois nous quitter. Mais moi je ne pense qu'à ton bonheur. Boire cette potion, c'est te condamner, c'est renier jusqu'à ta nature même. C'est… c'est inhumain!

- Ma décision est prise Halion, je ne changerais pas d'avis." Le chevalier se tourna vers la vieille femme qui les regardait sans rien dire." Vous, la sorcière. Dites moi comment je dois faire.

- C'est très simple. Dans l'idée, il suffit de boire un seul verre, et ça nettoie votre corps de tout ce qui vous déplaît. Toutefois vous n'aurez jamais d'enfant.

- Ça fait partie de l'idée. Mais pour le reste?

- Je constate que vous êtes très jeune. C'est encore mieux. Vous n'aurez normalement à souffrir d'aucun des développements liés à votre puberté. Même le désir sexuel vous sera épargné. Vous serez alors le plus pur des chevaliers, sans qu'aucune tâche ne vienne souiller votre cape immaculée. Mais je le répète, cela a un prix. C'est très dangereux, et vous risquez pendant un long moment de subir des douleurs gastriques insupportables. Chez beaucoup de gens on note des effets secondaires dévastateurs et une dégradation sévère de la santé. Chez les plus faibles et… les enfants comme vous… c'est parfois mortel.

- Qu'importe! Stupides manières de bonne femme! Je n'ai peur de rien, et ce n'est certainement pas une potion qui me fera du mal. Je suis d'une autre trempe que les faibles dont vous parlez. J'espère simplement pour vous que cette mixture sera assez puissante pour faire effet, même sur moi."

Halion, au seuil du désespoir tenta encore quelque chose pour décourager le chevalier.

- Tu sais bien que personne ne te forcerait à faire ça. Notre père ne t'en voudrait pas si tu laissais tomber."

Le chevalier tourna vers lui un regard courroucé.

-"Halion! Tu me fais honte. Je dois le faire! C'est ainsi. Depuis des générations notre lignée est restée coincée dans le duché maudit. Depuis trop longtemps notre honneur de noble a été foulé. Nous sommes des nobles, je suis noble, tu es un noble Halion! Ne l'oublie pas! Notre lignée a été humiliée, bannie arbitrairement pour les crimes d'un duc corrompu dont nous n'avons même pas connaissance. Rends toi compte que je… que nous avons été rabaissés à la misère des paysans. Que nous avons comme nos serfs été forcés de travailler la terre infertile de cette province maudite, de piétiner dans la boue, de repousser les créatures des forêts à force de pics et de pieux, de chasser les grenouilles et les escargots pour s'en nourrir. Rends toi compte qu'ailleurs tout est mieux. Hors de cette province, l'herbe est plus verte Halion, ailleurs l'herbe est verte. As tu seulement déjà vu de l'herbe verte Halion? Et là bas les gens n'ont pas de verrues, les paysans ont suffisamment à manger pour ne pas ramper dans les marais à la recherche de grenouilles, là bas on mange du pain tous les jours, et surtout là bas les nobles ne travaillent pas, les nobles se battent. Ces mains… mes mains… plus jamais elles ne travailleront la terre, plus jamais. Je suis un chevalier, c'est dans mon sang, mon apparence, mon talent. Les dieux m'ont fait sans taches, sans aucune difformités, et ils m'ont donné les muscles, la beauté, et le talent. Rester ici ne serait pas simplement du gâchis, ce serait pire que la mort. Je dois partir du duché maudit, dès ce soir, parce que c'est mon destin, et que je ne peux pas imaginer mon futur de ce côté de la ligne sanitaire. Le seul fait d'y songer m'est intolérable. J'ai tout prévu, ce soir je franchirai le cordon sanitaire, je passerais au nez et à la barbe des soldats, puis de l'autre côté je serais à ma place. Je ne suis pas malade, je n'ai aucune des maladies dont on accuse les habitants du duché maudit d'être porteurs, et j'ai une apparence parfaite de chevalier. Le dernier détail à régler est cette potion qui m'assurera de ne pas avoir de problèmes et de ne pas attirer l'attention. Et alors, je pourrais enfin être libre. Et je rachèterais l'honneur de notre lignée par mes actes de bravoure en tant que chevalier. J'entrerais au service d'un noble seigneur et deviendrais son épée lige. Je me ferais une renommée comme le plus grand, le plus noble et le plus pur de tous les chevaliers, et ça rachètera l'honneur de notre famille."

Halion avait les larmes aux yeux. Il renifla, et il posa sur la table l'argent qu'ils avaient économisé pour cet usage.

La vieille femme compta l'argent, puis elle hocha la tête.

-"Bien. Je vois que vous avez fait votre choix." Elle souleva doucement la carafe, et versa attentivement une quantité bien mesurée du breuvage dans le verre prévu à cet effet. Puis elle souleva le verre jusqu'à ses yeux et l'examina pour bien vérifier la quantité. Puis elle le reposa sur la table.

-"Voilà!" Fit elle." Le minimum nécessaire. Il faut faire très attention. Lampez tout et n'en laissez pas une goutte. Essayez de tout avaler rapidement."

Le chevalier jaugea le verre, puis l'écarta du revers de la main et saisit la carafe qu'il lampa intégralement d'une traite sous le regard affolé de la vieille.

-"Attention! Attention! Enfin! C'est du poison quand même!"

Le chevalier se lécha les babines pour récupérer les dernières gouttes. Il déclara avec un rire condescendant:

-"Je ne te fais pas confiance. Comme ça au moins j'ai la certitude que ça fonctionnera, et que mon corps ne me trahira jamais.

- C'est clair. Vous avez bu au moins cinq fois la dose. Vous êtes complètement fous. Vous allez mourir!

- Non. Je suis au dessus de tout ça. Je suis un chevalier, ne l'oubliez pas. Quand à vous vieille folle, vous feriez mieux de vous taire à l'avenir si on vous pose des questions à mon sujet."

La vieille femme regarda les deux jeunes gens d'un air hagard.

-"Vous venez de boire un litre de poison sous mes yeux, et vous ne paraissez même pas souffrir. Je… je crois qu'à ce stade là, il n'y a aucun risque que ça ne fasse pas effet. En fait vous n'aviez peut être même pas besoin de moi."

Le chevalier hocha la tête avec fierté. Halion, lui, sanglotait; des larmes et de la morve dégoulinaient sur son visage, et il s'essuya assez maladroitement avec sa manche.

-"Tu… tu ne pourras plus jamais… Pourquoi? Pourquoi S…

- Non! Halion. Tais toi." Coupa le chevalier." Comme tu vois, je n'ai plus que faire des affaires de bonne femme."

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