Le caravansérail.

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Année 2760 du troisième calendrier de l’Ecclésiaste.

Le lendemain, j’avais fait le point. Mes drones revenaient avec d’importantes informations. Fort de ce flux de données, je pus mettre à jour les cartes de l’Oracle.

Un caravansérail de la Guilde Souveraine se dressait à un jour de marche en bordure du fleuve.

Je partirai le surlendemain à la pointe du jour.

What et moi serions reposés et propres. J’avais retiré tous les signes de reconnaissance qui pouvaient me rattacher de près ou de loin à mon ancienne compagnie de mercenaires et tous deux nous avions revêtu nos armures.

La route du caravansérail serpentait le long du fleuve, mon roojas trottinait sur les rives sablonneuses jusqu'à la plaine de Réévada*. Nous prîmes un peu de repos avant de reprendre notre route. Je fis marcher What au pas pour le ménager ; mais, arrivés sur ce terrain plat et gazonné qui distingue cette plaine, je le refis courir un peu. Bientôt nous aperçûmes la cité de Migalana*. Cette ville fortifiée n'était habitée que par des Lurédas* sans cesse en guerre avec les Greenheads* et les Iotas* dont les environs sont peuplés.

Je m’arrêtai à la porte fortifiée de Migalana seulement pour demander mon chemin, puis nous nous avançâmes au milieu d'une contrée dévastée. de nombreux villages étaient détruits ; des traces de massacre restaient visibles ; devant chaque seuil, des bêtes sauvages dévoraient tranquillement des ossements humains. Je ne pouvais me défendre d'un sursaut de vigilance en parcourant ces lieux. Je pensais avoir laissé ces visions de dévastation derrière moi.

De tous côtés s'élevaient des fumées d’incendies, tourbillonnant dans l'air, puis retombant sur les murs à demi calcinés.

Deux voyageurs me précédaient sur cette route désolée ; lorsque je passai près d’eux, ils se détournèrent vivement et m’observèrent d'un œil défiant. J’étais en armes, mon roojas avait son air féroce des jours de combats, ils n'osèrent m’attaquer ; mais je me sentais sur un périlleux terrain. J’allai comme les oiseaux de la forêt dont chaque battement d'aile trahit souvent pour eux la présence d'un prédateur ; ils vivent toujours aux aguets.

L'ombre descendait rapidement sur cette plaine désolée, bientôt j’arriverai en vue du caravansérail ; enfin je vis devant moi se profiler les deux grandes tours de la Guilde Souveraine.

Alors que je remontai un chemin bordé de centaines de taupinières, je devinais une agitation derrière ses murs…

Le caravansérail était bâti tout près du fleuve qui fut jadis une voie commerciale importante. Les villages non fortifiés en amont avaient été désertés du fait de razzias incessantes, on ne comptait plus les clans de Greenheads qui pillaient les abords de ce fleuve. À l’extrémité d’une langue de terre qui surplombait le fleuve de 5 à 6 mètres, se dressait ce grand bâtiment fortifié en forme de double cour rectangulaire, entouré de hauts murs pour assurer la sécurité des voyageurs et de leurs marchandises.

Le caravansérail comprenait plusieurs types de chambres disposées tout au long des galeries aux étages qui surplombaient les cours centrales. Chaque chambre, qu’on appelait cellule, était équipée d'une porte en bois solide, offrant ainsi un endroit sûr pour les marchands et les voyageurs. Étant près du fleuve, le caravansérail bénéficiait également d'un accès facile à l'eau pour les animaux de transport et pour les besoins quotidiens des occupants. Cela permettait également aux voyageurs désargentés et aux esclaves de se rafraîchir et de se laver pendant leur passage. Pour les autres, un bâtiment thermal équipait l’aile gauche d’une des cours, plus précisément celle du fond. Elle était souvent utilisée comme un espace social où marchands et voyageurs pouvaient se rencontrer, échanger des marchandises, négocier des esclaves.

J’entendis le son du grand taiko*. Les gens du caravansérail m’avaient aperçu de loin ; une douzaine venaient de monter quatre bahweins* et s'apprêtaient à me traiter en ami ou en ennemi, suivant les circonstances. Ces hommes se tenaient à deux cents pas environ des murailles ; ils m’attendaient pour me combattre, ou pour me servir d'escorte.

Je m'avançai vers ces guerriers ; à mon approche tous les gestes désignèrent mon roojas avec admiration.

Ce mouvement général me donna autant d'appréhension que de fierté. Une belle monture, de bonnes armes, une bourse pleine, sont trois choses qui mettent la vie de leur possesseur en grand danger dans ce pays de brigands.

Un des Lurédas*, se détachant du groupe, fit quelques pas vers moi ; je lui adressai aussitôt un bonjour amical ; il répondit à mon salut, mais en examinant ma personne et ma monture des pieds à la tête, du licol aux serres armées d’acier, puis il me demanda :

  • D'où viens-tu ?
  • De bien loin.
  • Où vas-tu ?
  • A Yuchekha*.
  • Qui es-tu ? Tu n’es pas Lurédien*, ni un Yuchekhain, ni un Dominien*, ni une pourriture de Greenhead*.
  • C’est vrai, rien de tout cela. Je suis…
  • Tais-toi ! laisse-moi continuer mes questions, tu répondras après. Tu parles mal le Lurédien*, tu n'es pas un Lurédien*. Es-tu un habitant des Cités Libres du Croissant ? ou Chyttien* ?

Je fis des signes de dénégation ; mon interlocuteur se trouvait au bout de sa science. J'étais convaincu qu'il me prenait pour quelque commissaire des comptoirs de la Guilde ou pire un de ces maraudeurs qui courent les contrées sauvages. Il ne voulait point me laisser lui apprendre ma nationalité, se piquant sans doute d'être assez habile pour la deviner. Voyant qu'il n'y parvenait pas, il se laissa aller à un mouvement d'humeur et donna un coup de poing si violent sur le museau de son bahwein*, que la pauvre bête siffla de douleur.

  • Qui es-tu donc ? reprit enfin cet homme.
  • Un Reg ! répondis-je d'un ton fier.
  • Un Reg ? Je connais des Regs ; ils ne te ressemblent pas !
  • Je suis Teixó, l’arme du Kazar ! et je levais mon gras gauche dévoilant l’Oracle à la vue de tous.
  • Reg Teixó, voilà qui est merveilleux ; cependant je le crois, puisque tu le dis et que je le vois.

Là-dessus s'éleva un murmure, puis des cris, des acclamations confuses en Lurédien*, et en Dominien*.

On savait comment Teixó avait combattu sur bien des champs de bataille, comment le Hors-Loi que j’étais, pouvait être féroce. Tout le monde connaissait l’Ordre des Hors-Loi de réputation et voulait me féliciter. Mon expérience dans le langage Lurédien était plutôt embryonnaire ; de sorte que la sueur me coula bientôt à grosses gouttes le long des tempes. Il s'ensuivit d'ailleurs plus d'un malentendu et d'un quiproquo dont on rit de bon cœur, car heureusement pour moi la suite de notre conversation fut en Dominien qui est une des lingua franca de ce continent.

Quand l'émotion générale fut un peu calmée, le commandant de la place me convia à le suivre et me promit de m’aider de tout son pouvoir à rendre mon séjour le plus agréable possible.

De plus, il m’assura que sa recommandation me donnerait une place parmi une des caravanes de marchands de mon choix.

  • Yuchekha*, me dit-il, là habitent beaucoup de négociants, d'adorateurs de l’or. Tous ces gens sont de hardis voleurs, qui ne reculent jamais devant l'assassinat ; d'ailleurs, l'accès de leur cité est presque impossible pour n’importe quelle armée.
  • Je sais cela, mais c’est aussi une gare importante de la Guilde.
  • C’est vrai, maintenant, Reg Teixó, le caravansérail vous est grand ouvert. Allez vous reposer, et permettez-moi de donner quelques ordres afin de faciliter votre installation. Malheureusement je ne pourrai pas vous honorer du festin que je veux vous offrir. J’ai beaucoup à faire aujourd'hui et ce soir, car demain je ne serai point ici.
  • Tu vas pourchasser les Greenheads, ? J’ai aperçu beaucoup de taupinières encore fraiches. Vous avez subi une attaque récente ? remarquai-je.
  • Oui, tu es bien un Reg pour deviner cela.
  • Non, juste observateur. Il suffit de connaitre l’un des modes d’exécution de la Guilde Souveraine. Quand tu rentreras c’est moi qui t’offrirai un festin.

Je laissai mon roojas aux bons soins de palefreniers compétents. Puis je passai la porte de la principale taverne du caravansérail.

  • Tavernier, mon ami, dis-je en jetant sur le comptoir cinq pièces d'argent, je voudrais causer un instant avec toi. Le commandant m’a conseillé de venir chez toi. Alors ne le déçoit pas. Je sais que vous avez dû subir le siège des pillards Greenheads, ils ont dévasté la contrée, je le sais ; mais je suis horriblement fatiguée. J’ai faim. J'ai soif. Maintenant ! m’écriai-je, en me précipitant dans le triclinium de l'hôtellerie. Qu'on me serve tout ce qu'il y a de meilleur dans cette taverne, des sandres farcis de fenouil, une grillade, et pas de kurt ! un pâté de gibier, une poularde, du vin et du bon. J’ai bien envie de manger avec tout ça… une, ou plutôt deux, de ces excellentes fougasses aux herbes.

Le tavernier qui ressemblait à tous les tenanciers dignes de ce nom, me répondit en raflant les pièces.

  • Seigneur Reg, vous me semblez non seulement raisonnable, mais des plus généreux. Je vais vérifier dans le cellier. Je vois que vous avez bel appétit et que vous aimez volontiers cette forte nourriture.
  • Par Tamus* ! répondis-je, cela ne serait pas impossible.
  • Il me faudra tout de même une petite heure pour vous satisfaire. En attendant, voulez-vous visiter votre chambre ? … Avoir bonne compagnie ?
  • Pour ma chambre, je te fais confiance, pour le reste aussi. En attendant, je vais à la tour de la Guilde. Je pense que le gouverneur sera heureux de me recevoir.
  • Le gouverneur ? presque personne ne le rencontre…
  • Oui, peut-être mais je ne suis pas personne, je suis Teixó, l’arme du Kazar !

Sur ce, je tournai les talons. Il y avait si longtemps que je n’avais pas rencontré de responsable de la Guilde Souveraine, il fallait bien que je vérifie mon statut et que je finisse les mises à jour de mon Oracle. Pour ma part, je savais pourquoi le gouverneur était presque inaccessible et pourquoi un caravansérail de la Guilde serait presque impossible à prendre d’assaut.

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