Le pont du Diloube.

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Anné 2755 du troisième calendrier de l’Ecclésiaste,

Serre, avec plusieurs légions, s’en allait à marche forcée porter le fer et le feu au nord-est des frontières de l’Empire. C’était donc par le jeu de traités et d’alliances, que les Domiens en vinrent à devoir soulager les Salamandrins, des nombreuses incursions des myriades de Subarnipal, ainsi que de ses alliés les Caurasiens. Mais c’était aussi pour de beaux yeux ouverts sur l’immensité de prairies lointaines, pour les beaux yeux de la Papesse Salamandra, qu’il avait entrepris de guerroyer.

Bien que noble, et demi-frère d’Honorius le Khazar de Domina, Serre était à mille lieux de lui ressembler physiquement. Sa présence autant que sa prestance imposaient le silence et le respect partout où ses pas le menaient. C’était un grand stratège, tant par la taille que par le talent. Musclé il l’était, à l’image d’un champion des arènes de Domina ou d’un de ces barbares d’hyperborée, dont indéniablement il avait le physique. Ses cheveux, d’un blond polaire, très clair, tiraient vers le gris cendré. Il les portait longs et négligés, tombant librement sur ses larges épaules. Son regard intense, pénétrant avait tôt fait de vous clouer sur place ; ses yeux, dont la couleur avait différentes nuances, pouvaient passer du bleu métallique, à un gris glacial. Tout en lui reflétait l'environnement froid, sauvage et impitoyable dont sa mère était issue.

Souvent il arborait le sourire hargneux, voir carnassier du prédateur sûr de sa force. Et au cours de ses pérégrinations, sa peau s’était ornée de tatouages et de cicatrices acquises au cours de nombreuses batailles, preuves s’il en était, de sa bravoure, elle avait acquis cet aspect mat, légèrement patiné de ceux qui exposent leur corps à des conditions difficiles. Il portait rarement une armure de plate, préférant des vêtements de cuir et de fourrure, doublés d’une cote de mailles. En fait, il ressemblait plus à un de ces mercenaire accoutré d'oripeaux et de bouts d'armures, que l'on rencontre dans les comptoirs du ponant, qu’à un prince. Mais sur son cœur, caché à l’abri des regards, il conservait le masque sombre de l’ordre secret des arcanis.

La mission qu’il s’était donnée, était de prêter main forte aux Salamandrins, pour reconquérir une partie de leur royaume. C’est là qu’il fit la connaissance de l’élite Cimmérienne, alliée de la Papesse Salamandra.

Les cimmériens avaient fait une irruption hardie dans les montagnes du Caurasie, à l’est de la chaîne du Kouff.

Les Caurasiens qui tenaient le col de Passevent prirent la fuite à leur approche. Mais par un mouvement tournant, ils entreprirent de se regrouper en masse, et avec l’appui de quatre escadrons de cataphractes de la Horde de Jade de Subarnipal, de tomber sur l’arrière garde et les bagages des Cimmériens.

Un chevalier du nom d’Aymeris dit tranche têtes, ayant appris au son du cor, que les Caurasiens attaquaient les retardataires, baissa sa lance et courut sus à l’ennemi sans daigner se faire accompagner. La suite de ses exploits n’est point connue de la postérité, car on pouvait dire de ce brave, qu’il était tout sauf vantard.

Après moult combats, il rejoignit l’arrière garde presque encerclée. Il en prit le commandement, voulant tenir le col, ainsi que la passe à ses pieds, où seul un pont enjambait un furieux torrent du nom de Diloube. Selon lui cela devait permettre de verrouiller la passe et de permettre au train des bagages de prendre assez d’avance pour ne plus être inquiété.

Ce qui avait commencé comme une banale escarmouche ressemblait maintenant à une véritable bataille. La tête de pont était tenue par trois chevaliers, Aymeris, Thibaut le teigneux et Arnulf le rapide, deux autres braves du même ordre religieux que Tranche Têtes.

Le pont était une véritable frontière, unique passage entre la large vallée de Caurate et le col de Passevent.

Là s’était rassemblée toute une armée de Caurasiens appuyée par les escadrons de cataphractaires.

Alors, de ces lignes ennemies, qui avançaient lentement, l’on vit sortir des rangs vingt-cinq chevaliers de Subarnipal. Ils se mirent en marche pour monter vers les trois chevaliers Cimmériens. Leur ambition était de les culbuter et sans coup férir, de s’emparer du col de Passevent. Ils s'avançaient avec toute la confiance et la morgue que peuvent avoir vingt-cinq hommes allant en attaquer trois seuls. Chacun d'eux, se hâtait donc, pour devancer les autres, afin d'enlever seul les dépouilles et la gloire.

Aymeris, voyant qu’il ne disposait plus que d’une trentaine d'hommes en état de combattre s’adressa à Arnulf.

  • Monseigneur, mon ami, allez prestement quérir de nos gens pour garder ce pont ci. Prévenez Yanick Duc d'Orange, qu’il est ardemment attendu comme un sauveur ou nous sommes perdus. En attendant votre prompt retour, je les mettrai à la peine. Mais par Dieu hâtez- vous.

Ce qu’il fit. Les deux chevaliers s’étaient préparés au combat. Leurs visages reflétaient une mâle assurance et l’envie d’en découdre. Leurs cœurs étaient raffermis par des années de luttes. Leurs coursiers piaffaient, leurs lances de frêne gainées de fer étaient assurées dans leurs mains fermes. Les premiers de leurs ennemis qu'ils virent arriver au devant d'eux, ne savaient pas encore qu’ils avaient rendez-vous avec leurs aïeux.

Tous deux se firent moult politesses. Enfin dans un grand rire on entendit Thibaut charger le premier cataphractaire en tête de la troupe ennemie. Il le força sur le champ à rendre son âme à son créateur. Son corps jeté à bas, roula dans les abîmes saumâtres du Diloube, d’où oncques n’en pouvait sortir, tant la rivière était grosse de la fonte des neiges. Un même sort attendait le second, son cheval se cabra, étant tombé à bas, il fut sauvé par sa chute. Ce cavalier donc, aurait pu dans son malheur s'appeler fortuné, car en même temps que son visage heurtait le sol, sa poitrine ne se présenta point à la lance emmanchée d'une longue lame effilée, prête à le transpercer de part en part. En effet, cette culbute fût utile à tous les deux, en délivrant le cheval d'un nouveau combat, et l'autre d'une mort certaine. Sa chute inattendue, contraria ainsi une mort trop certaine de son œuvre. Le troisième cataphractaire s'avança ensuite, et celui-là aussi, aurait pu s’appeler fortuné... si lui-même, désarçonné, eût pareillement à son compère, l'affligé qui gisait encore à terre, d'un malheur semblable su rester immobile. Mais c'est bien connu, des fléaux qui feront toujours des ravages parmi les hommes, il en est deux de redoutables, la témérité et la bêtise. Et quand la témérité s'allie à la bêtise pour occuper le premier rang, l'intelligence, en retrait est là pour contempler les conséquences.

Mais en obtenant l'accomplissement de ses vœux, en se relevant, il fut sans tarder réduit à la même fin que le premier cavalier. Il fut occis plus rudement et plus misérablement dans ce combat même. Vingt-deux restaient encore sains et saufs. Mais la Parque retenait pour l’instant le fil ténu de leurs jours pourtant prêt à se rompre, au moment où ils étaient sortis des rangs, pour aller jouter avec nos deux chevaliers. Ce fil, avait malheureusement pour eux, commencé à s’effilocher.

Bientôt incontinents, à tort, ils reprenaient confiance et piquaient des deux. Ils pensaient toujours que le nombre ferait la différence. Aymeris, n’entendait pas que son ami soit le seul à s’amuser ainsi. Lui aussi baissa sa lance et galopa à leurs rencontre. L’arrière garde Cimmérienne, ragaillardie, était arrivée à l’autre bout du pont. Elle les entendait rire et plaisanter. Et il fallait voir cela, tous deux gaillardement chargeant de front contre plus de vingt cavaliers lourdement armés. Ils traversaient leurs lignes sous les hourras des braves soldats Cimmériens.

Aymeris en empala deux sur sa lance qui cassa. Thibault fidèle à son surnom, voyant que ses assaillants tournaient brides, de rage leur lança son kontos qui en laissa un pour le compte, il s’approcha du moribond et du haut de sa selle retira du dos, la lance fichée pour continuer le combat. Aymeris quant à lui, une épée dans chaque main, les rênes entre les dents, avec force de moulinets, tranchait des têtes. Puis Thibault lui aussi cassa sa lance, alors brandissant sa hache d’arme, il cria à son ami.

  • De toi où moi, savoir qui sera le plus hardi, et courageux je ne sais. Mais tant que cette hache me durera en la main, je combattrai. Et si elle me tombe ou se rompt, j’en trouverai bien une autre, car moi aussi je sais faire voler les têtes.
  • Oui peut-être, mais les miennes volent plus loin ! Et je puis même en trancher deux en même temps.

Chez leurs adversaires c’était la panique, puis la fuite. Et le fuseau de la parque se releva dans les mains de celle qui le tenait, et bien des fils furent tranchés. Cela fait, comme deux fauves échauffés, ils pourfendirent à l'envi. On vit un cavalier ennemi, venir vers le pont et les fantassins Cimmérien, comme pour se sauver... Il était vrai qu'il avait perdu sa tête, et c'était grand miracle qu'il tint encore dans ses étriers, car leurs coups étaient rudes, imparables, ainsi bien des cavaliers tombèrent. Ils virent que sur ce chemin ci, ils ne pouvaient que finir dolents ou jetés dans le torrent. Bientôt, huit ou dix y tombèrent sans en pouvoir remonter, car il était profond, limoneux et ses bords étaient si abruptes, si glissants, qu’aucun cheval ne pouvait en remonter. Frappés de stupeur par le courage de Thibault et d’Aymeris, plus brillant que ceux de lions furieux, ils fuyaient ; et les deux compères, les poussaient d'une course rapide jusqu'à leurs premières lignes, où, subjugués, même les archers n’avaient pas pensé à décocher une quelconque flèche.

Vainqueurs et s'éloignant alors des rangs Caurasiens, Thibault et Aymeris, ne s’arrêtèrent pas pour ramasser les dépouilles que leurs ennemis leurs avaient laissées. Les beaux caparaçons, les armes répandues de côté et d'autre qui resplendissaient de dorures n’avaient guère d’importance à leurs yeux. Ils ne se saisirent même pas les chevaux courant en liberté. Ils s’en retournaient devant le pont comme deux ours prêts à défendre leur tanière. Pendant ce temps, il était arrivé beaucoup de monde et une jeunesse ardente de Cimmériens qui fortifiaient les extrémités du pont. Ils étaient prêts à le tenir longtemps, même s’ils étaient inférieurs en nombre.

Du fait de la présence de l’armée Caurasienne dans la vallée. Ce pont était devenu pour eux d’une importance vitale. C’est alors qu’ils entendirent derrière eux, non loin, le tumulte que font six légions et cinquante escadrons Salamandrins en marche. Les six légions étaient celles de Serre qui venaient leur prêter main forte, leur porter secours. Une fois encore, Serre n’était point au-dessous de sa réputation.

Durant la bataille du Plateau de la Lune, il avait acquis les lauriers d’un vaillant chevalier, d’un habile général. Il était capable de déplacer plusieurs armées par différentes routes, et au jour dit, soit pour la bataille, soit pour impressionner un ennemi... Elles semblaient toutes se regrouper pour ne faire qu’un corps massif quasi invulnérable. Et dès que les combats s’annonçaient, il était toujours le premier à cheval à la tête de ses troupes. Et si cela ne suffisait pas, jamais il ne négligeait les précautions qui pouvaient assurer la victoire. Il était connu pour sa grande avarice en ce qui concernait la vie de ses hommes. Bien que fréquemment, il excita par son exemple ses soldats à seconder leur intrépide général, qui bien souvent était là où la mêlée était la plus chaude.

Ainsi encore la veille de cette bataille, une seule personne savait qu’avec les Salamandrins, les Cimmériens combattraient les Caurasiens à cet endroit précis. Seul Serre l’avait deviné, et huit autres légions commandées par Honorius étaient sur le point de prendre l’adversaire à revers.

Et les premiers mots de ce général, furent pour le Duc Yahnick :

  • Vaillantes gens que je vois séant, mille merci pour avoir tenu le pont. Je craignais de l’avoir à prendre, car je suis en retard d’une heure sur mes prévisions. Et qu’un si petit nombre tienne en échec un si grand nombre relève du prodige… Si je ne savais que ces braves sont Cimmériens. Or tous, mettons-nous en bataille, allons les enclouer avant que vos cimmériens et Salamandrins ne nous laissent qu’os à ronger ! Mais cher Yahnick fils d’Ar-Arcom du clan des Absalon, Duc d'Orange, Maître des hautes terres, chevalier à la longue épée, je vois que je suis votre obligé, aussi dites où voulez que je range mes hommes. Mais faites vite, car mon frère marche déjà sur l’arrière garde de nos ennemis et à attendre trop longtemps, il ne nous laissera pas même une miette, c'est que le bougre a un appétit d'ogre !
  • Votre Seigneurie est trop bonne, et je suis surpris qu’elle connaisse le nom d’un petit Duc tel que moi ?
  • Je connais les noms de tous les braves, c’est pour cela que je suis Général. Mais sans vouloir vous forcer, il est temps de rougir nos armes.
  • Altesse c’est parler d’or, aussi laissez-nous porter le premier choc, j’aurais trop à rougir si mes hommes n’étaient que spectateurs.

Et ce fut ainsi que commença la bataille du pont du Diloube et ce fut une grande victoire qui leur ouvrit la route de l’île sainte de Salam-Al-Hec.

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