Mythe de la colonisation d’Exo. (corr Anne.)

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Longeant les bustes antiques rongés de la rouille des lichens, marchant à l’ombre avare des droits cyprès, ils avaient longtemps cheminé sur l’étroit sentier de poussière blanche.

Là-bas, tout là-haut sur la divine colline écrasée de soleil, aussi blanc que craie, le grand temple aux mille colonnes resplendissait. Il les attendait.

Alors que l’été était brûlant dehors… Sous l’immense coupole éblouissante de gemmes et de dorures, au mitan d’un nuage d’encens et de poudre d’or…

Debout dans la cella, sous cette chaude et rayonnante averse tombant de l’ocu­lus, le paladin sacré, de ses doigts agiles, pinça trois accords sur les cordes d’un luth aux chevilles d'ivoire.

Les premières notes s’envolèrent, colombes parmi les colombes, elles planèrent longuement au-dessus de l’assemblée silencieuse.

Alors, débuta la légende, mainte fois chantée, mainte fois contée, que chacun connaissait, que tous aimaient sans toutefois n’y rien comprendre…

Alors, ainsi chanta le chantre des terres de Laurasie, le maitre chanteur de Domina.

Il déclama le courroux funeste qui, de maux infinis, accabla l'humanité entière.

Il chanta la chute des nefs qui précipita tant de héros au royaume de Nerdoukal, le mangeur d'âmes, le dieu des morts et de la guerre, dispensateur de toutes les calamités.

Il chanta le combat épique entre les Dieux, les hommes et les Nietzschéens qui livra tant de fortes âmes en pâture aux dents des charognards et aux becs des les oiseaux de proie.

Il chanta la sombre vengeance de Dieux bafoués, l'accomplissement de la querelle qui oppo­sait les Divins Empereurs du Ciel, roi des hommes, alliés des Nietzschéens, aux Voyageurs des Limbes, maitres des voies astrales, auxiliaires des Dieux.

Qui d'entre les Dieux et les Nietzschéens les jeta dans cette discorde qui les dé­passa ? Nul n'eût pu le dire.

Tout commença par une offense.

Le fils de Shamralack, souverain des dieux et de Nanaré, indigné contre les Rois des hommes, suscita dans cet univers un piège funeste. Ainsi, les peuples des nefs dériveraient dans de lointaines nuées, sans trouver un havre à leur quête, parce qu’à l’origine l'Astréïde avait couvert d'opprobre Narisphon, le sacrificateur suprême.

Pourtant, celui-ci était apparu dans la constellation des Saints Gémeaux, auprès des nefs rapides des Astréïdes, pour racheter Vesta, son unique fille chérie.

Il portait le prix incommensurable de son affranchissement : dans une main brillait la Boule des Distorsions, et dans l'autre ondoyait l’une des Cordes Temporelles du divin Archer Bollong, fils de Shamralack, suspendue à son arc d'or.

Il conjura les nobles Astréïdes, et surtout les deux Dioskourois, princes du plus influent des peuples Astréïdes, aux puissantes nefs.

_ Que les Dieux dans la demeure des étoiles vous donnent la suprématie, à vous et aux Voyageurs des Limbes, et que votre expansion stellaire soit heureu­se. Mais, rendez-moi ma fille chérie et recevez le prix de l'affranchissement, bien que vous ayez pillé les systèmes de Terra et ravi les vierges sacrées. Si vous révérez le fils de Shamralack, l'Archer Bollong, et si vous acceptez la rançon, vous serez, quoi qu’il m’en coûte, absous pour vos forfaits.

Et tous les Astréïdes, ainsi que les autres représentants des peuples humains, par des rumeurs favorables, voulaient qu'on respectât le Sacrificateur Suprême et qu'on en reçût le prix splendide.

Mais les négociations furent vaines, car cela ne plut point à l'âme du Dioskouroi Pollux, et il chassa outrageusement la délégation présidée par Narisphon. Il lui dit alors ces paroles violentes :

_ Prends garde, vieillard sénile ! Que je te rencontre encore à quelques parsecs de mes nefs orgueilleuses, que tu t'y attardes ou t’en rapproches, tu risquerais bien d'être l'hôte de Nerdoukal. Oh, je ne crains point que Bollong te protège, car tu es le Sacrificateur Suprême, mais sache que par ma li­gnée, je suis l’un des descendants des fils de Shamralack et d'Inanah ! Sache que je n'affranchirai point ta fille unique ! La lointaine vieillesse l'atteindra en mon gynécée d’Astérias, loin de sa planète, dansant toujours pour moi la toile du temps, chantant la mélodie sidé­rale et partageant quand je voudrai ma royale couche. Mais, retire-toi et ne m'irrite point, afin de t'en retourner encore sauf.

Il parla ainsi, et le vieillard trembla de rage froide, mais obéit après lui avoir répondu :

_ Où que tu ailles, quoi que tu fasses, ce qui t’appartient, t’appartient toujours. Cependant, ce que tu dérobes te sera toujours dérobé, car telle sera la volonté des Dieux.

Et il s’en alla dans son char lumineux, silencieux, les dents serrées, le regard sombre et il passa le long du grand vortex.

Se voyant ainsi éloigné, entre les planètes de Jacobson, il conjura le Dieu Bollong, que Nanaré, à la belle chevelure, enfanta.

_ Entends mon cri, écoute ma prière, vois mes pleurs, ô Porteur de l'arc d’or, toi qui protèges Khrysè et Killa la sainte, et commandes fortement sur Ténédos la vénérable, Smintheus la respectable, toi dont le système béni de Terra a été pillé, et dont les vierges sacrées ont été outragées ! Si j'ai toujours orné tes beaux temples, porté tes saints mystères et brûlé pour toi mille soleils, exauce mon vœu ! Que les Astréïdes expient mes larmes sous tes flèches d’or, car par moi, c’est toi qu’on insulte et rabaisse !

Il cria ainsi en priant à la face du ciel immense, et Bollong l'entendit. Du cœur de l’univers Shamralackien, il se précipita en une nuée d’étoiles, irrité en son cœur, ainsi il s’éveilla à la divine vengeance.

À l'écart de la constellation des Gémeaux, loin des nefs, il tira une flèche, et un bruit extraordinaire jaillit de l'arc d'or, un bruit qui chavira des mondes.

Elle frappa la flotte invincible des Astréïdes, l’empêchant de quitter la pléiade maudite du cygne noir, l’obligeant ainsi à voguer à jamais parmi cette constellation moribonde.

Alors Akhyllieus le preux, envoyé des Voyageurs des Limbes, convoqua les délégués des peuples dans le vaisseau-monde Agora.

Méréra, sa mère à la blanche peau de cristaux, le lui avait inspiré, anxieuse du sort des Danaens et des Astréïdes, car elle les voyait s’éteindre.

Et quand ils furent tous réunis dans le vaisseau démesuré, dans la grandiose Salle des Actes, dont les murs liquides suintaient de gloire, accueillant les plénipotentiaires de toutes les tribus, Akhyllieus le sublime se leva et parla ainsi :

_ Astréïdes, il vous faut reculer et reprendre vos courses errantes dans l’espace. Ici, rien de bon ne nous attend ; si toutefois nous évitons la mort, car les réserves s’épuisent et nous ne parvenons pas à trouver issue à ce repli de l’univers. Hâtons-nous d'interroger un Divinateur Stellaire, un Sacrificateur, ou un interprète des songes limbiques, car la vision de ma mère vient de Shamralack. Qu'il dise pourquoi Bollong est irrité, s'il nous reproche des vœux négligés ou s'il demande les hécatombes promises. Sachons s'il écartera de nous cette malédiction et nous ouvrira la route, car malgré toutes nos demandes, même Vādshāhs nous ignore.

Ayant ainsi parlé, il s'assit.

Et le Thestoride Kalkhas, l'excellent divinateur stellaire, se leva.

Il savait l’art des probabilités, car il était le maitre du nombre (i), il pouvait ainsi mettre en équation les choses présentes, futures et passées.

Il avait conduit à Bellongui, à travers les nœuds temporels et le néant stellaire, les nefs Akhaiennes, grâce à sa science sacrée dont l'avait doué jadis Bollong.

Très sage parmi les sages, il dit dans la salle des Actes :

_ O Akhyllieus, cher à Shamralack et à nous tous, tu m'ordonnes d'expliquer la colère du divin Archer, je t’obéirai. Mais promet d'abord que tu me défendras de ta parole et de ta force. Car, sans nul doute, je vais irriter l'homme qui commande à tous les Astréïdes, et à qui tous les Akhaiens obéissent, l’allié des Voyageurs des Limbes, sans qui aucun voyage ne serait possible. Ce roi serait bien trop puissant à l’encontre d'un inférieur qui l’irrite ! Bien que, dans l'instant présent, il taise son courroux, je le connais assez pour savoir qu’il assouvira toujours sa vindicte, après l'avoir longtemps couvée dans son cœur, telle le feu de Volkanos. Jure donc que tu me protégeras. Et je dirai tout haut ce que tous nous savons déjà.

Et Akhyllieus aux nefs rapides, lui répondant, parla ainsi :

_ Raconte sans crainte ce que tu sais !

_ Non, par Bollong, cher à Shamralack, et dont je découvre à vous tous les calculs sacrés, non ! Car je crains l’un d’entre vous !

_ Nul d'entre nous, Kalkhas, moi vivant et les yeux ouverts, ne portera sur toi des mains violentes. Quand même tu nommerais Pollux, qui se glorifie d'être le plus puissant des Astréïdes.

Et le calculateur irréprochable reprit courage et dit :

_ Bollong ne vous reproche ni vœux, ni sacrifices omis. Il venge son Sacrificateur Suprême, que Pollux a couvert d'ignominie, car il n'a point délivré sa fille et pour laquelle il a refusé le prix de rançon. C'est pour cela que le divin Bollong nous accable de maux. Et il nous en accablera encore et encore. Il n'écartera point pour nous les lourds rideaux des replis de l’espace, tant que nous n'aurons rendu à son père bien-aimé la jeune fille aux danses sacrées, et qu'un temple glorieux n'aura été construit sur une planète identique à Terra, laquelle sera à jamais la demeure de la belle Vesta et la prison de Pollux. Alors nous apaiserons le Dieu.

Ayant ainsi parlé, il s'assit.

Et le héros Astréïde Pollux, qui commande à tous, se leva promptement, plein de la fureur de Crom. Une noire colère emplissait sa poitrine, et ses yeux étaient pareils à des soleils arden.

Furieux contre Kalkhas, il parla ainsi :

_ Oracle pitoyable, misérable Cassandre ! Jamais tu n'as rien dit d'agréable à mes oreilles. Les maux seuls te sont doux à prédire. Tu n'as jamais ni bien parlé, ni bien agi à mon égard ; et voici maintenant qu'au milieu de nous tous, dans l'agora aux murs liquides, tu prophétises que l'Archer Bollong nous accable de maux, parce que je n'ai point voulu recevoir le prix mirifique de la vierge Vesta. C’est vrai, j’aime mieux la retenir sur mon vaisseau amiral, en en faisant une femme vraie. En effet, je la préfère à Savana, sœur d' Akhyllieus, que j'ai épousée en premières noces. Elle ne lui est inférieure en rien, ni par la beauté, ni par la grâce ou l'intelligence, et encore moins par l'habileté aux arts amoureux que je croyais jusqu’à présent réservés aux putains stellaires. Mais, pour la paix et apaiser toutes critiques, je la veux bien rendre. Je préfère le salut des nations à leur destruction. Mais avant, je veux d’elle un enfant, car ainsi je pourrai la cloner. Auparavant, il nous faut trouver où bâtir ce temple, après quoi je laisserai en son sein la belle Vesta.

Akhyllieus, aux nefs rapides, se leva et lui répondit :

_ Voilà qui est sage, noble roi Pollux. Je pense que nous pouvons en rester là à cette heure.

Donc, chacun regagna sa flottille et se dispersa, à la recherche d'une planète semblable à Terra.

Nul doute que cette quête serait longue.

Nul doute qu’elle serait périlleuse, car la Myriade du cygne noir était vaste et dangereuse.

Mais Pollux désirait gagner du temps : en effet, il ne souhaitait en aucun cas se départir de la belle Vesta à la peau d’ivoire et au sourire de nacre, ni finir ses jours comme Prométhée, enchainé sur un quelconque rocher.

Une de ses nefs, la plus rapide, la mieux armée, la plus furtive aussi, avait réussi à percer le blocus divin. A son bord était le plus rusé, le plus retord de tous ses capitaines, Odysseus, le protégé d’Ishtare, le commandant de l’Argos.

Et il revenait avec de bonnes nouvelles.

Des nouvelles pour les seules oreilles de Pollux.

_ O Roi, héros Dioskouroi, nourrisson de Shamralack, je t’apporte les échos d’un autre univers où une race pareillement humaine à nous s’est affranchie des Dieux. Ils les ignorent, ils se nomment entre eux Nietzschéens, ils sont puissants. Ils sont les maitres des nanostructures et règnent sur les clones, cette science interdite par les Dieux depuis l’aube des guerres du méta-gluon.

_ Quel est le prix ?

_ Une simple demande, Roi, pour avoir leur aide : la Boule de Distorsion, et la possibilité de se mesurer à nos Dieux.

_ Comment cela ?

_ Oui, la Boule de Distorsion que vous avez laissée à Narisphon. Et la guerre contre les Dieux, car ils proclament partout la supériorité des humains.

_ Comment faire, rusé Odysseus ?

_ Qu’Ishtare la divine nous éclaire de ses lumières. Que les grands calculateurs du vaisseau mère interrogent les nombres. Cependant, il faut à tout prix que ce soit nous qui trouvions la planète.

_ Mes Argonautes ont quadrillé les marches du grand amas et ils n’ont rien trouvé. Mais la délégation des Nietzschéens qui m’a suivi peut nous y aider.

_ Alors qu’attends-tu, brave Odysseus, pour les introduire par devers moi ?

Alors le Lion, car tel était le nom de l’ambassadeur des Nietzschéens, s’adressa au Roi :

  • Chez nous, le divin est mort. C’est une citation bien connue de Friedrich Nietzsche, notre Sage insensé. Les Dieux sont morts ! Les Dieux resteront morts ! Et c'est nous qui les avons tués ! Comment nous consoler à présent, nous, les meurtriers de tous ces dieux meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant, a perdu son sang sous notre couteau. Qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d’inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement, ne fût-ce que pour paraître dignes d’eux ? Et dans ce cas, ne devrons-nous pas finalement nous supprimer, si nous sommes nous-mêmes devenus des Dieux ? Nous avons besoin de réponses ! Et nous voulons encore nous mesurer au divin, car après avoir tué nos Dieux, nous avons découvert quelque chose de plus dangereux que la mort. Nous avons découvert l’ennui. Pour autant, oui, nous avons trouvé une planète rocheuse encore jeune, et nous sommes prêts à te l’offrir. Alors, ô Grand Roi, écoute mon idée.

Ainsi avait parlé le Lion, l’ambassadeur des athées.

***

Le temps passa et la planète en question fut bombardée de météorites et de comètes qu’on y avait dirigées.

La terraformation avait commencé. Les vaisseaux-usines à oxygène et à microorganismes fonctionnaient à plein régime.

La flotte, grosse d'une humanité toute entière, était confinée en champ de stase. Le temps pour elle s’écoulait 10 000 000 fois plus lentement.

Le temps passa, encore et encore, et enfin, sur cette nouvelle terre, on put enfin se rassembler.

Pollux parla ainsi :

  • Préparez-moi maintenant une compensation, afin que moi seul, je ne sois point dépouillé. Cela ne conviendrait point à ma personne, qui est votre roi ; car, vous le voyez, ma part m'est retirée, si je laisse ici la belle Vesta.

Et le divin Akhyllieus aux nefs rapides, lui répondit :

  • Très orgueilleux Astréïde, le plus avare des hommes, comment les magnanimes Voyageurs Des Limbes te donneraient-ils un autre prix ? Avons-nous du butin à mettre en commun, nous qui n’avons point participé à tes sacrilèges razzias ? Celui que tu as enlevé du système de Terra a été partagé avec tes tribus, et il ne convient point que nous tous fassions à nouveau un partage sur le néant dont tu nous as parés. Mais toi, remets Vesta à son père, et nous, Voyageurs Des Limbes - si jamais Shamralack nous donne à découvrir d’autres systèmes riches de butin - nous te rendrons le triple et le quadruple de ce que tu espères.

Et le roi Pollux lui répondit :

  • Soit ! Mais je ne veux qu’une faible partie de la rançon promise par le prêtre de Bollong, alors je laisserai la belle Vesta. Et je saurai me montrer conciliant, je ne me contenterai que de la boule de distorsion. Vous voyez tous que je ne suis point aussi avare, ni mal accommodant comme le crie Akhyllieus dans toute cette partie de l’univers.
  • Non content de nous mettre tous dans l’embarras, de nous placer en délicatesse avec les Dieux, tu m’insultes, moi et ma Sœur que tu as, de façon si éhontée, outragée aux yeux et au su de tous. Prends garde Pollux que ma haine, qui grandit avec le temps, ne se déverse comme une tempête cosmique ! Je suis las de tes insultes. Prends garde que les routes de l’espace ne te soient fermées pour les éternités à venir.

En ce jour de grâce, je m’en veux clore toute querelle. Aussi, après avoir trouvé cette heureuse planète, y avoir bâti des temples et des villes à l’image de l’antique Terra, je m’en vais exaucer la demande de Kalkhas et déposer la belle Vesta entre les murs du temple de Bollong. Céans, je convoque Narisphon afin qu’il me cède l’unique prix demandé. J’exhorte aussi les Dieux pour que nous puissions enfin mettre un terme à cette divine querelle, m'en sont témoins mes alliés, les Nietzschéens, qui m’ont cédé cette terre.

Les Dieux l'entendirent, de leur présence ils honorèrent cette illustre assemblée et ce fut à la fois un début et une fin.

Alors, cette terre, qui devait être un sanctuaire et une prison, fut le théâtre d’un conflit inimaginable.

Un théâtre et un piège pour les Dieux, car pour les Nietzschéens, un bon Dieu était un Dieu mort.

Aussi s’attaquèrent-ils à l’essence même des Dieux.

***

Et 100 000 années s’écoulèrent...

Puis, sur ces premières cendres, naquirent des civilisations, puis d’autres, et encore d’autres, éternel retour d’un jeu qui devait tromper l’ennui d’une race supérieure.

Durant les temps immémoriaux du calendrier céleste de l’Ecclésiaste, neuf empires régnèrent sur la plupart des contrées connues de cette terre, que l’on nommait alors Laurasie.

Celles-ci étaient gouvernées par les survivants, descendant des dynasties des Divins Empereurs du Ciel et les Voyageurs des Limbes.

Ils s’étaient partagés les nations et les races au gré de leurs bons plaisirs et des hasards de ce qu’ils appelaient le Grand Jeu.

Les siècles de luttes stériles s’étaient ainsi écoulés, sans que pourtant rien ne change.

Ainsi, les civilisations semblaient figées dans un carcan de rites et de techniques immuables.

Mais, après la peste violette, et la mystérieuse disparition des Empereurs et des voyageurs, le fragile équilibre s’était rompu comme un charme.

Et du déséquilibre naquit le chaos. Puis, du chaos naquirent de nouvelles calamités, et elles s’accumulèrent, renaissant sans cesse comme une étrange et impitoyable malédiction de Dieux morts.

Comme Loki aux ailes noires, les âges farouches planaient désormais sur cette terre sans âme, avec son cortège de désolations, mais aussi de gloires naissantes.

Des métropoles avaient déchu sous les coups de tribus rendues à la barbarie.

Des villes avaient été réduites en cendres, ensevelies sous des monceaux de ruines, certaines, déjà oubliées de tous, n’étaient plus que champs d’herbes folles où pâturaient de rares troupeaux faméliques.

Depuis, les frontières avaient été maintes fois redessinées, au gré des conquêtes, des défaites, ou des innombrables traités, aussi éphémères que le règne de non moins éphémères souverains.

Or donc, dans le reliquat d’un de ces empires, du même nom que sa capitale, dans la partie la plus riche d’un empire qui fut jadis grand et respecté, dans sa partie la plus sûre aussi, Domina, l’orgueilleuse métropole, s’était vue dévastée, ravagée par le fer et le feu.

Et ces derniers siècles, les flammes y avaient consumé jusqu’aux fondations sacrées de ses temples les plus antiques, les plus révérés.

Ces temps avaient vu le Capitole embrasé par la main même des citoyens révoltés.

Ces temps avaient vu les saintes cérémonies profanées par des prêtres impies et sans morale.

Ces temps avaient vu la création de nouveaux cultes étranges et sanguinaires qui attiraient de nouveaux adeptes, aussi nombreux que désemparés.

Ces derniers siècles enfin avaient vu la mer, jadis pacifique, se couvrir de pirates en maraude.

Des cruautés et des perversions plus atroces encore avaient été perpétrées dans l’auguste métropole, commises au sein même d’une nouvelle noblesse prédatrice, opulente et sans scrupules.

L’adultère et l’assassinat dans ces grandes familles y comptaient pour le moindre des crimes ; les complots, ordinaires ; la débauche et la luxure, habituelles.

C’était un temps où les honneurs étaient refusés ou reçus, sans que jamais le mérite n’y joue le moindre rôle.

Les délateurs et les courtisans, dont les récompenses ne révoltaient pas plus que leurs forfaits, se partageaient, comme un butin, sacerdoces et consulats.

Ils régissaient les provinces, régnaient au palais, menaient, au gré de leurs caprices et alliances éphémères, les oripeaux de ce qui avait été un empire.

La fin de ce siècle pourtant ne fut pas si stérile, car Honorius prit la tiare, et se revêtit de la pourpre impériale.

Une seule bataille avait suffi à asseoir son autorité sur la multitude.

Une victoire contre trois nations et un grand empire.

Ce fut un choc de titans, dont l’écho se répercuta jusqu’aux confins des mondes.

Deux civilisations armées, deux philosophies, dans un combat décisif, qui désigna les rois et partagea le monde encore civilisé, pour un temps.

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Loki : (Géant de la mythologie nordique proche des Ases, malfaisant, et ennemi des dieux souvent représenté sous les traits d’un corbeau.)

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