Le suprémaciste (9)

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Le burgrave Hevlich avait une sacrée poignée de main pour son âge. La salle était bondée et surchauffée, mais il gardait néanmoins sa toque de fourrure sur la tête. Une tête qui paraissait démesurément allongée du sommet de son bonnet à la pointe de sa barbe grise.

— Des affaires m’ont retenu ailleurs plus tôt dans la journée, expliqua-t-il en criant, de manière à couvrir le brouhaha. Mais je tenais à vous accueillir personnellement. Bienvenue messires chevaliers. C’est un immense honneur de vous recevoir parmi nous.

— Merci, burgrave.

— Prenez donc place, leur dit-il en désignant une table un peu à l’écart, cernée par les ombres du soir. Et sergent, allez donc nous chercher une bouteille d’eau de feu et des verres !

Umfridsen, reconverti en valet, disparut dans la cohue tandis qu’ils s’installaient autour de la table. Hevlich se lissa la barbe en parcourant l’assemblée d’un œil brillant.

— Dites donc, chevaliers, vous avez du succès. Voilà longtemps que je n’avais vu notre merveilleux Coquelet aussi rempli.

— Oui, il y a encore plus de monde que ce midi.

— C’est qu’ils n’ont pas l’habitude de voir des manteaux étoilés par ici. Moi non plus d’ailleurs.

— Et espérons qu’au terme de cette affaire, ils n’auront plus à en revoir avant longtemps.

— Absolument ! Mais dites-moi, avez-vous l’habitude de ce genre de tâches ? Parce que nous, nous n’avons jamais rien vu de tel.

— Non, les bêtes sanguinaires ne courent pas les rues, si c’est là votre question.

— Mais vous êtes bel et bien versés dans le surnaturel, n’est-ce pas ? Vous traquez le mal et l’injustice. Les monstres, c’est votre domaine. C’est pour ça que j’ai fait appel à vous.

— C’est ainsi que les légendes et les croyances populaires nous dépeignent, en effet. Et il en a peut-être été ainsi autrefois. Mais les monstres que j’ai pu pourfendre étaient tous bel et bien humains, croyez-moi. Concrètement, la résistance des chevaliers Malégides à l’Art des arcanistes les prédispose à intervenir pour neutraliser les sorciers déviants, qui ne respectent pas les règles d’éthique édictées par le Cercle et s’adonnent à des pratiques infâmantes. Si l’académie en a fait une science, les arcanes ont encore une forte connotation surnaturelle auprès des profanes. C’est sans aucun doute cet aspect de notre ordre qui vous aura donné à penser que nous étions versés dans la chasse aux monstres.

— Mais il y a bien de la magie là-dessous, non ?

— C’est possible. Et quoi qu’il en soit, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous venir en aide. C’est là aussi une doctrine de notre ordre.

Le burgrave sembla quelque peu rassuré.

— Ah, voilà notre bouteille de feu liquide ! Tenez chevaliers, buvez, ne faites pas les timides. Et racontez-moi : vos investigations ont-elles porté leur fruit ?

Il servit les verres à ras bord, puis avala le sien d’une traite.

— Nous n’avons malheureusement pas appris grand-chose aujourd’hui, répondit sir Melvin. Il y a peu de témoins directs, par contre tout le monde est prêt à témoigner. En conséquence, une bonne part de notre temps a été consacrée à écouter du vent. Nous examinerons les endroits où vous avez retrouvé les victimes, mais j’ai peu d’espoir. La piste est par trop froide.

— C’est fâcheux. Mais je ferai savoir que vous avez besoin d’informations de première main. Et je demanderai aux miliciens de venir vous faire part de ce qu’ils ont vu, entendu et recueilli comme informations jusque-là.

— Et puis nous n’avons rien pu tirer des corps, puisqu’ils ont été brûlés. Les victimes provenaient de la communauté alfar du quartier.

Le burgrave Hevlich sourit et resservit les verres.

— Il est clair que, involontairement sans doute, la bête a débarrassé nos rues d’un peu de racaille. C’est la raison pour laquelle je ne me suis pas vraiment pressé pour demander de l’aide.

— Je vois. Mais quelque chose a changé ?

— La terreur, messire. Les gens ont peur et les tensions s’accentuent. Les gens craignent de croiser la bête, c’est sûr, mais ils craignent au moins autant les représailles alfars. Même les plus hautes instances de la capitale commencent à s’en inquiéter. Et nous n’avons pas besoin qu’ils nous envoient leurs fouineurs, nous tenons à notre petite tranquillité. Mais j’ai reçu des hommes en renfort de Sart-le-Haut, de la Meunerie et même quelques gardes royaux. Je compte multiplier les rondes, surtout la nuit. Et bien entendu, l’ensemble de la garnison est à votre disposition, si vous deviez en avoir besoin.

— Merci. Recommandez-leur d’ouvrir l’œil, pour commencer, et de nous faire part de ce qui leur semblera étrange ou inhabituel. Même si c’est de l’ordre du détail. J’espère seulement que nous n’allons pas effaroucher le coupable et le pousser à se cacher, le temps que nous baissions notre garde.

— La bête doit bien se nourrir, non ?

— Si c’est bel et bien une bête, je suppose, oui. Quant aux démons, je ne sais pas…

— Les démons ?

— Laissez tomber, ce n’est qu’une mauvaise plaisanterie.

Le burgrave l’observa, perplexe.

— Bon. Bien. Je vous laisse à votre tâche. Vous trouverez le sergent à la tour, si vous avez besoin de lui ou de ses hommes. Passez une bonne soirée, messieurs.

Hevlich but un dernier verre, se leva et quitta l’auberge. Le sergent Umfridsen fit frémir sa moustache. Sa grosse main tomba sur la bouteille d’aquavit et il resservit le verre laissé vide par le burgrave. Il huma un coup, puis but cul sec.

— Mes bons messires, dit-il au terme d’un long soupir de contentement, je me tiens à votre disposition, comme l’a dit Hevlich. J’ai entendu ce que vous avez raconté. Si vous d’vez vous aventurer sur le territoire alfar, méfiez-vous. Ça peut vite tourner vinaigre et se transformer en coupe-gorge. N’hésitez pas à d’mander, mes gars vous escorteront.

Ensuite Umfridsen se coiffa de son chapel et disparut à son tour.

— J’ai craint un moment que ce bon vieux sergent n’emporte la bouteille, marmonna Yvar en se reversant un verre. La journée est perdue, mais tâchons de ne pas perdre la soirée.

— Un soudain penchant pour la convivialité ? s’étonna sir Melvin.

— N’exagérons rien, sir. Boire est une piètre consolation, mais c’est une consolation tout de même, après tant de vains efforts.

— Toujours pas convaincu par notre utilité, à ce que je vois.

— Nous serions à la recherche d’un nécromant ou d’un imperomant, ou encore de quelque secte saënide, ma foi, je comprendrais. Mais ceci… c’est une perte de temps. C’est le boulot de la garde de maintenir l’ordre au sein de la cité. Et vous avez pu voir comme moi que, bête ou pas, l’ordre ici n’est pas la première préoccupation.

— Certes, mais des gens meurent et nous avons été appelés à l’aide, nous allons donc nous en préoccuper. Et puis notre temps n’a pas été totalement gâché, nous avons tout de même appris quelques détails dignes d’intérêt.

— Nous y avons consacré toute notre journée. Et nous ne sommes pas plus près d’attraper cette… bête que ce matin.

— Pas convaincu par la théorie de la bête ?

— Aucunement. Une bête ne sélectionne pas ses victimes. Et le prêtre l’a confirmé : une bête ne laisse pas de tels carnages systématiques derrière elle.

Melvin sourit. Son novice, quoi qu’en pensent les autres, ne manquait pas de ressource.

— Et l’envol constaté par ce garde qui a découvert le corps d’Isabella ? demanda-t-il.

— Pareil, ça réfute la théorie de l’animal. Une bête qui s’en prend aux hommes ne serait pas effarouchée à l’apparition d’un garde. Elle aurait attaqué. Quant au vol, j’en connais qui seraient capables de tels prodiges.

— Des arcanistes.

— Certes pas des étudiants des premiers cycles, du moins pas sans recours à l’essence ou à un bon focus. Mais la plupart des mages de guerre, par exemple, s’appliquent à manipuler les lois de la physique. Certains sont capables de « voler ».

— Je trouve ça pas mal, finalement, pour une journée perdue.

Le chevalier remplit leurs deux verres et se mit à siroter.

— Tu es familier de l’Art Antique ? enchaîna-t-il.

— Durant le noviciat, nous sommes initiés aux recours dont disposent les arcanistes, si vous vous souvenez.

— Et je me souviens aussi que tu n’as pas mâché tes mots quant à l’inanité de ton noviciat. Tu n’as rien appris, ce sont tes propres mots. Or tu es déjà candidat pour le rite de passage. Et tes déductions prouvent que tes connaissances en la matière dépassent celles du simple profane. Ce qui me laisse penser que tu es familier des arcanes.

Grise Mine hésita. Penché sur le verre, son regard se perdait dans son contenu limpide.

— Un peu, finit-il par répondre.

— Hochstad… Le comte Alexandar, si je ne m’abuse, est un arcaniste de renom.

— C’est un éminent architectomant, en effet. Il a contribué à la construction de maintes merveilles bâties à grand renfort d’essence, telles que la nouvelle aile de l’académie Aurélius Vanheim dédiée à la recherche, la Voie Céleste, les halles de Reichmark, les portes du Sinople et de l’Été, l’arche de la Félicité…

— Je vois. Mieux qu’un simple vol par-dessus les toits. C’est un parent à toi ?

— C’est mon père.

Un long silence s’ensuivit. Le sujet était sensible. Melvin attendit encore quelques verres et que le souper fût servi pour retenter sa chance.

— J’ai connu des gars, issus de lignées d’éminents arcanistes mais dépourvus de don, dit le chevalier en enfournant un morceau de pain chargé d’omelette dans sa bouche. Pas de magie dans leurs veines ou aucun talent pour l’exploiter. Ils vivaient ça comme une honte, comme s’ils étaient responsables. Exclus, il n’est pas rare qu’ils finissent par intégrer nos rangs.

— Les « laissés pour compte » dont vous avez fait mention auprès du père Amiel en me regardant tout à l’heure ?

Melvin haussa les épaules.

— Ce sont souvent les plus téméraires. Certains envisagent l’intégration de notre ordre comme une revanche, un moyen…

— Ce n’est pas mon cas », coupa Yvar d’un ton cassant. Il serra et desserra les poings, écarta son écuelle encore à moitié pleine d’un geste brusque. Et finit par reprendre : « Vos confrères manquent cruellement de discernement et de subtilité. Ils me l’ont assez prouvé. Je commençais à me forger une opinion différente vous concernant. Ne gâchez pas tout.

La première réaction du chevalier, viscérale, fut de le prendre comme un camouflet. Il s’apprêtait à corriger l’impudent, avant de se raviser.

— Ça n’est pas à moi d’en décider, dit-il. Tu parleras, c’est indispensable si nous devons devenir frères. Mais tu le feras lorsque tu te sentiras prêt.

Mâchoire serrée, Yvar ne dit rien. Le silence gênant s’acheva lorsqu’une silhouette surgit de la foule en direction de leur table. L’individu, élancé, s’approcha en une longue enjambée. Il prit place à leur table sans y être invité et retira son capuchon.

Il leur adressa un sourire qui avait le tranchant d’un coup de lame. Un bandeau recouvrait un œil aveugle. L’autre œil était d’un turquoise enflammé. Les arabesques bleutées de tatouages duadäns s’épanouissaient sur les traits acérés de son visage. Des colifichets, breloques animistes sans valeur, pendaient à ses oreilles et à son cou. L’unique ornement précieux était un bracelet d’argent torsadé.

— Ceseïr Bleuart, je présume, dit le chevalier.

— Enchanté messires, répondit le tatoué d’une voix douce et glacée à la fois. Je vois que vous vous êtes déjà quelque peu familiarisés avec la faune de la Bauge.

— C’est aimable de nous épargner l’effort de venir vous trouver.

— Je ne suis pas difficile à trouver.

— Il paraît toutefois que votre territoire n’est pas sûr.

— Pas sûr, hein ? grinça le Duadän. Pas sûr pour qui ? À qui appartient le sang qui souille le pavé de la Bauge depuis des semaines ? Qui crève dans la rue sans que personne ne lève le petit doigt ?

— Précisément, cette situation crée des tensions.

Bleuart les observa tour à tour, l’œil réduit à une fente.

— Ainsi vous désiriez me parler ? dit-il avec plus de douceur. Lorsqu’on m’a annoncé votre arrivée, j’ai hésité à venir vous trouver. Je n’ai personne d’autre vers qui me tourner et mes gens sont impuissants face au malheur qui nous frappe. J’ai décidé de me fier à mon instinct. Et si vous voulez me parler… ça signifie peut-être que j’ai eu raison.

— C’est que les victimes sont issues de votre communauté.

— Enfin quelqu’un qui daigne y voir autre chose qu’une coïncidence ou un châtiment divin bien mérité !

— Et vous, qu’y voyez-vous ? Des crimes raciaux ?

— Ce serait facile, vous ne croyez pas ? dit Bleuart, de la glace affleurant à nouveau dans sa voix. L’auteur d’un crime racial frappe une fois, lorsque l’opportunité s’en présente. Il ne traque pas ses proies sans relâche, avant de tuer et disparaître comme par magie. Non, il ne s’agit pas du résultat d’un coup de sang haineux, mais du fruit d’un esprit minutieux et calculateur.

— Et néanmoins barbare.

— Barbare… un mot pratique, à la sémantique floue. N’est-ce pas ainsi que vous désignez mon peuple ? Vous fais-je l’effet d’un rustre sanguinaire, sir ?

Le chevalier ne répondit pas.

— Si, comme je le crois, ces meurtres sont savamment organisés, reprit le Duadän, il suffit de chercher à qui profite le crime.

— D’après ce que nous avons appris du sergent, supputa Grise Mine, je dirais : une bande rivale ?

Le sourire carnassier de Bleuart s’élargit, plus terrible et moins sympathique encore.

— Tout juste, souffla-t-il. La communauté alfar est nombreuse et bien en place à la Bauge. Ce n’est un secret pour personne : nous survivons grâce aux commerces parallèles. La brumeuse, notamment. Les bonnes gens du cru ont tellement peur que la racaille étrangère vienne voler leur travail.

» Mais récemment, la concurrence s’est durcie. Les débardeurs et les marquis du pavé se sont associés, ils nous disputent les quais. Nous gênons. Leur chef s’appelle Olgrim. Une brute, mais qui a de la suite dans les idées. Il s’est fait des alliés non négligeables en arrosant copieusement le sergent et le burgrave. Et tout ce petit monde s’entend à merveille, tandis que nous crevons dans le caniveau. Mais dès lors que la situation s’envenime, vers qui ces messieurs se tournent-ils pour régler leur petit problème sans attirer davantage l’attention de trop hautes instances ?

— Nous, lâcha Melvin, stupéfait.

— Exactement. Vous êtes neutres, vous vous foutez pas mal des petits trafics illégaux ou de la corruption. Et si on pouvait mettre tout ce joyeux foutoir sur le dos d’une bête sanguinaire ou d’un tueur dément, voilà qui serait bien commode pour tout le monde.

— Mais il n’y a pas de bête…

— Vous êtes les seuls à le penser. Je gage qu’ils trouveront quelque chose à vous mettre sous la dent. Demain ou dans quelques jours, vous tomberez sur la dépouille de quelque animal ou sur un malheureux illuminé parfait pour cette tâche. Ou alors la piste se perdra, purement et simplement.

Le silence se fit autour de la table. L’auberge, par contre, résonnait d’un joyeux vacarme. La mélodie d’un fifre se faufilait parmi le brouhaha des conversations et des rires.

— Qu’attendez-vous de nous au juste ? finit par demander Melvin.

— Quelque chose qui, je pense, est dans vos cordes : de l’honnêteté. Gardez ce que je viens de vous dire à l’esprit, durant votre enquête. Cherchez des éléments pour corroborer ma version. Et si vous en trouvez suffisamment pour être convaincus que j’ai raison, transmettez vos conclusions aux autorités compétentes.

— Et du coup, nous éliminons votre concurrence.

— Et du coup, vous mettez un terme aux massacres. C’est bien pour ça que vous êtes là, pas vrai ? Écoutez, pour eux c’est une source de profit, pour nous un moyen de subsistance. Et si c’est le commerce de brumeuse qui vous gêne, sachez que tant qu’il y aura des priseurs, il y aura des vendeurs de brumeuse pour les satisfaire. Votre intervention ou non n’y changera rien.

Le chevalier sauça son écuelle avec un reste de pain et le mastiqua méticuleusement.

— Je ne vous condamne pas, je ne vous excuse pas. Mais admettons. Vous serez débarrassé de Hevlich et Umfridsen, votre concurrence en prendra un coup, mais vous risquez de devoir, vous aussi, rendre des comptes.

— Si ma tête doit tomber, soit. Du moment que ma communauté cesse d’être la cible de ces tueries. » Ceseïr Bleuart se saisit de la bouteille et vida le restant de gnôle au goulot. Puis il la reposa fermement au centre de la table. « Nous, les alfars, ni à notre place auprès de notre peuple, ni à notre place parmi vous, reprit-il d’une voix tendue, nous avons l’habitude du mépris et de l’injustice. Mais ces pourritures ont massacré beaucoup des nôtres et de façon ignoble. Des gens que je connaissais, de bons gars… et ils ont tué mon Isabella. Je vous conjure de faire quelque chose. J’ai tenté de l’éviter jusqu’à maintenant, car personne n’a rien à y gagner et surtout pas les miens, mais si ça continue, ça va finir en bain de sang.

Melvin hocha la tête.

— Nous serons honnêtes, si c’est là tout ce que vous demandez. Et nous tiendrons compte de vos avertissements.

— Merci, mais ne perdez pas trop de temps. Et restez sur vos gardes, Olgrim peut être dangereux. Ses lieutenants aussi, méfiez-vous surtout de Stefn le Gallant. Il n’a pas l’air bien menaçant, mais c’est un sournois.

Tout à coup, un changement se manifesta dans l’assemblée, fait de regards furtifs et de messes basses, le brouhaha se calma quelque peu. Un homme venait de faire son apparition à l’entrée et embrassait la salle du regard comme si elle lui appartenait. Grand et bien bâti, un visage carré comme taillé dans la pierre, dévoré par une barbe épaisse et les séquelles d’une vie houleuse, comme en attestaient un nez cassé et une arcade tombante. Bien que Melvin l’eût mieux imaginé dans une broigne usée, le nouveau venu était élégamment vêtu : bottes en daim, pourpoint de velours lie de vin et ceinturon clouté d’argent. Il était accompagné de deux escogriffes patibulaires nettement moins bien attifés. De longs coutelas pendaient à leurs côtés.

— Quand on parle du loup, chuchota Bleuart.

Il renfila sa capuche, l’œil rivé au trio. Lorsqu’ils se furent éloignés de la porte en direction du comptoir, le borgne se leva et salua le chevalier et son novice.

— Messieurs, dit-il, au plaisir.

Puis il se fondit dans la masse sans même attendre de réponse. Il se mouvait avec aisance au sein de la presse et tenait visiblement à rester discret.

Mais arrivé à la porte, il heurta un nouveau client qui faisait son entrée. Un gars armé d’un long coutelas.

— Bon sang ! pesta ce dernier. R’garde un peu où…

Il se tut à l’instant où ses yeux se posèrent sur le visage tatoué de Bleuart.

— Eh Olgrim ! cria-t-il. R’garde un peu qui va là ! C’est-y pas l’Borgne Lazuli !

Le grand barbu en pourpoint de velours se retourna. Un silence opaque régnait désormais dans l’auberge.

— Le chef des rats a quitté sa tanière, dit-il avec une note d’amusement. Tu sais pourtant que tu devrais pas traîner par ici, Bleuart, après la dernière rossée qu’on a mise à tes gars. Le Coquelet est bien trop près des docks pour toi.

— Je ne suis pas venu chercher querelle, dit le Duadän. Je m’en allais justement.

— Tu peux pas aller et venir à ta guise. Tu peux pas venir fourguer ta camelote sous mon nez, sur mon territoire. J’aurais l’air de quoi, moi, si je te laissais filer comme ça, sans au moins te casser un os ou deux ou te faire cracher quelques dents ? » Un sourire cruel se dessina dans sa barbe, comme il approchait de sa proie. « Je vais te dire : j’aurais l’air faible.

— Je sais, Olgrim. Et moi, je tiens à mes os autant qu’à mes dents. Je suppose que tu comprendras par conséquent que je n’ai pas le choix.

Il agit avant même d’avoir achevé sa phrase et lui écrasa le nez d’un coup de boule. Le visage en sang, Olgrim recula. Mais la foule s’était écartée et ses hommes s’élancèrent vers Bleuart.

Le dernier arrivé avait déjà sa lame à la main et barrait le passage vers la sortie. L’alfar s’abaissa de justesse sous un ample revers précipité. Ce faisant, il fit jaillir un stylet de sous son manteau et taillada son assaillant derrière le genou. Le ruffian hurla, lâcha son arme et s’effondra, les mains crispées sur sa blessure. La voie était libre, mais pas pour longtemps. Bleuart bondit hors de l’auberge sans demander son reste.

Olgrim pesta.

— Allez, bande de larves, attrapez-le !

Les deux escogriffes obéirent. Quant à leur chef, le nez en sang, il cracha par terre puis saisit son homme blessé par le col et le remit sur pieds d’une secousse.

— Imbécile, grogna-t-il, viens par ici. Accroche-toi.

Le blessé passa son bras autour du cou de son patron et clopina à sa suite vers la sortie. La salle resta encore silencieuse un bon moment après leur départ. Et puis, timidement, les conversations reprirent.

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