Un dernier chant (8)

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Elle dormait d’un sommeil profond. Elle aurait encore pu dormir comme ça des heures durant. C’est un ébrouement qui la réveilla.

Lysbeth ouvrit les yeux. Une lumière rose pâle filtrait de l’extérieur. Tya dormait paisiblement tout contre elle. Sa chaleur se diffusait contre son ventre. Mais soudain Lysbeth se rappela. Où elle était. Et pourquoi. Il y avait de l’animation devant la chaumière. Des sabots frappèrent le sol. Une voix murmura.

— Tout doux.

Elle se leva sans bruit, s’approcha de la porte, l’entrebâilla. Saule se tenait sur le chemin. Il était occupé à seller une jument rouanne.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.

— Oh, vous êtes réveillée. C’est pas plus mal. Le jour se lève, nous allons devoir partir.

— D’où vient ce cheval ?

— La providence. Tout ne peut pas toujours mal tourner.

— Je n’arrive pas à y croire. Ce n’est pas juste de la chance, n’est-ce pas ? Où l’avez-vous trouvée ? Avez-vous dormi au moins ?

— Je dors peu. Il y avait une étable. Les gens qui habitaient ici devaient avoir au moins un cheval ou une mule. J’ai cherché un peu dans les environs et j’ai trouvé la bête dans une prairie voisine. Son foyer devait lui manquer.

— Nous allons rejoindre Tierne en un rien de temps, grâce à elle.

— Nous éviterons tout de même les routes trop fréquentées, dans la mesure du possible.

Il attacha le cheval et s’approcha d’elle.

— Je vais rassembler nos affaires. Réveillez Tya et mangez. Nous partirons dès que vous aurez terminé.

Ils grignotèrent des restes de poulet froid et une pomme. Ensuite, Saule invita Lysbeth à prendre place sur la selle de la jument. Puis il installa Tya devant elle, face à face, et l’enveloppa d’une couverture qu’il noua dans le dos de sa mère. La petite grelottait de nouveau contre sa poitrine.

Saule mena l’animal par la bride et ils quittèrent la chaumière des Bergen. Lysbeth eut un dernier regard pour la famille qui se balançait aux branches. Elle ne pouvait s’empêcher de se sentir un peu coupable d’ainsi voler leur jument et leurs provisions. Puis elle aperçut, sur le bord du sentier, un petit tas de terre retournée sur lequel étaient empilées quelques pierres.

— C’est vous qui avez fait cela ? demanda-t-elle.

— Pour Terreur. C’était un bon chien.

— Vous avez enterré le chien et laissé pendre les Bergen ?

— Le chien, je le connaissais. Et je ne vais tout de même pas enterrer tous les morts que nous allons croiser jusque Tierne.

Lysbeth se raidit sur la selle.

— Vous croyez qu’il y en aura tant que ça ?

— Je le crains, oui. Ces Duadäns, ce n’étaient pas de simples pillards. Ils venaient nous faire payer quelque chose.

Et de fait, la première bâtisse qu’ils rencontrèrent sur la route, une grosse auberge sise à un carrefour, donna raison à l’ermite. Le toit était parti en fumée. Les moellons du rez-de-chaussée étaient noircis de suie. Une enseigne illisible, découpée en forme de porc, pendait au-dessus des vestiges de la porte d’entrée. Dans la clarté du jour encore naissant, Lysbeth devina trois corps recroquevillés dans les herbes hautes du bas-côté.

Puis elle aperçut une série de poteaux, dressés le long de la route. Ils ressemblaient à des épouvantails, bien alignés, comme des soldats en formation. Ils n’effrayaient cependant pas les oiseaux. Au contraire, certains servaient de perchoir à des freux qui ne s’égaillèrent qu’à leur approche. Lysbeth découvrit alors que les têtes, fichées sur les poteaux, étaient de vraies têtes humaines. D’horribles caboches à demi dévorées cernées de mouches. Elle en dénombra une trentaine, une macabre haie d’honneur pour les voyageurs en direction de Tierne.

— Ne regardez pas ça, conseilla Saule, qui poursuivit sans ralentir.

Lysbeth ne répondit rien, mais ne put s’empêcher de se sentir un peu vexée. Jamais personne n’avait dit d’elle qu’elle manquait de cran. Elle était néanmoins soulagée que Tya somnole contre sa poitrine.

Des scènes semblables se succédèrent jusqu’au coucher du soleil. Parfois une ferme comme la leur, parfois un hameau ou un camp de bûcherons. Une fois un moulin à aube. Le meunier et sa famille avaient été attachés à la roue et noyés. Mais sa petite fille ne dormit pas toute la journée. Tya ne dit rien, mais à chaque fois, elle se pelotonna contre sa mère.

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