Un dernier chant (11)

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Ils firent un écart pour contourner le champ de bataille, dans la direction opposée à celle empruntée par le va-nu-pieds et son copain. Car apparemment, les oiseaux n’étaient pas les seuls charognards dans les parages.

En peu de temps, ils arrivèrent en vue de Tierne. La ville occupait le cœur d’une vaste vallée fertile. Les bocages vibraient d’animation, entre les patrouilles armées et les fermiers en quête de leur bétail égaillé. Le soleil de cette fin d’après-midi dorait les champs et les pâtures, de sorte que les ruines noircies, parfois encore fumantes, n’en contrastaient que davantage. La périphérie agricole portait les stigmates évidents du passage des Duadäns. Un spectacle bien trop familier à Saule, quoiqu’il faisait écho à un passé lointain.

Tierne était cernée de remparts. La base était constituée de pierre, le sommet de hourds en bois. Les fortifications n’avaient pas souffert, sinon des assauts du temps. L’ennemi ne s’en était pas pris aux murs.

— Nous y sommes, dit Lysbeth, une pointe d’appréhension dans la voix. Vous avez tenu votre promesse, Saule. Merci.

— Ce n’est rien. Commençons par vous trouver un guérisseur.

— Vous nous accompagnez ? demanda-t-elle avec espoir.

— Je dois m’assurer de ne pas avoir fait tout ce chemin pour rien, non ?

Ils furent contraints de se frayer un passage dans la cohue qui régnait aux portes. Des soldats qui portaient des brancards, des éclaireurs de retour de patrouille, des messagers, des paysans en quête de refuge se bousculaient pour entrer. Un cordon de gardes armés de vouges tentait de filtrer la foule, mais presque tout le monde finissait par entrer. Ils orientaient les réfugiés vers les endroits où il y avait encore de la place et essayaient de faire refluer le rebut.

Tandis qu’ils patientaient pour entrer, Saule surprit une conversation entre deux jeunes recrues :

— Tu reviens de patrouille ? demandait l’un.

— Ouais enfin, patrouille c’est un grand mot. C’est l’douzième de cavalerie qui s’occupe de couvrir la vallée. Moi je suis pas allé bien loin. Comme je suis resté dans les murs hier soir, j’ai fait partie des fossoyeurs.

— Oh, moche.

— J’ai enterré des mômes. Putain, et des tas. J’crois que j’aurais encore préféré être de ceux qui sont sortis hier soir.

— J’crois pas, non. T’imagines pas comme on a dégusté. Ils ont même eu le champion de Tierne. Sir Wendel s’est jeté au plus fort des combats, mais même lui, ils ont fini par l’avoir. Pourtant t’aurais dû l’voir, immense, tout couvert d’acier, avec son marteau.

— Comme en tournoi.

— Ouais, impressionnant. Ils ont ravagé la campagne rien que pour nous faire sortir. Ils nous attendaient de pied ferme là-bas, au moulin Hankraht.

— Ouais, y viendront jamais s’frotter aux murs.

— Prendre Tierne les intéresse pas, de toute façon. Et ce soir, le pays peut brûler, personne ne quittera la ville. Ce sont les propres mots d’Arnulf, paraît. On sort pas tant que Raurken et ses troupes seront pas arrivés de Graad.

Saule se désintéressa des soldats au moment où il arrivait au cordon. Un grand gaillard vêtu d’une brigandine les arrêta. Il avait la tête bandée et du sang lui encroûtait la tempe.

— Eh vous ! V’nez faire quoi ? Cherchez un refuge, je suppose.

— Non, un médecin, répondit Saule.

— Ha ! Mon gars, va falloir faire la queue.

— C’est urgent.

— C’est urgent pour tout l’monde. Au cas où vous auriez pas remarqué, nos hommes en ont bavé hier soir et jusque ce matin. Ces bons docteurs sont occupés. Feriez mieux d’être patients.

Saule jeta un œil par-dessus l’épaule du soudard. Il y avait là une esplanade où s’alignaient des tentes. De temps à autre, il voyait un brancard entrer ou sortir, ainsi que des gens vêtus de tabliers tachés de sang.

— Ils sont là, dans ces tentes ?

— Z’êtes sourd, ou quoi ? Ils s’occupent de nos gars. Et peut-être que demain ou dans deux jours, ils s’occuperont de vous. Z’avez pas l’air bien amoché, de toute façon.

— Ce n’est pas pour moi.

— Alors dégagez.

Une sourde colère commençait à bouillir dans la poitrine de Saule. C’est alors qu’il sentit une main se poser sur son épaule.

— Laissez-moi faire », dit Lysbeth. Puis, s’adressant au soldat : « Monsieur le capitaine, soyez aimable, je vous en prie.

— J’suis pas cap…

— De grâce, messire. Vous m’avez l’air bien brave. Ma petite fille a été blessée par une flèche de ces sauvages. Elle souffre, elle a de la fièvre et elle a vraiment besoin d’un médecin de toute urgence.

L’homme grogna un coup, darda un regard noir en direction de Saule. Puis il s’écarta.

— Pouvez toujours essayer. Mais j’vous aurai prévenu, risquez d’être refoulés à l’entrée des tentes.

Saule grommela ce qui pouvait aussi bien passer pour un « merci » que pour un « abruti » et avança. Ils s’engagèrent dans le vaste espace pavé délimité par des façades à colombages. La foule s’éclaircit un peu, mais guère, car ensuite elle s’engouffrait dans d’étroites ruelles.

Ils ne devaient toutefois pas aller bien loin. Ils s’approchèrent des tentes, où une autre sorte de cohue régnait : des gens pressés, épuisés, couverts de sang, des brancardiers transportant des blessés ou des morts, le tout au son des cris et des gémissements. Un autre spectacle familier. Saule s’approcha de l’entrée du premier pavillon.

— Oncle Saule ! appela Lysbeth.

— Quoi ?

— Tenez.

Elle lui tendit la gamine. Il n’eut d’autre choix que de la réceptionner.

— Bon sang, grogna-t-il, qu’est-ce que vous faites ?

— Je m’en occupe.

— De quoi ?

— De parler. Avec qui que ce soit. Vous avez beaucoup de qualités, mais pas celle de parler aux gens.

Nouveaux grommellements inintelligibles. Il n’opposa toutefois aucune résistance.

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