Un dernier chant (17)

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Du bout de ses doigts valides, Saule palpa sa pommette enflée. Un coquard, une lèvre fendue et deux doigts brisés, il estimait s’en tirer à bon compte.

Un soupirail diffusait une clarté grisâtre dans son cachot. Cette lueur lui apportait tout le réconfort dont il avait besoin. Car il savait que là-dehors, sous ce même ciel chargé de nuages, une petite fille et sa mère vivaient, libres et en bonne santé. Il l’avait sauvée. Lui, l’effleuré, sans formation académique, le chanteur de pacotille. Il avait accompli l’impossible.

Un sourire douloureux s’étira sur son visage.

Une clé joua dans la serrure et la porte des geôles s’ouvrit. Du coin de l’œil, Saule aperçut une jolie paire de bottes, de l’autre côté de la grille. Le geôlier les avait trouvées à son goût. Il heurta les barreaux avec son trousseau, éveillant des échos métalliques à travers tout le couloir.

— T’as d’la visite, chien d’hérétique !

Saule ne réagit pas.

— Allez, debout ! s’écria le gardien en redoublant les coups de trousseau. Et incline-toi d’vant monseigneur ! Un peu d’manières, putain !

— Allons du calme, dit la voix posée et glacée du père Karel. Cessez donc ce tintamarre.

— Y bronche pas. Voulez pas que j’aille lui en coller une ?

— Non, laissez-nous.

— Z’êtes sûr ? demanda le geôlier en caressant le manche de son gourdin.

— Certain.

— Bon. Si z’avez b’soin de que’que chose, vous criez.

— Comptez sur moi.

Les bottes s’éloignèrent. D’autres prirent leur place, à demi cachées par un long tabard rouge. Saule ne bougeait toujours pas, plongé dans l’examen minutieux de la jonchée défraîchie et de ses pieds nus posés dessus.

— Je sais que vous mentez, dit le questeur.

Le silence seul lui répondit.

— C’est un peu ma magie à moi. Je distingue la vérité du mensonge. C’est mon domaine.

Saule scrutait ses orteils esquintés. Pas par un tortionnaire, mais par la longue marche.

— Vous savez qu’il s’agit de magie illicite. Et elle est prohibée pour une bonne raison. Il doit y avoir des limites bien établies, surtout en ce qui concerne les arcanes, sinon le monde sombrerait vite dans le chaos. Nous serions dominés par les saënides, les adorateurs de Malleus, la voie serait grande ouverte pour le retour des Princes Noirs. » La voix du père Karel s’était durcie au gré de sa tirade. Il se radoucit pour conclure : « La nécromancie est une infraction à la loi première.

Saule fut secoué par un ricanement.

— La nécromancie…

— Vous trouvez ça amusant ?

Le chanteur releva la tête pour le regarder.

— Terrifiant, plutôt. C’est votre domaine, mais vous ne savez pas de quoi vous parlez.

— Ramener des morts à la vie, c’est de la nécromancie.

— Je n’ai fait que la soigner.

— Ce n’est pas ce que rapportent les très nombreux témoins.

— Vous avez demandé à Alzyr ?

— L’alchimiste ment, lui aussi.

— Bien entendu. Votre don, ce ne serait pas plutôt de décider qui dit vrai et qui dit faux ?

Le père Karel ne répondit pas immédiatement.

— La petite était morte. Déjà auprès d’Yseh. Vous l’avez arrachée au repos éternel.

— Elle était blessée, empoisonnée. Je n’ai fait que la soigner.

Le regard du questeur flamboya.

— L’alchimiste peut raconter ce qu’il veut. Je ne dispose pas avec lui des moyens dont je dispose avec vous. Car vous êtes un récidiviste. Un apostat en fuite. Je n’ai même pas besoin de vous faire de procès.

Saule en revint à ses orteils.

— Vous avez chanté en valalien, reprit le questeur.

— C’est un crime, ça aussi ?

— La langue des païens que je m’en allais affronter lorsque j’ai croisé votre route. Où l’avez-vous apprise ?

Une fois encore, Saule s’abstint de répondre.

— C’est votre femme, n’est-ce pas ? C’est elle qui vous l’a apprise.

— Ce n’était qu’une chanson.

— Le chanteur… sir Mewnard, le sénéchal du margrave, vous a tout de suite reconnu.

Le questeur donna l’impression d’attendre une réaction. Il dut être déçu.

— Vous savez, reprit-il, vous pourriez vous éviter bien des souffrances. Si vous daigniez parler, je pourrais vous éviter le bûcher.

— Pour recevoir la mutilation péanique et intégrer le Chœur Éternel ? demanda Saule d’une voix chargée d’ironie. Vous parlez d’un soulagement. Le feu tue plus rapidement.

— Je pourrais songer à vous réintégrer à une académie. Vous porteriez un anneau d’entrave, dans un premier temps du moins. Vous avez un don singulier, digne d’être étudié.

— Et à la place, vous voudriez brûler une petite fille innocente.

— Ce n’est plus une petite fille innocente, c’est une aberration. Depuis que vous l’avez ramenée d’outre-tombe.

— La populace est friande d’exécutions. Les criminels, les hérétiques, mais les petites filles… j’en doute. Vous ne craignez donc pas de la contrarier ?

— La populace est ignorante des intérêts supérieurs.

— Vous êtes un monstre. Et quand bien même je saurais où trouver la petite, je ne vous le dirais pas.

Ce fut au tour du questeur de garder le silence. Saule ne s’intéressait plus qu’à ses orteils couverts de cloches. Il entendit vaguement le prêtre s’éloigner et chuchoter :

— Yseh veille sur votre âme.

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