Le Coucou (11)

5 minutes de lecture

Un silence sépulcral accueillit l’arrivée du questeur et de ses vénates.

Leur irruption dans ce bouge miteux avait quelque chose d’insolite. La cave aux voûtes enfumées, avec ses quelques tables maculées de cire et de bière, son sol de terre battue, son pauvre comptoir sur tréteaux, n’accueillait qu’une clientèle habituée de poivrots et de filous. Aussi le père Tyber s’attira-t-il tout ce qu’il y avait de regards méfiants et menaçants.

— Bonsoir, mademoiselle, lança-t-il avec un regard pour la serveuse occupée à chasser des mains baladeuses. Et messieurs, ajouta-t-il pour le reste de l’assemblée.

— M’sire, répondit la donzelle avec un semblant de révérence.

Mais pour le reste, pas un mot.

— Je suis le père Tyber et je cherche une certaine Malda. Quelqu’un saurait-il où je puis la trouver ?

Hormis les œillades noires et un rôt étouffé, point de réponse. Tyber exhala un long soupir.

— Elle habite le quartier. C’est une jeune femme menue, brune, qui vend ses charmes et s’est récemment fait une vilaine bosse chez le doyen Grimald. Je suis sûr que vous voyez de qui je parle.

— On n’aime pas les étrangers, ici, grogna une voix depuis un coin obscur.

Le questeur se tourna vers l’origine de la voix.

— Plus vite vous me renseignerez, plus vite je cesserai de vous importuner.

— Vous v’nez ici, vous nous insultez et vous pensez qu’on va vous rencarder ?

— Je vous insulte ?

Le porte-parole, un type rougeaud épais comme une barrique, se leva de son tabouret.

— Z’avez bien dit que Malda était une pute.

— Donc vous la connaissez.

Le gros plein de bière cracha par terre.

— Dégagez, curaillon ! On veut pas d’vous ici.

— L’accueil n’est décidément pas la spécialité de la région. » Le questeur s’approcha d’un pas lourd, tandis que ses hommes se déployaient dans la gargote. Sa main effleura le manche de sa masse, comme une menace tacite. Il observa un moment son interlocuteur, de sous sa capuche. Il était si proche que l’autre recula d’un demi pas. « Essayons autre chose, souffla-t-il. Quoi qu’on en dise, je ne suis pas si cruel ; je privilégie toujours la manière douce avant de sévir.

Gros plein de bière déglutit.

— Si je vous offrais à boire ? proposa le questeur. Ainsi, je ne serais plus un étranger.

Le poivrot s’obstina dans son silence. Mais une réponse vint d’ailleurs. Du comptoir.

— Une bière, c’t’un peu chiche.

Le questeur tourna la tête. Le tenancier, un gros homme rougeaud qu’on aurait pu prendre pour le propre frère du gros plein de bière, restait pétrifié dans son tablier. Mais ce n’était pas lui qui avait pris la parole. Un autre gaillard, plus athlétique, lui adressait un sourire dans lequel béait un trou.

— Ben vrai c’qu’on dit, non ? renchérit-il. Les coffres de l’Ordonnance sont pleins à raz ? Alors une bière, c’t’un peu chiche, d’après moi. Moi j’dis ça… c’est si vous voulez vous faire des copains.

Le questeur abandonna la brave barrique pour s’intéresser à l’opportuniste souriant. Il s’approcha du comptoir et retira son capuchon.

— Dis donc, s’esclaffa l’autre, j’avais encore jamais vu un curé avec une tête de camé !

Le père Tyber prit une grande inspiration. Du bout des doigts, il farfouilla dans une escarcelle à sa ceinture. Il en sortit une pièce et la plaqua sur le comptoir. Une magnifique couronne. Même à la lueur timide des chandelles, elle renvoyait des reflets dorés qui allumaient tous les regards.

— Oh putain ! s’exclama l’opportuniste. C’est d’l’or !

Il tendit la main pour se saisir de la pièce. Mais au moment où la paume toucha le comptoir, le poing ganté d’acier du questeur s’abattit dessus. L’os craqua distinctement. Le client hurla.

— Alors, on peut parler maintenant ? demanda Tyber.

Plusieurs gars se levèrent et firent mine d’intervenir. Le premier fut cueilli par Ulrich, qui d’une main puissante l’attrapa à la gorge et le colla au mur. Un autre sursauta lorsqu’il sentit les chatouillis du surin de Melvellio au creux des reins. Les derniers furent tenus en respect par Klaes, qui avait dégainé ses deux pistolets à silex.

— Allez mes chéris, susurra-t-il, venez faire connaissance avec Flammèche et Étincelle. Elles ne demandent qu’à chanter.

Toute la cave s’était figée. Le moment de tension sembla s’étirer. Seul les gémissements de l’opportuniste, dont la main était toujours coincée sous le gantelet du questeur, troublaient le silence épais et attestaient que le temps s’écoulait toujours.

Finalement, le père Tyber libéra le malheureux, qui s’affala sur un tabouret.

— Bon, je reformule ma question une dernière fois avant de devenir vraiment désagréable : où puis-je trouver Malda ?

L’homme ne souriait plus, mais un rictus de douleur n’en dévoilait pas moins l’emplacement vacant de sa dent manquante. Il tenait son poignet droit de la main gauche, mais n’osait détailler de trop près les angles bizarres formés par ses doigts.

— Chais pas », haleta-t-il. Et sous le regard noir du questeur, il s’empressa d’ajouter : « Mais elle tapine souvent du côté de la place aux freux, ou dans les rues autour.

— Voilà qui est mieux. Par hasard, sauriez-vous si elle s’est plainte d’un client récemment, si elle a fait une mauvaise rencontre, quelque chose d’inhabituel ?

— Dans son métier, on fait pas que de bonnes rencontres, savez. Mais elle a les jetons, ça oui. Plusieurs de ses connaissances ont été tuées récemment. Elle a pratiquement vu le capitaine Faustin se faire tuer. Elle a peur d’être la prochaine.

— Intéressant. Et Grimald, vous le connaissez ?

L’autre fronça les sourcils.

— L’doyen ? M’avez r’gardé ? Chuis pas d’la haute, moi.

— De réputation ?

— Tout c’que j’sais, c’est qu’c’est pas un tendre, qu’il est plein aux as et que l’baron l’porte pas vraiment dans son cœur.

— C’est déjà pas mal. Et pourquoi il ne l’aime pas, d’après vous ?

— Peuh ! Chuis pas baron. Mais j’suppose qu’à sa place, si j’vis dans un donjon croulant que chais pas r’faire à neuf et qu’à côté, y a un gus avec les poches pleines qui s’pointe et s’fait construire un palais, et qu’en plus il y invite tous mes copains, ben j’suppose que j’lai en travers de la gorge, et bien vilaine.

— Ça se tient. On dirait bien que ça cogite dans cette petite caboche, finalement.

— Mais j’pense bien qu’vous perdez vot’ temps, questeur. Nous on sait bien qui c’est, les responsables des troubles, des vols, des disparitions…

Tyber esquissa un sourire.

— Dites donc, moi qui pensais que vous étiez du genre peu bavard. Et d’après vous, qui donc est responsable ?

— C’est ces étrangers. Z’ont installé leur cirque, au bord des faubourgs. Y a que des problèmes, depuis lors.

— D’accord. Je comprends mieux pourquoi vous n’aimez pas les étrangers. Mais ce n’est pas une raison pour dédaigner à ce point les règles de l’hospitalité. » Le questeur renfila son capuchon, récupéra sa couronne scintillante et prit la direction de la sortie. « Allons causer à cette Malda.

— Attendez ! lança l’opportuniste avec hardiesse. La pièce d’or. J’ai répondu à vos questions.

Tyber afficha une moue de mépris.

— Vous avez eu l’impudence d’extorquer l’Ordonnance. Vous devriez vous estimer chanceux d’avoir encore tous vos membres. » Puis il se tourna vers le tavernier. « Mais avant votre intervention, j’ai promis une tournée. » D’une chiquenaude, il envoya une draque d’argent virevolter vers le comptoir. Le tenancier l’attrapa au vol. « Et je suis un homme de parole.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Laurent Vanderheyden ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0