30

5 minutes de lecture

Bien sûr une fois devant son propre miroir, Clémence n’était pas arrivée à reproduire la coupe. Incapable de structurer correctement les mèches, elle ne faisait que transformer son crâne en mikado collant. Au bout de deux jours d’essais infructueux, elle avait abandonné l’idée de se coiffer autrement qu’avec le sèche-cheveux et une brosse. Le résultat n’était pas glorieux, mais elle devait admettre qu’il lui donnait un coup de jeune. De jeune divorcée, bizarrement.

Enfin c'est surtout la couleur, pour le reste…

Cette fois, c’était la bonne. Le jour J. Elle enfila une robe d’été datant de la fac que ses mésaventures récentes lui permettaient de porter à nouveau sans être boudinnée, puis passa au visage. Là encore, il avait fallu plusieurs heures d’essais à se maquiller et démaquiller jusqu’à s’en faire rougir les yeux avant de trouver comme harmoniser sa nouvelle coupe de cheveux avec le reste. Fini les légers traits noirs et le doux maquillage gris clair, il avait fallu passer à davantage de couleur avec du marron glacé et bien plus de fond de teint qu’elle n’en avait jamais mis pour masquer sa pâleur et ses cernes.

Si j’avais su ce qui m’attendait, j’aurais évité de vieillir.

Le résultat ne lui correspondait pas, mais c’était peut-être pour le mieux. Si elle peinait à se reconnaître dans le miroir, sans doute parviendrait-elle à berner Axelle suffisamment longtemps pour l’approcher. Elle acheva de s’équiper avec des boucles d’oreilles en améthyste, le pendentif qu’Axelle lui avait offert pour son anniversaire et une paire de talons. Chaque ajout lui offrait le courage de dix armures. Il en aurait fallu un millier de plus pour la soulager totalement.

La clé USB l'attendait sur le meuble de l’entrée, comme une menace laissée là par quelque désaxé pour la terroriser. Les deux propositions étaient vraies.

En avant Enola Gay, songea-t-elle en la fourrant dans son sac. L’hésitation, c’est la défaite.

Aucune place de libre ne lui permettait de surveiller l’entrée du salon de coiffure, si bien que Clémence avait pris parti de tourner en rond pour enchaîner les passages dans la rue en sens unique. Tant pis pour la planète, elle mangerait bio pour alléger sa conscience. Après quinze minutes de ce manège, les ouvriers qui creusaient sur son chemin avaient repéré sa Mini et la saluaient avec de grands sourires à chaque passage.

Lors de son deux-cent-cinquante-millième tour, une place était enfin apparue, mais une énorme berline noire lui grilla la politesse pour aller stationner pile où elle le désirait. Le véhicule lui était étrangement familier.

Merde !

Clémence accéléra pour échapper au pire et dépassa rapidement le véhicule, les yeux rivés sur le rétroviseur central. Une tête blonde émergea de l’habitacle. Clémence soupira de soulagement. Elle ne l’avait pas manquée. La berline mit son clignotant pour repartir et la jeune femme enfonça l'accérélateur pour établir son record du tour.

Par miracle, l’espace était toujours libre à son retour et elle s’y inséra sans finesse, sa roue heurtant le trottoir en gémissant sous les regards médusés des passants. À présent, il ne restait plus qu’à attendre. La chaleur était suffocante et, sans la clim, Clémence se retrouva vide en sueur.

Il ne manquait plus que ça !

Les minutes s’allongeaient pendant qu'elle répétait inlassablement ce qu’elle avait préparé. La clé USB tournait entre ses doigts. Elle pouvait presque sentir les radiations de sa propre bassesse s’en échapper. Après trente minutes, elle commença à paniquer. Ne l’avait-elle pas manquée ? Axelle ne passait jamais plus de vingt minutes avec son visagiste et ce n'était pas le genre de salon où il y avait la queue. La petite blonde était encore plus minimaliste que Clémence, ne faisait aucun soin et demandait seulement un rafraichissement afin de ne pas se retrouver complètement aveuglée par sa frange.

Attends, la coiffeuse n'a pas dit qu'elle avait pris un soin cette fois ?

Lorsque la tête blonde émergea du salon, Clémence jaillit de sa voiture comme un diable. Ses jambes étaient en coton et son dos dégoulinait, c'était pire que dans un cauchemar. Comme un prisonnier montant à l’échafaud, elle força ses pieds à avancer. Malgré la différence de taille, elle peinait à rattraper Axelle comme si une force invisible la tirait en arrière. Lorsqu’elle la perdit au coin de la rue, la panique la réveilla. Elle se mit presque à courir, au risque de se fouler la cheville sur ses talons bien trop hauts.

Arrivée à l’angle, elle manqua de rentrer dans une jeune femme qui léchait les vitrines. Lorsqu’elle ouvrit la bouche pour s’excuser, les mots se coincèrent dans sa gorge. Derrière une mèche fine qui balayait à peine son front, d’immenses yeux verts la dévisageaient. Le visage rond s’était allongé et s’encadrait de cheveux raidis par le fer et coupés bien droits. Une version plus courte et adoucie du sempiternel carré long de Clémence.

Les mots de sortaient pas. La tête vide, elle contemplait Axelle sans savoir ce qu’il fallait faire. La petite blonde se détourna vivement et se serait enfuie si Clémence n’avait pas crié.

— Attends !

Tétanisée, Axelle ne lui fit pas le cadeau de se retourner. D’un autre côté, Clémence était libérée du pouvoir de ses yeux. Elle continua :

— Je sais que tu dois me détester maintenant, mais je ne veux pas qu’on se quitte comme ça, sans rien se dire. C’est trop… c’est mal, je crois. Mauvais pour toi et pour moi.

Aucune réaction. Clémence en profita pour lui attraper doucement la manche. Axelle ne résista pas. Elle déposa la clé USB dans sa paume et referma les doigts minuscules dessus.

— C’est ce que je suis. C’est ce que je te ferai un jour ou l’autre si jamais tu reviens. J’en ai besoin et je suis trop égoïste pour ne pas essayer.

— Tu me ferais du mal ? hoqueta Axelle.

— Oui. C’est la femme que je suis. C’est ce que je fais aux autres. Je les utilise pour mon plaisir. Je ne sais pas comment faire autrement.

Avec l’impression de s’arracher la peau, Clémence laissa retomber le bras d’Axelle.

— Tu as mon numéro alors, lorsque tu auras vu ça… tu n’auras qu’à m’envoyer un message pour me le dire.

— Te dire quoi ?

— Non.

Axelle s’était-elle retournée à la toute fin ? Clémence n’en saurait rien. Elle avait fait demi-tour et courut à en perdre haleine, son maquillage ruiné par les larmes, ses escarpins perdus à jamais. Sa monstruosité exposée, jamais elle ne pourrait récupérer Axelle. La petite blonde était sauve, Clémence avait le cœur brisé. Dans les contes pour enfants comme dans la réalité, il n'y avait pas de fin heureuse pour la sorcière.

Annotations

Vous aimez lire Alice Dubois ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0