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Depuis des années, Clémence s'était habituée aux réflexions et aux moqueries sur son lieu de travail. Elle était l’éternelle recalée, la bosseuse jamais récompensée, la bonne-poire de la boîte qui ne s’échapperait jamais de sa succursale, ni même de son bureau. Se faire traiter de pistonnée était donc une nouveauté. Alors qu’elle mettait fin à la revue de direction, elle ignora sciemment les ricanements et la plaisanterie trop peu discrète qui les avaient provoqués.

S’énerver ou taper du poing sur la table ne servirait à rien. Les hommes se mettaient en colère, les femmes étaient hystériques. C’était comme ça. Il fallait prendre exemple sur Axelle et ne rien dire, se laisser sous-estimer pour ensuite écraser la concurrence dans un silence d’église. C’était là la force cachée des femmes d’affaire, leur talent le plus meurtrier : l’absence d’égo mal placé.

Avec un tel poste, Clémence s’était attendue à des journées de vingt-six heures, mais l’armée de cadres et de délégués que Béranger avait mis en place pour ne pas se tuer à la tâche la soulageait tant qu’elle pouvait quitter les lieux avant la plupart de ses subalternes. Autrefois, elle se serait sentie coupable, mais l’expérience lui avait appris à quel point cette réaction pouvait être contreproductive. On ne récompensait pas les bosseurs zélés, seulement ceux qui avaient le pouvoir de vous nuire.

La PDG ne mettait jamais les pieds au siège. On la disait malade, voire mourante, parfois atteinte de schizophrénie, de bipolarité ou même d’un retard mental. On racontait que Clémence en avait fait sa chose, qu’elle la manipulait pour lui ravir son entreprise et sa fortune. Madame la présidente était en réalité bien trop occupée en journée avec ses associations pour se préoccuper du reste. Et bien trop occupée le soir avec la libido de sa directrice générale pour parler finances.

Clémence avait dû abandonner son appartement. Apparemment quelqu'un avait oublié de faire consolider la réparation de fortune sous son évier et le dégât des eaux avait été cataclysmique. Son seul regret était pour son vieux canapé plein de souvenirs. Une idiote avait abandonné un pot de crème glacée pratiquement plein dessus pour sortir en coup de vent. Le résultat n'avait pas été fameux.

La berline noire l’attendait, Clémence s’y installa avec la force de l’habitude en saluant le chauffeur, puis envoya un message pour prévenir de son retour. La réponse ne se fit pas attendre : un smiley aux yeux brillants, suivi d’un selfie représentant une chemise tirée pour révéler un soutien-gorge bien rempli que Clémence ne connaissait pas. Pas encore. Un autre cliché le suivit de près, un peu plus explicite.

Sans quitter des yeux son téléphone qui continuait de biper, Clémence se penchant en avant pour s’adresser au chauffeur.

— Vous pourriez accélérer ?



FIN

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