Steven

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Est-ce vraiment une bonne idée de tout leur raconter ? Après tout, je ne reçois que la monnaie de ma pièce : c’est moi qui ai lancé les hostilités en recherchant des infos sur mes deux seuls et uniques amis. Je n’ai pas pu m’en empêcher : ils étaient si secrets !

Maintenant me voilà, allongé sur les genoux de Nat prêt à leur faire des confidences que même mon psy ne connaît pas… Je risque peut-être de les perdre après ça… Je me lance donc.

Je passe sur ce qu’ils savent déjà : ma famille fortunée et ma “relation” avec Virginie.

Virginie et moi nous nous voyions comme frère et soeur, nous n’avions jamais parlé d’amour malgré les sous entendus de nos parents respectifs qui nous poussaient à jouer au papa et à la maman, qui nous appelaient les jolis petits fiancés.... Ils ont même organisé une fausse cérémonie de mariage pour nos huit ans ! En tant qu’enfant, nous avons pris ça comme un jeu : j’étais un prince et elle ma princesse. Merci Disney !

Donc arrivés au collège, Vivi et moi étions toujours inséparables. Je remarquais des changements, tant dans mon corps que dans celui de Virginie. Elle n’était plus une petite fille et cela se voyait. J’avais du mal à intégrer tout cela.

Un soir, j’ai surpris une conversation entre nos parents : ils disaient que la chose allait immanquablement se produire et sous peu. Du haut de mes treize ans, je ne comprenais pas à quoi il faisait allusion…

Virginie devenait de plus en plus autoritaire, de plus en plus hargneuse : une vraie petite fille gâtée ! Elle pouvait passer des heures à se pomponner, se mettre du vernis ou encore à choisir ses tenues. Elle voulait que je l’attende pendant qu’elle se préparait et qu’elle se paradait devant moi.

De mon côté, je n’aspirais qu’à jouer comme avant : au chat, aux cubes ou même simplement se promener dans le jardin pour aller cueillir des fleurs afin de décorer notre cabane… Mais ce n’était déjà plus les préoccupations de Vivi… J’ai fini par abandonner et la laissais tranquille.

Un jour où je me promenais seul derrière la maison, j’y ai croisé le fils du jardinier, Jérémy. Il avait un an de plus que moi. Nous avions déjà discuté auparavant mais sans plus. Ce jour-là, il s’est mis à me suivre : on s’est donc amusé à jouer à chat. Cela s’est fait le plus naturellement du monde, sans même que nous nous parlions. Une amitié clandestine s’est créée. De plus, Virginie s’était mise à m’ignorer et à passer le plus clair de son temps avec ses nouvelles copines et sa nouveauté, les petits amis. Tout au contraire, j’étais un adolescent renfermé et je n’arrivais pas à aller vers les autres. Pendant plus d’un an, Jérémy a été mon seul ami : il m’apprenait des trucs de bricolage et de jardinage et moi je l’aidais dans ses devoirs.

Un après-midi, je suis allé le retrouver dans ce que nous appelions notre endroit secret : il s’agissait en fait de la cabane que nous avions commencé à construire avec Vivi mais que nous avions terminée avec Jérémy. Elle se trouvait tout au bout du jardin, en dessous d’un manguier que le jardinier coupait exprès le cœur afin qu’il ne pousse pas haut.

Plus je passais du temps avec Jérémy plus un autre sentiment se développait mais je n’en avais pas encore pris conscience.

Cet après-midi-là, il faisait une chaleur étouffante. Bien à l’abri, sous le feuillage de l’arbre, nous étions au frais. Assis, nous discutions des différentes techniques d’un jeu de cartes dont nous faisions la collection.

  • Dit Stev…
  • Quoi ?
  • Je… j’ai envie d’essayer quelque chose, arrête-moi si tu ne veux pas d’accord ?
  • Euh… d’accord.

Il s’est doucement rapproché de moi, a pris ma main pour entrelacer nos doigts. J’ai senti à ce moment-là une douce chaleur envahir ma poitrine. Mon cœur battait à tout rompre. Lorsque ses lèvres se sont posées sur les miennes, j’ai vécu l’expression avoir des papillons dans l’estomac. Ce baiser était doux, tendre. Notre amitié avait évolué mais nous savions qu’il fallait garder tout cela secret.

Nous nous retrouvions presque tous les soirs, à l’abri dans notre cabane, alternant entre baisers, quelques caresses osées et nos occupations d’adolescents, à savoir les cartes à collectionner ou encore les jeux vidéos. Je vivais dans une petite bulle. Bulle que Vivi a fait éclater dans la plus grande splendeur.

Trop heureux de mon histoire avec Jérémy, je n’avais pas remarqué que Virginie me surveillait. Un soir où je suis allé le retrouver, elle m’a suivi. Et il a fallu que ce soit cette fois-là où nous avions décidé d’aller plus loin. Nous étions dans la cabane et Jérémy m’a embrassé pour me dire bonsoir. Sauf que cette fois-ci, le baiser est devenu de plus en plus fiévreux et nos corps ont tout d’un coup demandé plus. La réaction a été si violente que nous n’avons pas compris ce qui se passait : nous commencions à nous caresser lorsque j’ai entendu un déclic d’une photo prise suivi d’un bruit de déglutition, comme si quelqu’un se retenait de vomir. Je me suis retourné et j’ai vu Virginie, brandissant son téléphone qui nous filmait, la main devant sa bouche. Je pouvais lire sur son visage tout le dégoût qu’elle pouvait exprimer.

Elle s’est alors enfuie en courant vers la maison en hurlant le nom de mon père. Jérémy et moi étions affolés, je savais que mon père ne comprendrait pas nos sentiments respectifs… Je me suis élancé à la poursuite de Virginie mais trop tard.

Arrivé sous la véranda, elle me regardait avec des yeux furibonds tout en montrant la vidéo à mon père dont les traits se déformaient sous l’effet de la fureur. J’étais tétanisé. Que devais-je faire ? Qu’allait-t-il m'arriver ? Pétrifié sur place, la scène s’est passée au ralenti : mon père qui s’approche, lève son poing et l’abat sur mon visage. La douleur a été fulgurante. Je me suis retrouvé à terre.

  • Comment oses-tu ? Et avec un jardinier en plus ! Alors que tu as à portée de main la plus riche des fiancées ! me crie-t-il en me montrant Virginie.
  • Sa... quoi ? demanda-t-elle.
  • Sa fiancée, jeune fille. Votre date de mariage est initialement prévue pour vos vingt ans, lui a-t-il répondu calmement.

Je l’ai entendu hurler. J’étais moi-même abasourdi. Les pièces du puzzle se mettaient lentement en place : maintenant que je le savais, tout me paraissait logique même le fait qu’ils nous laissaient encore dormir ensemble alors que nous avions atteint la puberté.

Le soir même, un dîner fut organisé, réunissant les deux familles. Toute la vérité nous a été dévoilée : ils ont contracté un contrat de fiançailles chez le notaire. Aucune valeur juridique à proprement parler. Sauf que dans le cas présent, d’énormes sommes d'argent étaient en jeu. M. Renata avait fait un mauvais placement ce qui a engendré une perte financière énorme, perte que mon père s’est empressé de combler en échange de ce contrat de fiançaille. Ainsi, si les fiançailles sont rompues, M. Renata devra rembourser sa dette.

Virginie et moi étions horrifiés : à bientôt quinze ans, nous venions d’apprendre que nous étions promis l’un à l’autre depuis bébé. Je me savais homosexuel, je l’avais compris grâce à Jérémy et aux sentiments que j’éprouvais pour lui. Virginie avait des rêves de grandeurs alternant entre voyage et sexe : son but était de devenir diplomate et ainsi parcourir le monde sans attaches.

  • Combien ? demanda-t-elle.
  • Comment cela ma chérie ?
  • Écoutez-moi bien, Mme Renata, explose-t-elle en se levant de table, si je dois épouser ce… cette… chose, je crois bien avoir le droit de savoir à combien j’ai été vendue ! Mais regardez-le enfin !
  • Virginie ! Ne parle pas comme cela à ta mère !
  • Vous avez perdu le droit d’être mes parents au moment même où vous avez signé ces fichus papiers. Alors combien ?
  • Deux millions six cent milles, répondit mon père, d’un ton calme. Tu vaux deux millions six cent milles. Est-ce suffisant ? As-tu les moyens de me rembourser ?

Anéantie, Virginie s’est rassise, en versant des larmes de rage.

  • Et si c’est moi qui rompt les fiançailles ? dis-je en m’armant de courage.
  • S’il te plaît Steven. Soit raisonnable et heureux que nous t’ayons trouvé une femme digne de ce nom à honorer !
  • Au cas où tu ne l'aurais pas assez vu sur la vidéo que cette chère Virginie t’a montrée, je n’aime pas les femmes. Alors aussi belle et riche soit-elle, je ne pourrais jamais… Comment as-tu dit ? Ah oui… L’honorer.
  • Stev…
  • Très bien, hurla Virginie, captant ainsi l’attention de tous. Très bien, j’accepte d’épouser Steven à mes vingt ans. Mais je pose deux conditions.
  • Dans la mesure du possible, oui, nous t'écoutons, souria mon père.
  • Un : je veux vivre comme je l’entends jusqu’à la date fatidique. Deux : je me marierai oui, on me présentera comme Mme Richards oui MAIS je ne serais jamais sienne. JA-MAIS.
  • Il va y avoir un petit problème concernant le deuxième point : il va vous falloir des héritiers ma chère.
  • Nous n'avons qu’à dire que je suis stérile, annonçais-je. L’adoption ça existe non ? Et je doute que Virginie soit prête à sacrifier son corps pour la maternité.

Soupirs dans le camp adverse. Les demandes ont été acceptées, à contre-cœur, mais acceptées. Ce fut la dernière fois que Virginie et moi étions sur la même longueur d’onde.

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