Taito : Hanai Sozaburô IV

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Je passai le reste de la nuit avec lui. Au petit matin, lorsque le soleil se leva, je lui demandai où se trouvait Kairii.

— En réalité, avoua Hanai, une main sur mon ventre, après ce qui s'est passé au théâtre, ton ami s'est emparé d'une arme et a essayé de s'enfuir pour te retrouver. Il a tué de nombreuses personnes, mais il a été maîtrisé par les hommes de main de son danna qui se trouvaient là. Ils l'ont assommé, l'ont attaché et l'ont mis dans un tonneau de saké. Je crois qu'ils l'ont sorti d'Edo pour le faire échapper à la justice du shogun. Tu comprends, puisque ton ami a tué autant de monde sur la voie publique, il aurait probablement été condamné à mort. C'est le fait de t'avoir vu qui l'as mis dans cet état de folie furieuse... Il s'est bien rendu compte que tu n'étais plus en danger et que c'était le moment de partir.

C'était donc ça la raison derrière la présence de la garnison de Hanai à Yushima, et aussi le sens de ce que j'avais vu en sortant du théâtre. Kairii avait effectivement essayé de s'enfuir... Mais on l'avait sorti d'Edo. Si j'étais parti à sa recherche tout de suite, j'aurais pu le rattraper. On serait peut-être libres, à l'heure qu'il est.

Je me levai précipitamment.

— Et c'est maintenant que vous me dites ça ? m'écriai-je.

Hanai me regarda, la tête calée sur sa main.

— Si je te l'avais dit avant, tu serais parti séance tenante, et je n'aurais pas pu passer la nuit avec toi, osa-t-il avec un demi-sourire.

Je laissai échapper un sifflement de dépit. Hanai m’avait bien roulé.

— Où l'ont-ils emmené ? lui demandais-je en me rhabillant rapidement.

— Ils ont pris la route de Tôkai pour le kamigata, si mes informations sont bonnes.

La région de l’ancienne capitale, où je venais justement de passer plusieurs mois inutiles, à vainement chercher Kairii… À peine arrivé, il me fallait déjà repartir !

Mon sabre fut bientôt à sa place, le fourreau calé contre ma hanche gauche. Hanai me regarda faire, un petit sourire mystérieux sur les lèvres. Puis il se leva, refermant la ceinture de son yukata, ses longs cheveux pendant dans son dos. Il ouvrit une console et me tendit cinq taels d'or massif, que je glissai immédiatement dans mon kimono.

— J'ai quelque chose d'autre pour mon amant d'un soir, murmura-t-il en posant son bras sur mon épaule. Tu n'as pas été mauvais cette nuit, Tai-chan !

Ma voix fusa, plus brutale que je ne l’aurais cru.

— Ne m'appelez pas comme ça.

Hanai leva un sourcil.

— Ah, c'est réservé ? Est-ce ainsi que tu appelles Yukigiku ?

Comme je restais silencieux, il n'insista pas.

— Qu'importe. Va le retrouver, ton chrysanthème de neige. Quoiqu'après avoir vu le massacre qu'il a commis hier, je commence à douter que ce garçon soit vraiment une partie de plaisir. Mais prends ce wakizashi. Si tu dois te faire passer pour un samurai... Autant avoir l'air d'un vrai. Tu pourrais discipliner un peu tes cheveux, aussi, fit-il en les ébouriffant d'une main. J'aime beaucoup tes cheveux gris... Mais ta coiffure ne fait pas très officielle.

Je le laissai me les nouer sur la nuque avec un petit ruban rouge muni d'une minuscule clochette. Puis je pris le sabre qu'il me tendait. C'était une arme de belle facture, finement ouvragée.

— Je ne peux pas accepter, fis-je en la lui rendant. Je ne veux être redevable de rien.

Il la repoussa vers moi.

— J'insiste. Considère ce cadeau comme un gage de mon appréciation pour ta performance de cette nuit, Taito. Et puis, je voudrais vraiment que tu arrives à mener ta quête à bien. Tu auras sûrement besoin de cette arme... Au pire, échange là en route contre de l'argent... Ou contre Yukigiku, pourquoi pas ? Ce garçon est déjà une arme en lui-même. Et puis à force de semer autant de morts sur son passage, peut-être que ses propriétaires finiront par vouloir le vendre. À ce moment-là, tu auras besoin d'argent, plaisanta-t-il cyniquement.

Il n'avait pas tort. Je le remerciai donc du bout des lèvres et lui donnait mon congé. Au moment où je franchis la porte, il me rappela.

— Taito !

Me retournant, je lui jetai un regard par-dessus mon épaule. J'avais déjà remonté mon cache-nez sur mon visage.

— Si tu repasses un jour à Edo... Reviens me voir, proposa Hanai en souriant, nonchalamment appuyé contre la cloison. Je pourrais t'avoir une place dans le grand monde facilement.

Son kimono pendait mollement sur une épaule, ses cheveux coulaient, longs et lisses, sur son torse sculpté. Je songeai que, si je n'avais jamais rencontré Kairii, m'associer à un homme comme lui aurait été un moyen sûr de retrouver un statut dans cette société injuste. Mais les choses avaient évolué autrement.

Je quittai Edo sans me retourner, redescendant vers l’ancienne capitale.

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