7 putain de vies

4 minutes de lecture

Lundi

James Regan. C'est mon nom. Enfin, celui d'usage actuellement et utilisé par mes clients. Les flics ont déjà associés trois identités entre elles. J'en changerai quand ils comprendront que James est le même que Théodore, Paul et Jacques. J'aime porter la moustache, et elle finit toujours par me trahir. Mes deux yeux gris sont banals, et ma figure est des plus normées. Mon corps est de taille moyenne, même si je l'entretiens régulièrement à la salle de musculation. Là-bas, je suis John. Ne pas mélanger travail et vie personnelle.

Mon job n'est pas très recommandable, mais j'aime à penser que je nettoie le monde des mauvaises herbes.

Je suis à genoux sur un toit. L'oeil collé au viseur, j'observe l'immeuble en face. J'attends que ma cible se retrouve seule. Je déteste provoquer une panique inutile. Une crise cardiaque serait une bavure. J'aime le travail propre et professionnel.

Le col blanc prend un verre d'eau. Ses clients quittent la salle de la présentation. Je bloque ma respiration. Mon index approche de la gâchette. Une seconde, juste une seconde...

— MIAAAOOU !

Je tire. J'ai raté mon coup. Un putain de chat vient de me sauter dessus, toutes griffes dehors. Qu'est-ce qu'il a celui-là ? Je l'arracha de ma veste moletonnée, pour le jeter dans les gravillons. Un oeil vers ma cible. Trop tard, elle est à terre, impossible à atteindre.

— Merde !

Ce satané félin roux rayé de blanc vient de me faire rater une affaire. Froidement, je le vise et l’abats d’une simple balle. Une erreur de moins. Je déteste les erreurs.

Mardi

J’entame ma journée toujours de la même façon. Une thermos de café. Des vêtements noirs propre. Une enveloppe à ouvrir. Je ne me suis jamais posé la question de son arrivée. Elle est dans ma boîte aux lettres, avec le paiement du contrat précédent et la nouvelle cible. Aujourd’hui aucun billet ne tombe. Je peste encore contre ce maudit chat qui m’a fait perdre plusieurs milliers, et me concentre sur le visage à abattre.

Une femme, belle, la quarantaine. Le plan détaillé notifie plusieurs issues et un toit proche de son immeuble de résidence.

La nuit tombe. Je suis à mon poste. J’ai des fourmillements dans les muscles, mais je reste immobile. La voilà. Elle claque la porte de son taxi, et s’arrête pour chercher ses clefs. Le moment est parfait.

Je tire.

— Putain !

Le cri m’échappe. Elle s’est baissée pour caresser un chat. Un chat roux et blanc ! Ma cible se réfugie à l’intérieur, apeurée par le tir qui a brisé la porte d’entrée. Le félin est toujours dehors. Il se lèche. Très agacé par cette coïncidence, je le vise et le tue. A nouveau. Non, il est impossible que ce soit le même. Le doute me gagne.

Jeudi

L’enveloppe est encore là. Hier, j’ai de nouveau raté ma cible à cause d’un chat du même aspect. Je deviens fou. Le miroir me renvoie l’image d’un homme qui a très peu dormi. Un mot de mon employeur est joint. Il est écrit que je risque de passer de l’autre côté de la barrière si je continue à rater mes cibles. Je frémis. Je n’avais jamais eu de problème.

Je suis à mon poste. J’ai prévu le coup. De l’herbe à chat autour du stand de hot dog. De la pâtée près de moi. Ma cible s’avance pour commander son repas de midi. J’ai l’esprit tranquille. J’appuie sur la gâchette. Un chat jaillit de la boîte à hot dog et fait tomber l’homme visé.

— Bordel de chiottes de putain de chat !

Je tire trois fois pour l’avoir, furibond. Je veux être certain de sa mort. J’attends un long moment que la rue redevienne calme pour constater de mes propres yeux la mare de sang. Parfait. Ce chat doit bien être mort à l’heure qu’il est.

Samedi

Il est revenu. Le chat. Il était encore là hier. Mais combien a-t-il de vies ? Je l’ai déjà tué 5 fois ! Je ne dors plus. Je ne mange plus. J’ai mis au point un plan. Ce n’est pas la cible que je vais viser aujourd’hui. J’ai un leurre. J’ai prévu une cage pour choper cette bête de malheur. Bien emprisonné dans ses barreaux.

Mon piège a fonctionné. Tel est pris qui croyait prendre. Le félin feule et crache dans sa boîte. Je le ramène chez moi, satisfait. J’hésite alors que je m’apprête à le noyer dans la baignoire. Il me fait les yeux doux et sa plainte est poignante. Je détourne le visage et agit. Je laisse le corps ainsi, convaincu d’être tranquille le lendemain.

Dimanche

Je n’ai pas reçu de nouvelle cible. Mon café est froid. Mon patron m’annonce de lui reverser un million en dédommagement pour mes erreurs. Je ne les ai pas. Je sais ce qu’il m’attend.

J’ouvre la porte de chez moi, et me poste sur un toit. Je ne sais faire que ça.

Un miaulement me fait dresser les cheveux sur la tête. Un chat tigré roux et blanc s’approche, queue dressée. Il ronronne et se frotte à mes mollets. Je soupire. En voilà un d’heureux. J’abandonne mon arme sur le toit et fourre le chat à l’intérieur du sac.

Je ne vais pas le tuer, non. J’ai bien compris qu’il avait plus de vie qu’un Dieu. Aucune idée de la suite. Ma vie s’ouvre sur un nouveau lendemain que je n’avais jamais imaginé et je n'ai qu'un chat de malheur pour compagnon.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Paige Eligia ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0