Chapitre 26

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Au chevet du malade

Rose

Mon chaperon ne me répond pas, mais il m’observe avec attention. Je sens son regard peser sur moi tandis que j’humidifie à nouveau le linge que je place sur le front de Marcus. Le petit est tout transpirant et il frissonne de temps à autre, je ne sais pas vraiment quoi faire de plus pour le moment, d’autant plus que le faire boire n’est pas évident tant qu’il n’est pas totalement éveillé.

Je lève finalement les yeux sur Philippe qui détourne le regard pour observer son fils. J’ai hâte que la guérisseuse arrive, si j’ai davantage confiance en cette femme qu’en ce charlatan qui voulait faire n’importe quoi du petit corps allongé entre nous, j’avoue surtout que mon inquiétude s’accroît chaque fois que Marcus se met à tousser.

— Vous savez, il m’arrive d’être jalouse de vous ou de vous en vouloir, soupiré-je en tamponnant le linge sur le front du petit.

— Jalouse ? Mais de quoi êtes-vous donc jalouse ? me demande-t-il intrigué, reportant son attention sur moi.

— Vos enfants ont encore un père. Je sais à quel point perdre sa mère est triste et traumatisant, mais ils ont encore une épaule sur laquelle se reposer, une main tendue si besoin, un lien indélébile, vous voyez ? Et c’est d’autant plus agaçant de vous voir si éloignés les uns des autres… Je trouve cela triste.

— Je sais… et pourtant, je fais des efforts, je vous assure. Mais c’est compliqué parfois. Je vois tellement leur mère en eux…

— Et c’est une belle chose d’avoir encore de quoi se souvenir de votre femme, non ? Au moins vous ne l’oublierez jamais. Du moins, pas tous les détails. J’imagine que, comme pour moi, le son de sa voix n’est plus aussi net dans votre esprit, mais vos enfants peuvent vous permettre de vous rappeler bien des choses.

— Oui, peut-être. Mais grâce à vous, je commence à faire de plus en plus d’activités avec eux… et ça me plaît, avoue-t-il. Je crois qu’ils vous aiment beaucoup, tous les deux. Et si Marcus s’en sort, on en fera encore plus, promis.

— Je suis contente que vous appréciez les moments passés avec eux. Il faut dire qu’ils sont de qualité, souris-je. Vos enfants sont des amours, Philippe, et eux aussi aiment passer ce temps avec vous, ils ne demandent que cela. On ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, si j’avais su que je perdrais mes parents si tôt, j’aurais sans doute passé moins de temps à jouer seule à la rivière ou des journées entières dans la bibliothèque… ou j’aurais sorti plus souvent mon père de son bureau.

— Comme vous le faites avec moi, désormais ? m’interroge-t-il doucement.

J’acquiesce en lui offrant un sourire timide.

— La vie est trop courte, Philippe. Chaque moment de qualité est important, et ceux passés ensemble le sont à mon goût.

— Arrêtez de dire ça, je ne veux pas porter malheur à Marcus. Il faut que sa vie soit longue, murmure-t-il en serrant fort la main du petit garçon.

Nous restons silencieux un moment, occupés à observer le moindre mouvement de Marcus, et je sursaute lorsque la porte s’ouvre dans mon dos. Une femme d’un certain âge entre dans la pièce, vêtue d’une robe bouffante d’un noir profond orné de broderies blanches. Ses cheveux bruns parsemés de fils d’argent sont remontés en un chignon bas qui laisse échapper des mèches folles et ondulées sur lequelles elle souffle pour dégager son visage tandis qu’elle approche avant de faire une révérence. Albertine semble moins jeune et vive que la dernière fois où nos chemins se sont croisés, ce qui n’est pas très étonnant puisque je devais avoir treize ans lorsqu’elle a soigné mon dernier rhume d’hiver.

— Bonjour, Albertine. Approchez, le petit Marcus est souffrant et nous avons besoin de vos services. Voici son père, Philippe. Nous sommes inquiets, Marcus semblait aller bien hier.

— Bonjour Vicomtesse. Dites-moi tout ce qu’il s’est passé depuis hier soir, alors. Qu’avez-vous remarqué ?

— Marcus ne semblait pas malade hier, il est allé se coucher sans problème, je réponds en jetant un œil à Philippe. L’avez-vous entendu cette nuit ?

— Il s’est levé au milieu de la nuit, il avait un peu mal au ventre mais je ne me suis pas inquiété, il n’avait pas l’air plus malade que ça.

— Et ce matin, continué-je, il n’est pas parvenu à se lever. Il peine à émerger, il tremble, transpire et son sommeil est agité.

— Ah, je vois. Laissez-moi donc l’examiner un peu. Écartez-vous, je ne vais pas le manger, vous savez.

Philippe soupire tandis que je me lève déjà. Je contourne le lit alors qu’il le quitte à son tour et nous rejoignons la fenêtre sans vraiment lâcher Marcus des yeux. La guérisseuse s’approche déjà du petit garçon et nous tourne le dos, peu concernée par nos états d’âme. J’essaie de la jouer forte, mais j’avoue que le voir dans cet état ne me rassure pas vraiment. C’est un enfant plein de vie, toujours en mouvement, souriant et jovial, alors cet état de sommeil et de maladie n’est pas vraiment réconfortant. Je garde malgré tout mes propos pour moi, préférant ne pas partager mon inquiétude avec le papa déjà bien angoissé par la santé de son fils.

Philippe et moi n’avons pas bougé d’un pouce lorsque la vieille femme se relève et se tourne dans notre direction. J’en viens même à me demander si nous avons réellement respiré ou si nous retenons encore notre souffle dans l’attente de son diagnostic.

— Alors ? demandé-je, impatiente. Par pitié, ne nous parlez pas de saignée, vous aussi…

— Ah non, pas ce traitement réservé aux cochons, quand même ! On ne va pas faire de l’andouillette, non plus ! s’énerve-t-elle en respirant l’air autour de Marcus.

Je ne peux m’empêcher de lancer un regard à Philippe. Le genre de regard qui dit “vous voyez, j’avais raison !” J’ai bien conscience que ce n’est pas le moment idéal pour le provoquer, mais je suis surtout rassurée que Marcus ne vive pas cela, et lui aussi, semble-t-il.

— Que fait-on alors ? De quoi souffre-t-il ? Est-ce que c’est grave ?

— Non, ce n’est pas si grave, je vais préparer une potion avec quelques herbes, et d’ici deux ou trois jours, il n’y paraîtra plus. Mais pas de lait, de fromage ou d’autres produits du même genre, ça lui retourne l’estomac. Je reviens au plus vite avec la potion, d’accord ?

— Une potion et ça ira ? demande Philippe, plein d’espoir. Vraiment ? Mais… est-ce vraiment possible ?

— Bien sûr que c’est possible ! rétorqué-je alors qu’Albertine quitte déjà la pièce, non sans avoir levé les yeux au ciel aux propos de mon tuteur. Pourquoi croire davantage à une saignée qu’à un remède à base de plantes ? Vous n’avez jamais entendu parler des bienfaits des herbes ?

— Si, si, bien sûr. Il y avait toujours des guérisseuses dans nos camps pendant les batailles. Mais… Marcus a l’air si mal… Une simple potion, ça semble trop facile, murmure-t-il avant de reprendre sa place à ses côtés.

— Vous permettez que je reste en attendant que la guérisseuse revienne ?

— Bien sûr, je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas rester. Et… j’apprécie ne pas être seul… J’angoisse un peu moins grâce à vous.

Je dépose un baiser sur le front de Marcus, essore le linge dans la bassine et le pose à nouveau sur son front avant de m’asseoir à-même le sol, le dos contre le lit, devant Philippe.

— La peur n’évite pas le danger… Angoisser ne guérira pas Marcus, malheureusement.

— Sur le champ de bataille, je vivais vraiment comme cela, sans peur véritable. Mais depuis que j’ai mes enfants, que je suis seul pour m’en occuper, je ne peux m’empêcher d’avoir peur tout le temps… Je… Cela ne donne pas une bonne image de moi, n’est-ce pas ?

— Pourquoi dites-vous ça ? Vous n’êtes qu’un être humain, avec vos peurs, vos qualités et vos défauts…

— J’ai tant de défauts que ça ? demande-t-il en retrouvant le sourire pour la première fois depuis l’interruption d’Aimée.

— Peut-être un peu moins que je le pensais lorsque je vous ai rencontré, plaisanté-je. Vous restez malgré tout un homme et, en soi, à mes yeux, c’est déjà un sacré défaut.

— Eh bien, ce n’est vraiment pas gagné pour vous trouver un mari si c’est l’image que vous avez des hommes… Je suis content de voir que Marcus trouve encore grâce à vos yeux.

— Il n’est pas encore perdu. J’ai quelques mois pour lui faire comprendre qu’une femme ne vaut pas moins qu’un homme, qu’elle est son égale et non son inférieure, capable d’avoir une opinion et de prendre des décisions, de se cultiver et d’être autre chose que simplement une belle plante à son bras.

— Mais où allez-vous chercher toutes ces folles idées ? s’étonne-t-il en me regardant, les yeux grand ouverts.

— Eh bien, dans le regard de la plupart des hommes, Philippe. Dans la décision de mon père de me confier à vous pour que vous me trouviez un mari, comme si je n’étais pas capable de prendre moi-même une décision sensée et réfléchie. Dans l’attitude de tous ceux qui viennent vous faire part de leur intérêt pour moi alors que c’est moi qui vais devoir vivre avec l’un d’eux jusqu’à ma mort, moi qui vais devoir leur faire des enfants, quand bien même je n’en voudrais pas. J’ai des dizaines d’exemples, vous savez, je n’invente rien et si vous arrêtez de vous voiler la face et de faire comme tout le monde parce que tout le monde fait ainsi, que vous prenez le temps de réfléchir à vos actes, vos pensées, concernant la gent féminine, j’ose croire que vous pourriez vous rendre compte de beaucoup de choses. Pardon, soufflé-je, la respiration plus courte suite à mon monologue, je m’emballe un peu, mais c’est un sujet qui me passionne autant qu’il me révolte…

— Je vois ça et… j’avoue que je vous comprends un peu même si je pense que vous n’êtes pas née à la bonne époque. Et puis, je vous ai dit que vous pourriez choisir votre mari, il me semble, non ? C’est tout ce que je peux faire à mon niveau, malheureusement.

Je hausse les épaules en soupirant. Pourquoi ne suis-je pas née à la bonne époque ? Peut-être que je pourrais tenter de changer certaines choses, non ? Qui sait ce qu’il adviendra dans les années à venir…

Je suis surprise de voir Philippe s’asseoir à mes côtés après un petit moment de silence. Il soupire à son tour, s’étire et renverse sa tête sur le rebord du lit. Je bâille lourdement et sans aucune grâce, quelques secondes plus tard, et pose ma tête contre son épaule en fermant mes yeux pour les reposer.

Je sursaute en entendant un raclement de gorge et constate que je me suis assoupie. Appuyée sur le torse de Philippe, à demi-affalée, je me recule vivement en sentant mes joues chauffer tandis que j’évite son regard en me levant. Albertine secoue une petite fiole sous mon nez, un sourire au coin des lèvres, et s’assied sur le bord du lit quand Philippe s’y appuie pour se lever également. Nous observons Marcus avaler difficilement la potion, et j’ai honte de dire que je suis davantage concentrée sur la chaleur que dégage mon chaperon dans mon dos. Je sens également son souffle frôler ma nuque et mon épaule, ma peau se couvrir de chair de poule tandis que mon corps se tend. Je ne saurais dire s’il se tend dans la direction du père de famille ou s’il se contracte pour se protéger de l’effet qu’il lui fait, mais je ne me sens plus moi-même à cette seconde. Philippe et moi nous sommes assoupis l’un sur l’autre, et nul doute que la position était des plus inconvenantes… Mais ne pas me réveiller seule m’a semblé plutôt agréable, et si je ne souhaite à Marcus qu’un rétablissement rapide et sans rechute, j’avoue que profiter une fois encore, deux peut-être même, de son père, ne me semblerait pas désagréable, bien au contraire.

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