Requin ou humain marteau ?
Ma mère m’avait trouvé ce job d’été dans l’aquarium où elle bossait comme vétérinaire. Je devais aider les soigneurs à nourrir les animaux le matin et à nettoyer l’après-midi. J’aimais ça, c’était plutôt cool comme job. Au bout d’un mois, Alex, l’un des soigneurs vint me voir, un seau de poissons à la main :
« Bruno est malade. Tu peux aller nourrir les requins ? Une femelle otarie est en train de mettre bas.
- Moi ? Tout seul ?
- J’ai préparé la ration, t’as juste à les balancer dans l’eau.
- Euh… Ok, dis-je en prenant le seau de harengs ».
A 16 ans, c’était la première fois que j’avais de vraies responsabilités. J’arrivais dans l’enceinte des requins en tenant le seau à deux mains tellement il était lourd. Il était sept heures, l’aquarium n’était pas encore ouvert au public. Sans la foule, l’endroit était calme et magique. La lumière des spots qui se reflétait sur l’eau dessinait des ondulations mouvantes sur les murs. Il n’y avait que le bruit de la ventilation et le clapotis de l’eau.
J’avançais près du bord et jetai un hareng mort. Il coula avec lenteur dans un nuage de sang. J’allais lancer toute une poignée de poisson lorsque le sol vibra dans un bruit sourd, étouffé par l’eau. Le choc venait de la paroi de l’aquarium. C’était Barney, le requin marteau. Il décrivit un cercle, accéléra puis frappa à nouveau.
« Hé ! Qu’est-ce que tu fais ? grognais-je, la voix tremblante.
- J’ai quelque chose de coincé dans ma gorge !
Sa nageoire accéléra et il percuta à nouveau la vitre.
- Arrête ! Tu ne peux pas l’enlever tout simplement au lieu de faire tout ce raffut ! le grondais-je, comme s’il était tout à fait normal de parler à un requin.
Barney se figea. Il sortit sa tête de l’eau.
- Ah, t’es bien un humain toi ! Incapable d’empathie !
Il se trémoussa pour amener ses larges nageoires devant lui.
- Je n’ai ni mains ni doigts.
Il essaya de faire entrer une de ces nageoires dans sa bouche.
- Et ces palmes-là, elles sont trop larges ! La seule chose que je peux faire, c’est essayer de déloger ce machin avec un choc !
- Tu… Tu parles, bégayai-je.
- T’as le cerveau lent pour une espèce que se croit intelligente. Allez rend-toi utile, enlève moi ce truc !
- Tu veux que je mette mon bras dans ta gueule ?
Rien qu’à y penser, j’en eu des sueurs froides.
- Quelle déduction ! Un vrai génie !
- Et qui me dis que tu ne vas pas essayer de me manger ?
Barney fut pris de secousses et se laissa retomber dans l’eau. Sa gueule lâchait des bulles, je devinais qu’il riait. Il ressortit.
- Tu t’es vu le gringalet ?
Il se plia dans un geste disgracieux et saisit son embonpoint avec ses nageoires.
- On ne manque pas de nourriture ici… Allez aide-moi, ça me rend marteau d’avoir ce machin dans la gorge.
Je regardais autour de moi. Aucune aide providentielle ne venait à moi, ça aurait été trop beau.
- Je vais juste regarder, dis-je en prenant la torche. Après, j’irai chercher ma mère.
- C’n’est pas comme si j’avais les dents d’un grand requin blanc… Mais bon… Tu pourras au moins me dire ce que c’est…
Barney ouvrit la gueule. Je me mis sur la pointe des pieds.
- Ça sent le poisson pourri ! dis-je en plaçant le col de mon tee-shirt sur le nez.
Je balayais son gosier avec le faisceau de la torche.
- Je le vois ! T’as un gobelet en plastique coincé.
Je me suis senti mal… Comme si j’étais moi-même un peu responsable. La culpabilité fait prendre de drôle de risques…
- Je vais l’enlever, mais surtout ne bouge pas.
J’enfonçai mon bras jusqu’à l’épaule et retira le gobelet, triomphant.
Barney rentra la tête dans l’eau et toussa jusqu’à former une ébullition autour de lui, un vrai jacuzzi. Il me remercia et ajouta avant de s’enfoncer dans les profondeurs du bassin :
- Fais-moi plaisir, dis à ton espèce de garder son plastique !
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