Chapitre 12 : Défaite par KO

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~Max Ella~

Tom baissa les yeux, comme si affronter mon regard lui semblait insoutenable. Puis, lorsqu’il trouva le courage de les relever, j’y découvris une lueur terne, sombre, qui me comprima aussitôt la trachée. Son expression avait changé. Radicalement. Il serra ses poings avec force, jusqu’à ce que la jointure blanchisse, avant de les relâcher, laissant ses doigts flotter dans le vide.

Enfin, l’espace d’un instant, je crus voir sa main se tendre dans ma direction, en signe de paix.

Mais très vite, il parut se raviser. La seconde d’après, il était parti, claquant la porte derrière lui.

Une part de moi aurait voulu le rattraper pour mettre fin à cette discussion autrement que par des mots blessants, des portes qui se ferment brutalement. Mais l’autre en avait plus qu’assez de sans cesse lui courir après. J’en avais déjà trop fait cette nuit-là. J’étais… fatigué, moralement épuisé de m’assurer qu’il aille bien. De faire en sorte qu’il ne lui arrive rien.

Si on me demandait à quel point j’aimais mon frère, je répondrais que je serais prêt à me prendre une balle pour lui. Mais, si on me demandait à quel point je le détestais, je répondrais que parfois, je pourrais être celui qui pointe le flingue dans sa direction. Les doigts tremblants, légèrement appuyés sur la détente…

Sans jamais faire partir le coup.

Absurde, n’est-ce pas ?

Des raisons qui me poussaient à une telle extrémité, je pouvais en énumérer des quantités. À commencer par ce feu niché dans mes entrailles qui s’embrasait violemment, cette bile acide qui refluait dans ma gorge, ou encore ma mâchoire qui se contractait dans un crissement désagréable. Mais la pire de toutes restait cette douloureuse impression d’être inférieur à celui qui, depuis toujours, vivait dans mon ombre, écrasé par ma présence. C’était à se demander comment le frère qui ne se démarquait que par sa gentillesse et sa naïveté avait réussi à prendre le dessus sur celui au tempérament ardent.

C’était comme soudainement devenir invisible, disparaître aux yeux de celle pour qui je voulais exister. Parce qu’elle avait choisi l’autre jumeau...

Alors oui, ça me démangeait de le rouer de coups, de lui faire comprendre ce tiraillement qui me déchirait de l’intérieur. Parce que Tom ne mesurait pas cette chance qui lui souriait à pleines dents. Parce qu’il avait à portée de main celle que j’avais toujours voulue, celle que je regrettais d’avoir perdue. Et que tout ça n’avait aucune autre valeur sentimentale pour lui que de l’amitié.

Pour elle, c’était de l’amour. Pour moi, ça ressemblait dangereusement à de la jalousie.

Pour la toute première fois de ma vie, j’étais jaloux de mon frère. Ça me coûtait de l’avouer, même intérieurement. J’étais d’autant plus incapable de le verbaliser, de peur de réaliser à quel point c’était... dérisoire. Mais pas autant que cette idée folle de vouloir échanger ma place avec lui pour une stupide attirance. Un désir. Une pulsion. Pour une fille qui m’avait retourné le cerveau, l’estomac. Et le cœur.

Si on me demandait à quel point j’aimais Abby, je répondrais que je serais prêt à tout pour elle. Même si notre rupture m’avait fait l’effet d’un uppercut dans le ventre – ou d’une balle tirée à bout portant. Même si, selon son souhait, rester au stade de « bons amis » ne serait jamais assez pour moi. Même si ça impliquait de l'épauler et la rassurer une grande partie de la nuit, après qu'elle se soit faite abandonner par celui qu’elle avait certainement toujours aimé en secret… Il m’avait d’ailleurs suffi de suivre son regard braqué sur lui, ses yeux humides et vitreux qui le suppliaient silencieusement de ne pas partir, pour comprendre que je n’avais pas été le bon. Qu’Abby s’était sans doute mise avec moi en espérant retrouver une part de Tom.

Sur le coup, j’avais ressenti de la rage – juste de la rage. D’avoir été pris pour un con pendant tout ce temps. D’avoir été naïf à ce point, alors que ça ne me ressemblait pas. Mais, surtout, de ne pas avoir été aimé comme moi je l’avais aimée : de mon mieux…

C’était tout ce que j’avais été capable de lui offrir, même en puisant au plus profond de mes ressources. J’avais donné – trop donné – sans rien attendre en retour. Malheureusement, ça n’avait pas suffi à la faire tomber amoureuse de moi pour de vrai, et ça avait fini par me faire du mal…

Pourtant, je ne détestais pas Abby. Je continuais à l’aimer malgré tout.

J’avais peut-être hérité cette qualité de ma mère, elle qui avait aimé avec passion, sans condition. Pour ça, elle me manquait terriblement. Non. En réalité, elle me manquait pour tout. Tous les jours. Beaucoup trop. Parce que j’avais besoin d’elle. Encore. Toujours. Quand bien même j’avais été plus proche de mon père, que je me reconnaissais en lui de par cette même assurance, cette même ambition et cette même combativité. Sauf que… l’amour qu’il me portait – nous portait – n’avait pas la même saveur. Il était plus amer, moins doux… et il se méritait, au prix de gros efforts, comme dans n’importe quelle compétition de sport, dont le but serait de se surpasser pour gagner sa reconnaissance.

Pour ma mère, ça avait été différent. Il l’avait aimée au premier regard, percuté à l’instant où elle avait mis ses gants pour son premier entraînement de boxe. C’était comme s’il avait tout de suite su qu’elle deviendrait une future championne du corps-à-corps et qu’elle avait gagné sa place dans son cœur haut la main. Il avait alors été question d’une histoire d’amour entre un coach et la plus prometteuse de ses élèves. La boxe les avait réunis et unis sur un ring. Lui, en lui dictant la posture à adopter et les coups à assener, au lieu des traditionnels mots doux. Et elle, en lui démontrant la puissance de ses sentiments lors de ses combats. Si mon père ne jurait plus que par ce sport qui avait toujours été sa priorité, ma mère, quant à elle, avait su départager son amour entre ses deux enfants, son homme et sa carrière. Et, contrairement à ce qu’elle avait laissé transparaître entre les cordes de l’estrade, sous les cris de la foule électrisée, elle débordait d’une douceur sans faille. La même qu’elle avait transmise à Tom.

Pendant des années, elle avait disputé des rounds, vaincu des adversaires et gagné des championnats. Mais aussi fini avec des défaites, des hématomes fleurissants sur sa peau et des larmes au bord des yeux… Malgré tout, elle avait été une vraie guerrière, la plus sensationnelle des Ella.

Jusqu’à la fin.

Jusqu’au coup de trop. Jusqu’à sa mise hors de combat. Jusqu’à ce que les voix se taisent, que les lumières s’éteignent.

Jusqu’au coma. Pendant trop longtemps.

Une ultime bataille.

Entre la vie et la mort.

La seule qu’elle ne devait pas perdre.

***

Mon estomac était en vrac, comme si on venait de le marteler sans merci. Du revers de la main, j’essuyai furtivement une larme prête à me trahir, juste avant que Tom ne réapparaisse. Je réalisai alors que je n’avais pas bougé depuis qu’il s’était terré dans sa chambre.

Ses doigts se faufilaient dans ses cheveux, jouant nerveusement avec quelques mèches, comme s’il cherchait à s’excuser. Puis, l’air de rien, il entrouvrit la bouche et me souffla :

— Max, je… On… on devrait y retourner. Papa va s'énerver si on s’active pas…

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