Chapitre 15 : Rencontre extraterrestrielle

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NdA : suite à une publication hâtive de l'ancienne version, j'ai décidé de rééditer ce chapitre afin d'en être pleinement satisfaite, en plus d'y apporter les corrections adéquates. Bonne lecture !

~Tom Ella~

Les sons emplissaient chaque recoin de la salle au point de ne plus laisser un centimètre carré de silence. La musique, les rires et les exclamations des gens semblaient éclater dans mes oreilles au gré de mes mouvements. Mes semelles s’écrasaient avec un bruit spongieux sur le sol dallé, à croire qu’elles voulaient y rester collées, et mes doigts se crispaient toujours plus autour de verres au contenu glacé. L’odeur de viande et de friture, arrosée par la lumière crue des néons, se superposait à ce décor rétro qui m’était à la fois familier et étranger. Avec mon air perdu et ma démarche nonchalante, on aurait forcément dû s’apercevoir que je n’avais rien à faire là. C’était d’ailleurs étonnant que, jusqu’à présent, personne ne m’ait pris pour un client, bien que le tablier attaché autour de ma taille prouve le contraire.

Tout en équilibre, je m’imaginais avancer sur un fil à la façon d’un funambule, un pas après l’autre. J’étais conscient que personne autour de moi ne m’accordait la moindre importance, parce que je devais être aussi transparent que ledit fil sous mes pieds, mais je ressentais autant de pression que si je devais me produire devant un public au cirque. Lorsque mon spectacle d'acrobatie fictif s’acheva enfin, je pris une grande inspiration, cherchant à ordonner les pensées qui se brouillaient dans ma tête à cause de toute cette animation, et m’efforçai à afficher un sourire parfaitement faux aux deux clientes que je venais de rejoindre.

— Et voilà vos milkshakes.

Malgré mes diverses tentatives, ma voix trahissait toujours le même manque d’assurance que lors de mon premier jour ici. C’était à peine si j’arrivais à me canaliser pour éviter de partir dans des aigus digne d’un contre-ténor, et devais me racler la gorge avant de prononcer le moindre mot, tant elle était nouée. Il y avait la transpiration, aussi : la paume de mes mains devenait moite dès l’instant où j’approchais une table pour prendre ou apporter une commande, comme s’il se mettait soudainement à faire très chaud. Sans oublier que je n’étais ni rapide, ni débrouillard et que je n’avais pas l’air d’avoir avalé une ampoule de cent mille volts comme ma collègue – Joyce –, dont le sourire faisait au moins trois kilomètres de large.

— Merci mais… on a pas commandé de milkshakes.

Ah et évidemment, j’étais plutôt du genre à être à côté de la plaque…

Alors, dans un langage que même les extraterrestres ne pourraient comprendre, je bafouillai quelques vagues excuses en secouant les bras. Leurs rires étouffés en guise de réponse me mirent encore plus mal à l’aise que je ne l’étais déjà, sans que je sache réellement si c’était par gentillesse ou par moquerie – mais au fond, qu’est-ce que ça pouvait bien changer ? Finalement, j’attrapai en vitesse les verres qui venaient tout juste de toucher la table et repartis le plus vite possible pour fuir cette situation embarrassante.

Sauf que, dans la hâte, ce fut comme si tout s'accéléra d’un coup : mes pensées et mes foulées. Je n’avais même plus le temps de réfléchir, ni de réagir.

Si bien que…

Par terre, des milliers de débris cristallisés parsemaient le carrelage en damier noir et blanc, désormais recouvert d’un liquide rose et épais. Malgré le fond sonore censé détendre l'atmosphère devenue lourde, le bruit strident du verre qui venait d’éclater résonnait encore dans ma tête dans un écho infini. Même le brouhaha des clients et le tintement des couverts contre les assiettes s’étaient mis sur pause. J’avais beau serrer les paupières et les rouvrir juste après, la même fresque s'étalait toujours sous mes yeux, me rappelant à quel point j’étais maladroit. Je sentais la curiosité malsaine des gens glisser sur moi jusqu’au sol où stagnait ce qui avait été des milkshakes à la fraise. Sur le moment, je devais avoir à peu près la même teinte rosée : mes joues brûlaient de honte et à force, j’allais certainement prendre feu si je ne me liquéfiais pas moi aussi. En fin de compte, c’était tout ce que j’espérais afin de pouvoir échapper aux regards des autres…

Surtout un en particulier. Celui qui me déstabilisa lorsque j’y plongeai le mien.

Sombre, perçant.

Hypnotique et singulier à la fois.

Le genre si profond que j’aurais pu me noyer, enseveli sous ces iris marron, si je n’avais pas la désagréable impression qu’ils étaient prêts à me cribler l’âme – parce qu’après tout, on venait d’entrer en collision par ma faute. Et pourtant, j’en étais… fasciné alors qu’ils n’avaient rien de transcendant. Il n’y avait d’ailleurs que ses cheveux argentés qui tranchaient avec ses vêtements sombres et la peau diaphane de son visage, auquel un anneau était accroché à sa narine gauche et un autre au coin de sa lèvre inférieure droite. En déviant un peu, je découvris qu’il y en avait tout un tas qui transperçaient ses oreilles. À côté, la chevelure rose, les lèvres rouges et le visage recouvert de paillettes d’Abby semblaient bien pâles. Dire que lors de nos retrouvailles, elle m’était apparu comme un phare dans l’obscurité, tant le reste du monde était fade comparé à elle. Mais lui

Je ne saurais dire combien de temps j’étais resté planté là, à bêtement le contempler dans un mutisme absolu. Il me faisait un peu penser à un alien avec ses airs de venir d’une autre dimension. Ça n’avait rien avoir avec son style atypique, mais plutôt… ce qu’il dégageait. Son aura avait quelque chose de mystérieux et magnétique, qui ne faisait qu’accroître la petite voix qui criait dans mon cerveau. C’était comme si des millions de questions venaient de naître dans chacune de mes terminaisons nerveuses, et qu’il n’y avait que lui pour me donner les réponses. Elles serpentaient dans chaque coin de ma tête, glissaient de mes bras jusqu’à la plante de mes pieds, brûlaient dans mes veines comme un poison. Même en tentant de les chasser à grands coups de pieds mentaux, elles étaient toujours là…

Ce ne fut qu’une fois qu’il claqua sa langue contre son palais que je sortis enfin de ma léthargie.

— Putain, tu peux pas regarder où tu fous les pieds ?!

Je devais être aussi à l’aise qu’un poisson hors de l’eau qui chercherait à retrouver son souffle : ma bouche s’ouvrait puis se refermait tout de suite après. L’oxygène ne me manquait pas réellement, sauf qu’une sorte de boule impossible à ravaler entravait ma trachée. Les mots ne passaient plus. Même en puisant au plus profond de mon âme, j’étais incapable de formuler une phrase ou de m’excuser de lui être rentré dedans.

Dis quelque chose !

Un mot. Juste un mot.

Mais jamais aucun son ne franchit mes lèvres. Et peut-être que c’était mieux ainsi.

L’instant d’après, il roula des yeux, détachant son regard de moi pour la première fois. Il émit un grognement plus animal qu’humain et partit en direction du bar, sans rien ajouter de plus. En dépit de ma volonté, je restai captivé par sa silhouette longiligne, de la chaîne pendue à ses pantalons troués qui se balançait légèrement, à ses bottes en cuir qui tapaient lourdement par terre. Avec cette allure, il aurait pu attirer toute l’attention sur lui, mais hormis moi, personne ne semblait l’avoir remarqué.

Puis, l’image de Luke qui s’en allait, après qu’on se soit percutés à la soirée de Max, me revint en pleine figure comme un boomerang. Si, à ce moment-là, j’avais longuement cru à un mirage, une illusion tout droit sortie de ma conscience à cause de l’impact écrasant du monde autour de moi, j’étais certain que tout était bien réel cette fois-ci. Qu’il était réel. Ses yeux transperçants, son odeur de tabac froid, sa voix grave : je ne les avais pas rêvés. Je revoyais, sentais et entendais tout jusqu’au plus petit détail.

J’ignorais pourquoi. J'ignorais comment. J’ignorais la raison pour laquelle il me laissait dans un tel état de perplexité. En réalité, c’était comme si ma tête, mon corps et mon for intérieur n’étaient plus en raccord…

Et là, perdu dans le tumulte de mes tourments et des éclaboussures de milkshake à la fraise, je l’observais s'éloigner de moi et du bazar que j’avais fichu. Autour de nous, tout était devenu aveugle et sourd, comme si un dôme en verre blindé venait de nous encercler.

Dans cette sphère insonorisée où les couleurs s’étaient subitement effacées, je parvenais seulement à distinguer un point gris et un trait noir.

Et je n’entendais rien d’autre que cette petite voix qui me hurlait de le rattraper…

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