Chapitre 2-9 l'épreuve du Feu

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— Guidé par la force des divinités et par mes serments à l’école et au peuple de la Nef, je suis contraint d’avouer ma faute pour que les équilibres qui se maintiennent au sein de notre peuple soient préservés. En conscience des conséquences que pourraient avoir mes mensonges sur nos relations avec les dieux, sur la réputation de l’école, sur l’incertitude dans laquelle seraient plongées notre religion et nos pratiques, je dois vous dire la vérité. Par esprit de vengeance et dans un excès de colère, je suis à l’origine de l’accusation infondée contre l’Éligible des mondes extérieurs. Il fut responsable de la mort de mon ami et de ma disgrâce auprès du maitre de combat ainsi que de tous les élèves qui furent punis par ma faute. Je me suis donc vengé en volant le collier et en faisant en sorte que sa désobéissance au règlement soit dévoilée. Je n’espérais pas qu’il soit condamné pour le vol, mais seulement pour sa désobéissance aux règles. Ma faute est le moyen inapproprié que j’ai choisi pour parvenir à mes fins. Je vous demande de me punir pour tout cela, et ensuite de me pardonner. Mais j’espère que lui aussi sera châtié pour sa désobéissance. C’est ma volonté vraie et pure de justice, mais que les dieux nous montrent maintenant le chemin de leur justice. C’est la seule justice à être glorifiée par son application sans faille à nos peuples humains.

La note encore plus aigüe et plus forte, émise en signe de colère des dieux par les prêtres communicants, couvrit à peine le brouhaha déclenché par cette révélation dans l’assemblée.

Selon l’usage, il ne restait plus qu’à Pamba de s’exprimer, et de livrer toute la vérité devant les dieux attentifs. Il en aurait été autrement si Ewar-Kali n’avait pas dit toute la vérité, mais les dieux paraissaient ne pas s’offusquer de son discours, on pouvait donc lui faire confiance ; et ses aveux correspondaient aux conclusions de l’enquête, la pleine satisfaction pouvait d’ailleurs se lire sur le visage du chef de la garde dont la compétence était ainsi reconnue et les éventuels problèmes avec le clan Ewar-Kali dissipés…

Pamba ne fit point de grand discours, il réaffirma simplement ce qu’il avait déjà exposé sur sa culpabilité et son innocence la première fois, et laissa aux dieux le soin de décider de son châtiment. L’ensemble des jurés après de solennelles formules et quelques prières se retirèrent pour se réunir à huis clos. Leur verdict serait rendu public dans plusieurs jours, après qu’ils aient médité profondément pour demander à diverses divinités de les éclairer et s’être réunis autant de fois que nécessaire pour obtenir l’unanimité concernant la condamnation.

Bien évidemment, Pamba attendit avec sérénité le verdict qui ne pouvait que lui être favorable. Mais il s’isola pour ne pas être soumis aux effusions, aux remarques et aux questions des autres élèves. Seul Sennam put avoir quelques échanges avec lui dans le but de le rassurer si besoin et lui montrer son soutien sans faille.

Cinq jours plus tard, les jurés se réunirent de nouveau devant Enki et une assemblée encore plus grande de spectateurs. Les deux élèves se tenaient au centre du cercle de vérité, maintenant unis dans la culpabilité. L’un pour sa désobéissance et l’autre pour son complot. Après de nombreuses prières de remerciement adressées aux Dieux, ainsi qu’un grand discours assurant à ces derniers que tout était jugé pour satisfaire leurs volontés, le grand prêtre énonça la décision unanime des jurés :

— Ewar-Kali ta faute est lourde. Elle touche un futur Éligible, qui après sa reconnaissance sera considéré comme un dieu incarné, un semi-dieu sur la terre et parmi nous. Le respect que nous lui devrons sera alors immense. Nous avons donc anticipé le châtiment qui serait appliqué si tu avais offensé un dieu. Il est à la fois respectueux de nos traditions, mais d’une nature particulière, car il recèle la pédagogie qui doit s’appliquer selon ton statut d’élève. Ainsi avons-nous modulé entre un châtiment exemplaire et un apprentissage essentiel. L’Éligible est un demi-dieu sur la terre, il devra s’y préparer et ainsi apprendre que son pouvoir obéit lui aussi à des règles. Nous sommes soumis aux ordres des dieux, nous les vénérons pour les servir, c’est ce que toi Ewar-Kali tu devras appliquer. Comme un fidèle croyant soumis à son dieu, tu devras vouer ton existence et ton destin à celui de Pamba. Tu le serviras comme tu servirais Enki, tu le vénèreras comme tu vénèrerais Enki. Il sera celui qui te montre le chemin, tu le protègeras et tu graveras son histoire pour l’éternité. Tu seras son soutien, son admirateur, son valet, son soldat, son confident, son bras armé et tu seras le scribe qui rédigeras son histoire. Tu lui dévoueras ta force, ton intelligence et ta loyauté et tu le serviras et lui obéiras à jamais. Ta gloire sera sa réussite et sa gloire sera ta réussite. Ainsi en avons-nous jugé. Tu continueras tes apprentissages en classe des lutteurs, mais tu accompagneras Pamba dans les siens et les lui faciliteras. Quant à toi, Pamba, tu seras comme l’incarnation d’Enki sur la terre, tu te montreras sage et exemplaire. De l’eau, tu seras la source et tu seras le flot car la puissance d’Enki reste intimement lié à cet élément dans l’Apsû. De l’eau, tu seras le maitre et tu seras la foi. De l’eau, toujours tu abreuveras Ewar-Kali ton parèdre, de la connaissance de l’élément eau, tel Enki, tu tireras ton pouvoir et tu en donneras sa part à Ewar-Kali. Des sept sages qui t’accompagneront au long de ton existence, Ewar-Kali sera le premier et le principal. Charge à lui de recruter les six autres. Ewar-Kali sera le capitaine du premier cercle de ta protection. Tu iras à travers les sons et la langue chercher les bruissements de l’eau, les grondements des fleuves souterrains et le silence magique des cieux. Tu deviendras alors l’incarnation du pouvoir d’Enki sur la terre parmi les hommes. Ainsi soit-il de la volonté du Dieu Enki, ainsi soit notre sentence et notre jugement. Si l’un de vous deux s’écarte du chemin qui aujourd’hui lui est tracé, il recevra le courroux et la mort sans autre procès. Ainsi soit-il de la volonté des Dieux.

Ce genre de sentence n’avait jusqu’alors jamais été prononcée. La surprise et l’incompréhension qu’elle généra au sein du clan et jusque dans l’ensemble du peuple de la Nef fut telle que, durant bien longtemps, elle ne reçut aucun commentaire, ni critique. Le principal doute provenait de l’étrange sentiment qu’en lieu et place d’une sanction, il y avait comme une ascension des coupables.

Cette sentence eut pour conséquence l’effet escompté : de ce jour Pamba et Ewar-Kali furent liés à jamais par un serment plus grand qu’un vœu qu’ils auraient eux-mêmes fait aux Dieux. De ce jour, tous deux furent considérés comme des élèves à part, avec un statut qui n’existait pour aucun autre.

Ils demandèrent d’abord aux maitres de déroger à la règle des classes de méditation. Pamba avait pour ambition d’amener Ewar-Kali à son niveau et pour cela il fallait qu’il apprenne à entrer en méditation à l’aide de la course longue. Aucun des prêtres qui avaient essayé n’y était pourtant arrivé, mais Pamba avait son hypothèse sur l’origine de cet échec : les prêtres, comme certains très bons élèves étaient sous l’influence d’une longue pratique qui faisait partie d’eux jusqu’au plus profond de leur être. Ils ne pouvaient pas en changer. Était-ce la véritable raison, nul ne le saurait jamais, mais à force de courir ensemble Ewar-Kali finit bien lui aussi par acquérir cette aptitude. Ainsi, la course longue dans le désert devint un rituel normal et récurrent durant tout ce qui restait de scolarité pour les deux élèves devenus inséparables.

Au début, leur relation se maintenait dans la stricte application de la sentence des dieux. Toute rancœur avait disparu, mais pas au point d’être remplacée par une relation chaleureuse. Ce fut lorsque Pamba réussit à transmettre sa façon d’entrer en méditation à Ewar-Kali que quelque chose de plus fort naquit entre eux et ne cessa de grandir ensuite. Une complicité ? La reconnaissance d’Ewar-Kali d’avoir appris à maitriser une compétence unique ? Une sensation d’avoir en commun une caractéristique forte, comme le serait le lien du sang entre frères ? Nul ne saurait conclure, mais de ce moment-là la relation avait changé et devenait plus franche et plus sincère. À jamais, ils seraient inséparables dans leur vie et jusque dans leur cœur.

Il fallut aussi adapter quelque peu la complicité stable et forte qui existait jusque-là entre Pamba et Sennam. Au début, Sennam se sentit poussé de côté par l’arrivée d’Ewar-Kali entre eux. Mais peu à peu, il reprit sa place, celle d’ami et confident, mais aussi celle de celui avec qui la recherche sur le langage se déroulait. Lors de ces moments-là, Ewar-Kali se mettait en retrait.[pm1] Même s’il portait un grand intérêt à ces discussions ou ces expériences spirituelles, il n’avait pas les connaissances nécessaires pour en saisir toutes les subtilités. Dans ces circonstances, il laissait Sennam redevenir le second de Pamba et, de son côté, lui-même se prêtait parfois à quelques expériences. La première fois, il les rejoignit alors qu’ils étaient en plein débat, dans l’état d’exaltation qui les caractérisait dans ces moments-là.

Pamba et Sennam eurent la délicatesse de ne pas l’exclure totalement et lui demandaient parfois son avis, ou simplement d’être le témoin de leur résultat, voire d’être le cobaye de certaines observations. En résumé, ils lui donnaient le rôle le plus important qu’il eut pu tenir. Ainsi se constitua un trio unique dans l’histoire de l’école qui deviendrait aussi unique dans l’histoire du monde, et bien au-delà de celui des Terres du Milieu.

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