Chapitre 39 : La citadelle.

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Budapest. Vendredi 14 décembre. Dix-sept heures.

Cela fait deux jours qu'ils se postent au point le plus haut de la capitale magyare. Le pannonien attend aux pieds de la tour, dominée par la jeune femme qui tend vers le ciel une feuille de palmier ressemblant à une immense plume. Elle est le symbole de la délivrance d'une tyrannie qui avait opprimé de nombreux peuples européens au siècle dernier. Ironie du sort, elle a été érigée par une autre dictature, responsable d'une révolte sanglante et d'autant de morts que de réfugiés dix ans plus tard.

Au pied de la grande tour, le pourfendeur de dragon et le porteur de lumière, sous la forme d'une torche, sont deux représentations érigées pour seconder la statue de la liberté hongroise. Et au beau milieu de toute cette symbologie communiste, l'homme attend là, accompagné de ses acolytes, épiant les faits et gestes des visiteurs. Le ciel prend une teinte rougeâtre qui se reflète sur le Danube. Cependant, rien, aucun message ou messager ne se montrent depuis quarante-huit heures maintenant. Pourtant, ce soir, un visage familier se distingue parmi la horde de touristes.

***

Jareth, plié en deux par la douleur, se faufile parmi la foule sur la grande place. Il est blessé. Gravement. Le liquide noir se répand doucement entre ses doigts. Il se tient le côté droit de l’abdomen. Il a été touché par un éclat lors de la déflagration. Sur le coup, il n’a pas relevé, trop obnubilé par la sécurité de sa fille. Mais lorsqu’il a fait le malheureux constat de son énième enlèvement, la douleur a commencé à le submerger. Le temple. Il sait qu’il se trouve là, dans la capitale Magyare, proche de la fameuse citadelle qui surplombe le Danube. Il sait aussi qu’il y a un passage, quelque-part. Soit au sommet de la citadelle, soit dans le contre-bas, où se situent actuellement les arrêts de bus.

Seulement il y a un obstacle de taille : la horde de touristes ne lui permet pas de tester les différentes issues cachées sans se faire remarquer. Il sait aussi qu’il lui reste du temps. Le rituel ne doit pas commencer avant le solstice d’hiver. Dans une semaine. Pour une fois, il bénit les superstitions stupides dont font preuve les gens de son peuple.

Alors qu’il cherche une pierre ou une excavation suspecte au pied de la tour, un homme avance vers lui d’un pas décidé, ne le quittant pas des yeux. Jareth reprend son souffle. Il observe l’étranger. Il est de taille moyenne, les cheveux bruns, une barbe naissante et entretenue malgré tout. Sa peau est mate. Sur le coup, il suspecte un des siens, mais qui serait du mauvais camp. Lorsque l’homme est à son niveau, il ne voit pas les habituelles lueurs rouges qui vrillent leurs globes oculaires. Ses yeux sont foncés mais typiquement humains. Un soupir de soulagement s’échappe de sa bouche. Certainement un type qui veut lui demander son chemin. Mais le moment de paix est de courte durée. L’homme s’approche un peu trop prêt de lui et lui tient fermement le bras gauche. Il se tient contre lui avec un revolver contre son flanc.

« Police. Mais je pense que vous vous en foutez. Suivez-moi, démon, si vous ne voulez pas terminer votre triste existence plus tôt que prévu »

Jareth ne comprend pas. Comment un simple humain, français de surcroit, connaitrait-il sa véritable nature ? Il regarde le canon qui est collée contre son flanc. Il ne luit pas. Le revolver n’a pas été béni. Le syldraïne chuchote aux oreilles de l’étranger, alors qu’ils se faufilent dans la foule :

- Monsieur, je ne sais pas qui vous êtes. Sachez cependant que votre arme ne peut rien contre moi.

- Possible. Mais mon ami en a certainement une qui pourrait vous en faire, du mal. »

Le mystérieux policier le dirige vers un autre homme, les cheveux extrêmement courts et habillé d’un bomber vert kaki. Sans doute un militaire. Il a le dos tourné, son attention est dirigée sur un écran de cellulaire. Puis il se retourne. Jareth reconnait l’homme à ses cicatrices : un asiatique dont les joues sont bardées de scarifications. Un Hun. Un guerrier de la lumière.

« Lieutenant Székéres ? Voici notre suspect. » Dit le français à son acolyte.

L’homme asiatique crache sur le côté par mépris. Ses yeux noirs prennent une étrange teinte ambrée. Il prend alors Jareth par le menton et le fixe dans les yeux. Une douleur sourde lui vrille le centre de la tête. Ses résistances sautent une à une. Une voix lancinante prend place à l’élancement qui lui brûle le cerveau :

« Où est Lisa Mauragnier ? »

Le « démon » ne peut que répondre malgré lui :

« Au temple. Pendant le solstice d’hiver… Aaaargh ». La douleur est telle qu’elle lui plie les genoux et le force à se mettre à terre.

Soudain une voix derrière lui fait écho à l’interrogatoire improvisée :

« VIKTOR ! LÂCHE-LE ! IL EST AVEC NOUS. »

L’homme asiatique relève la tête vers le troisième inconnu qui vient de stopper in extremis la torture qu’il est en train d’administrer. Son visage montre une incompréhension totale avec une pointe de déception.

« Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? »

Jareth se retourne pour voir qui est son sauveur.

« Zoltán ? » Dit-il, surpris, mais non sans un soupir de soulagement.

« François. » Répond l’homme qui se précipite sur lui pour l’aider à se relever.

« Zoltán ? » Répètent en cœur les deux policiers.

- C’était mon nom dans les années quarante.

- Tu es Egon, n’est-ce-pas ? » Répond dans un souffle le « démon ».

- Oui. C’est Egon maintenant. » Le loup se tourne vers ses amis et leur exhorte de l’aider à ramener l’homme dans un endroit sécurisé.

« Il est blessé, merde ! Viktór, tu aurais pu le tuer ! » S’exclame-t-il furieux.

- Et depuis quand tu t’inquiètes pour ces raclures, Egon ?

- Depuis qu’il m’a sauvé la vie et sorti des griffes des SS.

- Mais… C’est un putain de démon ! Qu’est-ce que tu fous ?

- Je sais. Mais il n’est pas comme les autres. Aidez-moi à le relever. On l’emmène pour le soigner. BLEDA ! »

Le Petit Prince qui était planqué près d’un stand de gaufres, se précipite vers eux, accompagné de Mandrin. Les deux compères ont les joues gonflées comme des hamsters. Apparemment, ils ont joint l’utile à l’agréable. Les viennoiseries nappées de sucre glace se sont émiettées sur leur veste respective, trahissant leur gourmandise.

- Bleda, envoie-moi au monastère, je t’en prie. Je vais avoir besoin de l’aide de l’Ancien.

- Et tu comptes l’interroger ? Tu es sûr que tu ne veux pas que je t’envoie Viktór avec vous ?

- Non. Ce ne sera pas nécessaire.

Viktór est de plus en plus suspicieux.

« Comment tu peux être certain qu’il ne va pas te raconter des bobards ? » Rétorque le policier hongrois à l’attention de son ami.

« Parce qu’il est notre allié. Bleda, prend nos mains. Il a perdu trop de sang. Il n’y a plus de temps à perdre. »

Mandrin et Garcia, qui regardent toute la scène sans trop comprendre ce qui est en train de se passer, remarquent dans la foule, plusieurs hommes à la peau un peu trop rougeâtre, les mains dans le revers de leur veste en cuir noir, prêts à en sortir quelque-chose.

« Ok les gars », déclare le capitaine, « Je ne sais pas ce que vous voulez faire, mais c’est maintenant qu’il faut agir. » Garcia serre son arme dans son poing et d’un signe de la tête, indique à Mandrin les trois hommes suspects qui s’approchent d’eux un peu trop rapidement. Ce dernier comprend la situation et sort son revolver, sans le mettre en joue pour ne pas affoler les civiles qui flânent autour d’eux.

Viktór lève la tête à son tour. Saisissant l’urgence de la situation, il rétorque :

« Ho-Jin ? Emmène-les. On vous couvre. » Puis, sortant son arme de service de son holster et visant les trois intrus, il se met à crier suffisamment fort pour que la masse de gens autour d’eux l’entende :

« RENDÖRSÉG ! TEGYÉK LE FEGYVEREIKET! AZONNAL! » (nda : POLICE ! POSEZ VOS ARMES ! TOUT DE SUITE !)

Ho-Jin se retourne et comprend qu’une fusillade va se déclencher. Les trois hommes sortent de leurs blousons des armes automatiques et commencent à tirer en l’air. Dans la foule des cries résonnent. La kyrielle de touristes se disperse, frénétique, dans une cohue sans précédent et commence à courir dans tous les sens. Un flash de lumière aveugle momentanément tout le monde. Ho-Jin vient de se téléporter avec Egon et François.

Viktór fait un signe de la tête à Mandrin et Garcia :

« Suivez-moi ! On se casse maintenant si on ne veut pas que ça se termine en bain de sang. »

Les deux policiers français obtempèrent sans rechigner, filent derrière le lieutenant magyar et se mettent à couvert, prêts à riposter. Bientôt, sans doute alertés par quelques inconnus qui ont eu le bon réflexe de se cacher et d’appeler les secours, le son strident de sirènes se rapprochent avec les lumières bleutées des gyrophares de police.

Les véhicules blancs, bardés d’une large bande oblique bleue, arborant le « rendőrség » en capitale sur le côté, bloquent l’issue de la place de la citadelle qui mène à un grand parc boisé, empêchant quiconque de s’enfuir. Des hommes sortent brusquement des véhicules de police, armes au poing, planqués derrière les voitures. Viktór, Garcia et Mandrin, éblouis par la lueur un peu trop agressive des gyrophares, rentrent leurs équipements et lèvent les mains. Le guerrier prend alors la parole et déclame en hongrois, toujours les mains en l’air, arborant sa plaque le plus visiblement possible :

« C’est bon les gars ! On est de la maison... »

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