Chapitre 42 : L'Enchanteur

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Le Monastère – Vendredi 14 décembre - 20h00

Jareth s’éveille doucement, le cerveau dans un brouillard épais. Il ne sent plus son corps, ou du moins, pas tout à fait. Petit à petit, en contrôlant sa respiration, il retrouve la sensation des extrémités d’abord, puis des jambes, des bras. Il tâtonne le drap qui le recouvre. Il y a quelque-chose sur son ventre dont toute sensation est pratiquement absente. Il soulève le large tissu immaculé et regarde son corps. Des pansements bardent la zone abdominale.

Il se souvient : l’explosion. La disparition de sa fille dans la cellule, la porte défoncée à l’intérieur. Puis la douleur qui lui tenaillait l’estomac. Il baissait les yeux pour constater les dégâts. C’était en fin d’après-midi. Après l’explosion, il avait été inconscient quelques heures, car, à son réveil, la neige avait cessé de tomber et le ciel était dégagé de tout nuage. Le firmament prenait une couleur rosâtre pour laisser place à la nuit. Se tenant la blessure, il avait malgré tout réussi à prendre une voiture et s’enfuir après que tous les ennemis s’étaient volatilisés.

Il s’était rendu là où se trouvait l’ancien temple, aujourd’hui reposant sous un monument érigé par les anciens soviétiques. Une œuvre, au premier regard, impressionnante et magnifique, mais selon lui, horrible. Il savait qu’il y avait un passage, là quelque part. Il avait été interrompu par ce policier français, qui ressemblait plus à un Ibérien qu’à un Gaulois. Puis ce guerrier qui lui avait vrillé le cerveau par sa simple volonté pour lui soutirer des informations. Cependant, un ancien allié était là et avait fait en sorte qu’on l’épargne. Ensuite, plus rien. Le noir absolu.

Et maintenant, le voilà, cloué dans un large lit, entouré de bandages telle une vieille momie, dans une chambre aux murs de pierre et aux antiques fenêtres en forme de meurtrières, typique des constructions du Moyen Age.

La nuit est tombée. Quelle heure est-il ? Où est-il ? Il n’en a pas la moindre idée. On toque à la porte. Cette dernière s’ouvre lentement, laissant apparaître une femme, aux traits asiatiques, très belle malgré les cicatrices tailladées sur les joues. Elle tient un plateau contenant un bol fumant. L’odeur qui envahit la pièce laisse penser à un bouillon de légumes, avec des morceaux de volailles. Elle le pose sur une table en bois verni, proche de son lit, puis se tourne vers lui. Elle sort un thermomètre de sa poche, qu’elle active, et le place dans la bouche du convalescent. Elle lui prend le bras droit, saisie un tensiomètre et lui prend la pression. Pas une fois elle ne tourne le regard vers lui, pas une fois elle ne lui adresse un mot. Elle prend juste note dans un carnet les différentes informations qu’elle a pu glaner grâce à son petit attirail d’infirmière. Et elle s’en va, en claquant la porte.

Il entend des voix à l’extérieur. Puis un nouveau toc sur la porte. Il n’a pas la force de parler et attend que l’invité surprise entre de lui-même. En effet, cette dernière s’ouvre. Apparait alors une vieille connaissance, son sauveur. Il est accompagné d’un grand homme âgé, aux longs cheveux blancs qui encadre une figure calme et empreinte de sagesse. Ils pénètrent dans la chambre, prennent chacun une chaise et l’installent à côté du lit. Ils s’y assoient. Celui qu’il connait sous le nom de Zoltán le contemple, inquiet. Le vieil homme ne dit rien et écoute la conversation que le plus jeune est sur le point d’entamer :

- Bonsoir, François. Comment vas-tu ?

- Euh… J’émerge, gentiment.

Le guerrier sourit à ces mots. Il parcourt du regard la chambre et s’arrête sur le bouillon chaud. Il se retourne vers lui :

- Tu as besoin d’aide pour manger ?

- Je… je ne sais pas. Mais je n’ai pas très faim.

- Pas de problème, dis-le-moi, et je t’apporte le bol.

Jareth ne répond pas tout de suite. Il ne sait pas quoi penser. Celui qui aurait dû être son ennemi, est au petit soin avec lui. Puis il déclare :

- Zoltán, merci de m’avoir sauvé la vie. Je crois que nous sommes quittes maintenant.

- Egon. Appelle-moi Egon. Zoltán n’est plus, pour l’instant, jusqu’à ce que je change d’identité.

- Et quel est ton véritable nom ?

- Contente-toi d’Egon. C’est mon nom dans le temps présent. » lui répond le Pannonien, un sourire en coin. « Et ce monsieur qui m’accompagne est ton médecin. C’est lui qui t’a sauvé. Il s’appelle Octavius. » Ce dernier le salut d’un mouvement de tête.

Jareth dirige son regard vers son chirurgien : « Merci Docteur. ». Ce dernier lève la main en réponse. Puis le Syldraïne se tourne vers le Loup. « Oui, je comprends. Ces noms jalonnent les différentes époques que nous traversons, n’est-ce-pas ? »

Egon lève un sourcil, par curiosité. Octavius devient plus intéressé. Jareth vient de confirmer quelque-chose qu’ils suspectaient : il est peut-être un immortel, lui aussi. Mais c’est bien la première fois que le guerrier est confronté à ce phénomène, vis-à-vis d’un démon.

« Certes. » Répond-il, simplement. Il a d’autres questions plus urgentes :

- François…

- Jareth. Appelle-moi Jareth. François, c’est pour certaines personnes en France.

- Ok, Jareth. Tu as été pris dans une explosion dans un vieux Manoir aux abords de Budapest. Est-ce correcte ?

- Oui.

- Lisa était-elle avec toi ?

- Oui. Mais ils l’ont emmené avec eux. Ou, par quelque miracle, elle a réussi à s’enfuir. Mais je n’y crois pas trop. Après l’attentat, elle s’est juste volatilisée.

- Et avez-vous une idée où ils auraient pu l’emmener ? » Demande Octavius.

- Là immédiatement, non. Mais une chose est sûre : si elle est avec eux, ils vont exercer le « rituel » sur elle. Cela doit se passer durant la nuit du solstice d’hiver, dans une semaine. Et cela se déroulera au temple qui se trouve sous terre, sous la citadelle de la capitale hongroise.

- Disons que je ne vois que deux solutions pour la sauver : soit on la récupère pendant le rituel, soit on trouve où ils la cache, avant le rituel ce qui permettrait que ce dernier ne se fasse pas. Elle aurait ainsi plus de chance de rester en vie.

- Oh ! Ne t’inquiète pas Egon » Intervient Jareth. « Ils ne la tueront pas. Ils ont besoin d’elle… vivante. Pour le rituel, le sujet doit être complètement alerte. »

- Mais c’est quoi ce rituel ?

- Quelque-chose qui fera d’elle un monstre. »

Jareth tente de se relever péniblement pour faire face à ses deux interlocuteurs. Le visage empreint d’inquiétude, il leur confie ce qu’il avait tenté d’expliquer à sa fille pour la rassurer :

- Nous sommes en guerre. Pas uniquement avec vos anges, ou vos dieux, mais entre nous. Une faction d’indépendantistes, si j’ose les appeler ainsi, veulent prendre le contrôle total de cette planète. Ils cherchent à soumettre les humains dans une forme d’esclavage absolue.

- Ils ont déjà bien commencé ! » Rajoute Egon dans un rire narquois.

- Oui… Mais, je me bats, moi et mes sujets, pour que tout cela n’arrive pas. La Terre est devenue, par la force des choses notre planète. Les humains, contrairement à ce que certains groupes malveillants voudraient leur faire croire, ne sont pas des animaux cupides et mauvais. Nous croyons que l’homme, ainsi que toute créature vivante dans cet univers sont fondamentalement bons. La source de leur malheur et de leur folie n’a rien à voir avec leur essence même. Quelque-chose, ou quelqu’un, leur a fait quelque-chose, il y a longtemps, qui les a, ou nous a, devrais-je dire, rendus complètement fous. »

Egon se lève. La colère vient de prendre place à sa bienveillance. Hors de lui, il éclate sa verve :

- Et n’est-ce pas vous ? Ce quelqu’un qui génère le mal partout où il passe ? Vous êtes les démons ! Vous êtes la progéniture du Malin !

- Egon… » Soupire de tristesse la soi-disant créature du Diable : « Les démons… ça n’existe pas. JE ne suis pas un démon. Je suis un Syldraïne, une créature extra-terrestre dont la planète a été décimée il y a fort longtemps par vos supposés Anges, qui n’en sont pas non plus. En vérité, je ne sais pas si les vrais démons existent, si même votre Dieu existe. Peut-être que oui, et dans ce cas, tu as raison et je me soumets à ton Dieu. Mais ceux que vous servez ne sont pas des anges. Ce sont des Ethériens. Un autre peuple d’un autre monde, avec qui nous vivions en bonne intelligence, il y a une éternité. Puis, cette bonne entente, pour je ne sais quelle raison politique, s’est dégradée pour devenir de la haine pure et a fini par détruire notre terre à nous. Nous sommes des réfugiés. Mais certains d’entre nous veulent prendre le rôle d’envahisseurs, depuis que les grands prêtres ont pris le pouvoir sur notre peuple, distillant une idéologie qui a le mauvais goût de votre fascisme. Et ça, je ne le tolèrerais pas, car nous prenons alors les couleurs de notre véritable ennemi, qui tire les ficelles en secret. Et je ne sais pas qui il est. Je suspecte cependant… »

Mais, Jareth s’interrompt. La tête commence à lui tourner. Il doit se rallonger. Octavius, d’un geste, ordonne à Egon de se calmer. Le médecin se lève pour examiner l’homme alité. Il prend le bol pour lui servir un peu du liquide encore chaud. Il appose ses mains sur le corps de Jareth, ses yeux prenant leur miraculeuse lueur mordorée. Continuant à prodiguer des soins pour soulager le moribond, Octavius s’adresse au guerrier, qui est en proie à une grande confusion.

« Egon ? Sort s’il-te-plait. Je dois m’occuper de mon patient. »

Le pannonien ne discute pas et quitte la pièce, bouleversé par ces nouvelles révélations.

Dès que Jareth a repris des couleurs, le docteur le contemple, avec toute la bonté du monde et un petit sourire amusé, puis lui déclare :

- Je vous demanderais, mon cher Jareth, de ne pas y aller trop fort avec mes hommes. Bien que ce que tout ce que vous nous avez révélé ne me surprend pas plus que cela, certains d’entre nous ont cette foi qui les anime. Egon est de ceux-là. Et je vous demanderais de respecter ce point.

- Oui. Excusez-moi.

- Ce n’est pas grave. Mais tenez-en compte la prochaine fois ! Comme vous dites, vous ne savez pas si ce Dieu existe. Nous aimons à croire que oui. Et c’est ce qui nous permet de donner un sens à notre existence.

- Je comprends. Je ferais attention.

- Merci. »

Octavius se lève du côté du lit où il s’était installé pour assister Jareth, puis se dirige vers son siège sur lequel il se rassoit, ne quittant pas des yeux le Syldraïne. Il ajoute :

- J’ai moi une question pour vous, mon cher ami.

- Oui ?

- Votre tête me dit quelque-chose. Nous nous sommes croisés, il y a un petit moment ?

- Certainement. Mais je ne pourrais pas vous dire.

- Je ne sais pas pourquoi, mais quand je vous regarde, j’ai des souvenirs qui me reviennent, de très vieux souvenirs datant d’avant notre transformation. Avant que votre vaisseau se soit écrasé sur les grandes plaines. Vous ne faisiez pas parti des survivants de ce crash. Vous étiez là bien avant, n’est-ce-pas ?

- Oui. » Répond-il dans un soupir.

Le vieux médecin se lève brusquement, toute son attention rivée sur les bribes de mémoire qui lui reviennent petit à petit. Puis une lueur de lucidité éclaire son visage :

- « C’était en Gaule… Oh ! Ce devait être en 451, au printemps, lors du siège d’Orléans. J’étais parti en reconnaissance avec une escouade vers le Nord pour le ravitaillement. Nous étions arrivés dans une petite bourgade, en bord de mer, que nous allions piller, bien évidemment. Cela devait être dans le sud de la Bretagne actuelle. Il y avait une forêt qui entourait ce village. Un homme vêtu d’une grande robe blanche et coiffé d’une peau de bête y vivait et protégeait ce lieu qui, apparemment, était sacré. »

Octavius interrompt sa diatribe et se tourne vers son interlocuteur, le regard perçant :

- C’était vous n’est-ce pas ?

- Peut-être, Octavius… C’était il y a longtemps, vous savez !

- Oh ! Pas tant que ça ! Je me rappelle que vous nous aviez terrifiés avec vos tours de passe-passe ! » Répond Octavius en riant. « Et vous nous aviez clamé votre nom, telle une malédiction que l’on jette sur quelqu’un… Ce nom… Quel était votre nom Jareth ? »

Il s’interrompt pour se pencher vers le soi-disant fils du Diable. Il appuie chaque mot qu’il prononce : « Quel est votre VERITABLE nom ? »

Mais ce dernier ne répond pas. Il ne peut que renvoyer un sourire au vieux sage. Le vieil homme, un brin de malice dans le regard, murmure : « Oui ! Je me souviens maintenant ! » Et le visage illuminé d’un sentiment de victoire, comme s’il retrouvait un vieil ami, il rajoute : « Heureux de vous retrouver… Merzhin ! »

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