Chapitre 46 : Le flic et le lynx.

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Budapest, Samedi 15 décembre, 08h00 du matin

L’hôtel est confortable et plutôt bien situé, en plein centre-ville, proche des attractions touristiques typique de la capitale hongroise. Garcia se prélasse dans son lit et en oublie presque l’heure. Mais la sonnerie de son smartphone le rappelle à l’ordre. Il tente de l’attraper sur sa table de chevet, cependant, le mode vibration lui fait faire une danse saccadée qui le force à sortir de sa planque si douillette. Un numéro étranger s’affiche sur l’écran.

- Garcia à l’appareil.

- Szia Capitaine. J’espère que la nuit a été bonne ? »

Il reconnait l’inspecteur Székéres, Viktór de son petit nom. Le guerrier immortel. Chaque fois qu’il entend sa voix, un frisson lui parcourt l’échine et il ne peut s’empêcher d’imaginer le policier sur un cheval, vêtu d’une cotte de maille, d’un casque oblong bardé de fourrure et un arc ou une épée, prêt à lui pourfendre le torse. Il se frotte le visage pour reprendre ses esprits.

- Oui, c’était pas mal. Merci de nous offrir l’hôtel. Vous avez de sacrés moyens à la PJ de Budapest !

- Ha ! Ha ! Ha ! Si seulement. Remerciez plutôt Egon. C’est lui qui vous sponsorise.

- Ah. Ben oui, j’aurais dû m’en douter. Que puis-je faire pour vous lieutenant ?

Un court silence, puis dans un français correct à l’accent étranger à peine perceptible, Viktór lui répond.

- Nous avons du nouveau.

- Oh ! Vraiment ? Vous avez trouvé une trace de Lisa ?

- Peut-être. Un quintuple meurtre sur les rives du Danube. Les victimes sont des étudiants étrangers. Du sang qui sort des orifices du visage. Ça vous dit quelque-chose ?

- Merde.

- Oui, c’est le mot. En revanche nous avons deux témoins : un jeune brésilien et un vieux rom. Le jeune dit avoir été sauvé par une femme. Mais elle s’est enfuie dès qu’il a touché le bitume de la route. Elle parlait une langue étrangère. Du français apparemment.

- Quoi ? Où êtes-vous là maintenant ?

- Ah ! Je savais que ça allait vous intéresser. Je suis à la réception de votre hôtel. Préparez-vous, vous et votre second, et on part tout de suite sur la scène de crime. Je vous ai pris deux cafés à emporter.

- On arrive.

En ni une ni deux, Garcia se jette sur son pantalon qu’il enfile à toute vitesse, termine de s’habiller avec ce qui lui tombe sous la main. Pas le temps de se raser. Tout le monde s’en fout de toute façon. Il prend son arme personnelle, celle de service étant restée en France et fonce devant la porte d’en face pour la tambouriner comme un demeuré. Deux petites minutes plus tard, un entrebâillement s’ouvre et laisse apparaître un Grégory Mandrin encore à moitié endormi, en caleçon.

- Capitaine ? Dit-il mollement de sa voix éraillée.

- Habillez-vous tout de suite, Mandrin ! On a cinq nouveaux cadavres et un témoin qui a peut-être vu Lisa Mauragnier vivante.

- Oh merde…

- Oui, c’est le mot. Dépêchez-vous ! Je vous donne cinq minutes. Je vous attends en bas avec Székéres.

Le Capitaine fonce à la réception où l’attend, comme convenu le policier hun, qui lui tend avec un grand sourire un gobelet en carton fumant d’un liquide encore chaud.

- Et votre collègue ?

- Il arrive. Il est un peu lent au démarrage.

Dix minutes plus tard, les trois policiers sont dans la voiture de service de la PJ hongroise en route vers les rives du grand fleuve bleu.

Arrivés à bon-port, sur les abords du courant d’eau, la scène est déjà sécurisée et fourmille d’hommes tout de blanc vêtus, en train de placer des marques, prendre des photos et faire divers prélèvements qui pourraient être pertinent pour l’enquête. Les cinq corps ont été recouverts eux aussi de draps blancs, linceuls de fortune. Viktór, Garcia et Mandrin ont enfilés leurs gants et des protections pour les chaussures. L’inspecteur hongrois se risque à s’approcher d’un des corps, suivis de ses acolytes français, soulève un drap pour dévoiler le visage ensanglanté d’une jeune femme.

- Ils y sont allés un peu fort cette fois. » Remarque le capitaine parisien.

- Oui je suis d’accord. » Répond le lieutenant magyar.

- Les yeux sont dans les orbites habituellement. Ils ne les crament pas au point de les faire exploser. Est-ce que les corps ont été mutilés post mortem ?

Viktór soulève un peu plus le linceul pour vérifier.

- Apparemment pas. Cette fille a tous ses vêtements sur elle. Pourquoi cette question ?

- Parce que chez nous, ils s’amusaient à découper des organes des victimes après leur mort.

- Quoi !? Alors ça c’est nouveau. Quels organes ?

- Les seins, les organes génitaux, le cœur, et autres viscères.

Viktór se relève, complètement dubitatif. Il se parle à lui-même, à voix haute, pensif.

« Mais pourquoi est-ce qu’ils prélèveraient des organes ? Ils font quoi avec ? Du goulash ? »

Garcia qui a entendu les réflexions du lieutenant se permet de rajouter :

- Ou du trafic d’organes. Ou des expériences. Ou encore, c’est pour leur rituel bizarre.

- Mouais. Ou alors pour nous impressionner. Cela ressemble à d’anciennes techniques de guerres : présenter des corps empalés, par exemple pour démoraliser l’ennemi. Mais votre théorie est pertinente. »

Viktór, alors qu’il a le visage rivé sur les corps, est perdu dans ses pensées. Toujours le regard absent, il demande à Garcia :

- Capitaine, vous avez certainement entendu parler de la plus grande tueuse en série de mon pays ?

- Ça dépend. Éclairez-moi ?

- La Báthory, vous connaissez j’imagine ?

Le capitaine se sent un peu bête soudainement. Bien qu’il cherche dans ses souvenirs, il n’est pas allé aussi loin dans le temps.

- Oui, évidemment. Elle a été très inspirante cette Dame ! Combien de victimes à son actif ? Plusieurs centaines ?

- Aucune.

- Oh ! Vraiment ?

- Je faisais partie des premiers sur l’affaire à l’époque, jusqu’à ce que je sois envoyé sur un autre cas. Mes conclusions ne convenaient pas à mes supérieurs. En revanche, elle était très mal entourée et faisait chier les puissants qui lui devaient des sommes d’argent astronomiques. Pour faire l’histoire courte, et là où je veux en venir, c’est que c’est la seule similitude que je vois avec des attaques de démons qui se permettent de faire des prélèvements après leur morbide forfait. Des victimes, il n’y en avait une vingtaine à tout péter. Toutes des femmes, vierges ou non. Mais c’étaient toutes des enchanteresses. Je vous laisse conclure qui était derrière tous ces meurtres.

- Les démons.

- Oui, mais pas seulement. Ces enfoirés bossaient pour le compte d’un nanti. Une espèce de malade, alchimiste, qui faisait de pseudo-recherches pour atteindre l’immortalité. Il disait qu’il suivait les consignes des Grands Prêtres ou une connerie du genre. Il en profitait aussi pour s’amuser avec les corps de ces pauvres filles.

- Et qu’est devenu ce savant fou ?

- Les Habsbourg lui ont offert des terres et un domaine. Et avec l’aide de ce connard de György Thurzó et du fils Pal Báthory, il a fait en sorte de mettre ses crimes sur le dos de la Comtesse.

- Même à cette époque, ces enfoirés s’en sortent !

- Oh ! Ne vous inquiétez pas. Je me suis assuré que ce sale type n’arrive jamais jusqu’à ses terres. Il a perdu la tête avant. Comment croyez-vous que j’aie obtenu toutes ces informations ? »

Viktór conclue son récit, agrémenté d’un sourire malicieux, pas peu fier de son « acte de justice ». Garcia ne peut s’empêcher de penser que, décidemment, ce type, un guerrier de la horde converti en flic, est toujours quelque part un barbare avide de chair fraiche. Et cela ne le rassure pas beaucoup.

Alors que les deux hommes sont en pleine discussion et partagent leurs théories, Mandrin, qui n’a pas grand-chose à faire et qui a un peu de mal à communiquer avec ses confrères, décide de s’éloigner un peu de la scène de crime afin de respirer le bon air frais du matin, aux abords des rives du beau Danube bleu. La couche de neige y est très fine, presque inexistante. Tout cela donne un aspect féérique à la nature, contrastant grandement avec l’horreur qui y est exposée maintenant à quelques mètres derrière lui. Alors qu’il s’aventure plus profondément vers la petite forêt qui longe le fleuve, les branches cristallisées par la blancheur du givre, au fur et à mesure, deviennent de plus en plus sombre. Grégory Mandrin, intrigué par ce phénomène, suit les rameaux noircis.

Il arrive aux abords d’une espèce de clairière, encerclée par des arbustes brûlés. Le sol est entièrement nu de végétations, ou presque : trois corps entièrement carbonisés gisent à terre, en position fœtal. Le jeune lieutenant a un mouvement de recul, tant sa stupeur est grande, mais aussi par réflexe purement professionnel : ne pas polluer la nouvelle scène. Il se met à crier de toutes ses forces :

« CAPITAINE !! ICI ! D’AUTRES CORPS ! »

Bientôt, les deux policiers accourent vers le jeune homme. Ils s’arrêtent net aux abords des bois brûlés, contemplant avec stupeur le spectacle morbide.

« Nom de … Qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? » Souffle Garcia, l’incompréhension se lisant au travers des traits de son visage.

Il se tourne vers Viktór mais ce dernier, pour une fois, est tout aussi terrifié. Seuls trois mots sortent de sa bouche, telle une malédiction qu’il tente de conjurer :

« A gall boszorkány… »

Puis, sans prévenir, il enlève sa veste, desserre sa ceinture pour retirer son pantalon. Les deux flics français le regardent faire, complètement interloqués.

« Mais… Mais qu’est-ce que vous foutez ?? » L’interroge le capitaine, sous le choc. Mais Viktór ne prend même pas la peine de lui répondre et continue son déshabillage dans la précipitation. Il lui tend ses vêtements en boule, alors qu’il est nu comme un ver, et lui donne ses instructions :

- Gardez mes fringues dans la voiture. Appelez Egon et dites-lui qu’il doit venir ici au plus vite avec Ho-Jin et les autres au QG de Budapest. Et armés !

- Sans déconner ! Vous pouvez m’expliquer ?

- Non, pas le temps.

- Pourqu… Pourquoi vous vous foutez à poil dans ce froid ? Et… qu’est-ce que veut dire « Gall » ?

- Gaulois. Dites-lui aussi que je suis en train de suivre la piste de sa copine. »

Sans se retourner, le guerrier se précipite dans les fourrés. Soudain un violent flash de lumière éblouit tout le monde. Garcia court dans la direction où Viktór est parti, mais tout ce qu’il a pu apercevoir est un grand lynx se faufilant entre les arbres. Mandrin le rejoint, mais beaucoup plus enthousiaste par l’incongruité de la situation et très heureux d’avoir été témoin d’un tel phénomène surnaturel. Il s’exclame : « Alors, lui, c’est le lynx ! »

Garcia se retourne vers lui, le regard furibond et irrité par ce sentiment désagréable d’avoir loupé un épisode :

- Qu’est-ce que vous racontez encore Mandrin ?

- Ben lui, Viktór, son animal totem, c’est le lynx ! » Lui rétorque-t-il comme si c’était une évidence.

- Arrêtez de me prendre pour un con. Je ne comprends rien à ce que vous me chantez !

- Mais si capitaine, enfin ! C’est Ho-Jin qui m’a tout expliqué !

- Expliqué quoi, putain ?

- Chaque guerrier a un pouvoir particulier et un animal totem en lequel il peut se transformer ! Ho-Jin ne m’a pas tout dit dans les détails mais, par exemple, vous avez le loup qui est Egon, le rat, c’est Ho-Jin et… Le Lynx ! » Dit-il en pointant sa main vers la direction où s’est rendu le lieutenant Székéres.

Garcia Lopez, exaspéré par toutes ces inepties, jette les vêtements du guerrier contre le torse de Mandrin qui réussit tant bien que mal à ne pas les laisser tomber au sol.

- Allez poser ça à la voiture. Et vérifiez s’il n’y a pas les clefs dans une des poches du pantalon. Moi, je vais chercher la scientifique et j’appelle le loup des steppes.

- Euh… c’est un loup gris de Sibérie.

- M’en fous ! Il pourrait être celui de Blanche-Neige ça ne change rien. Faites ce que je vous dis ! »

Tout penaud, Mandrin se dirige vers leur véhicule afin d’entreposer les fripes de leur collègue. Garcia retourne à la scène initiale, là où se trouve toute l’équipe scientifique et d’autres agents. Après avoir réussi à leur décrire la nouvelle scène de crime dans un franglais-hongrois à peu près compréhensible et une langue des signes approximative, quelques hommes en blanc se dirigent vers la nouvelle découverte et commencent leur travail.

Enfin isolé, il prend son smartphone et appelle l’autre guerrier.

- Egon ?

- Oui, Capitaine. Que puis-je faire pour vous ?

- J’ai un message pour vous de la part de votre collègue, Viktór : vous devez vous rendre au QG à Budapest avec un maximum de monde et armé. Je pense qu’il est sur la piste de Lisa. Littéralement.

- Quoi ? Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

- Je ne sais pas, mais on a trouvé des corps calcinés dans une clairière qui a été constituée récemment par une espèce de combustion spontanée et quand il a vu ça, il s’est mis à poil et est allé courir dans la pampa… Ah oui ! Il a aussi parlé d’une sorcière gauloise. Ça vous parle ? »

Un silence, puis le pannonien reprend la conversation :

« On arrive tout de suite. Je vous contacte dès que l’on est à Budapest. »

Le capitaine n’a pas le temps de rajouter quoique ce soit. La conversation a été brusquement interrompue. Une petite heure plus tard, un message apparait sur son appareil : un lieu de rendez-vous.

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