Amours et arnaques

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- Tu es un monstre extraordinaire !

- Je suis content de t'avoir retrouvée.

- Moi aussi, mais je reviens à ton idée, tu l'as reprise à d'autres ?

- Pas du tout, c'est une invention perso !

- Tu l'as déjà partagée avec quelqu'un ?

- Non plus. C'était un secret jusqu'à ce jour. Tu es la première à qui j'en parle.

- Mais alors, tu m'as recherchée et appelée juste pour m'associer à ton plan ?

- Un peu, oui.

Chloé cache mal sa déception.

- Je suis assez naïve, tu sais… J'espérais qu'il y avait aussi du sentiment dans ta démarche.

- Mais bien sûr. Rassure-toi, je ne t'ai jamais oubliée. Et pour te retrouver, j'ai dû faire preuve de patience et d'astuce. Et je voulais surtout une partenaire de confiance.

- Moi, je te plais pour la confiance, je suis sérieuse, j'ai des valeurs, tu as juste besoin de moi, je te suis « utile ».

Bruno n'est pas surpris par les jérémiades de Chloé. Il s'y attendait, il s'y était préparé. C'est pour ces raisons que leur idylle n'avait pas tenu. Au début, il l'écoutait, il la mettait en valeur, il modérait ses insatisfactions, mais peu à peu, il n'avait plus supporté ses exigences et ses lamentations. Elle attendait toujours plus, et ne serait jamais satisfaite.

- Chloé, si tu veux, on va faire un tour en ville. Il faut que je trouve des feuilles et des enveloppes de qualité, des timbres, un stylo plume, et des tampons encreurs. Je n'ai aperçu que les environs. On va se changer les idées, je te paierai un pot, OK ?

Elle accepte d'un maigre sourire. Elle revit leurs querelles il y a une dizaine d'années, quand ils partageaient un joli studio et qu'ils envisageaient même un bébé ou un mariage. Il écoutait ses projets sans y participer. Elle a mis du temps à comprendre qu'une vie de couple bien rangée le terrorisait. Il aspirait à une forme de gloire, de reconnaissance. A force de le connaître, elle le trouvait mégalo, prêt à tout, fasciné par les inconnus qui soudain font la une des journaux. Devenir quelqu'un, voilà, c'était son objectif, même son obsession. Pour des bonnes ou des mauvaises raisons, surtout des mauvaises, parce qu'il n'avait pas l'ambition de faire du bien.

Il a fait ses emplettes et elle a traîné dans les rayons de maquillage et de lingerie. Ils ont bu un panaché au Grand Café, ils ont peu parlé, et ils sont rentrés. Pour lui faire plaisir, et pour installer son projet sur des rails solides, il l'a embrassée et comme elle se laissait faire, il lui a fait l'amour sur un coin de canapé. Il en a tiré une forme d'énergie, d'appétit et il a mis la table.

Elle s'est sentie séduisante et respectée. Elle a apporté le pain et le pot de rillettes.

- Je reformule mon rôle et tu m'arrêtes si je me trompe, OK ?

- Bonne idée, ne néglige pas les détails, il faut qu'on ait tout prévu.

- Toi, tu me donnes un tableau avec une liste de numéros de téléphone. C'est des lignes fixes de la région que tu as déjà sélectionnées. Moi, j'appelle chaque numéro. Si ça me répond qu'il n'existe pas ou qu'il n'est plus attribué, je le raye. Si quelqu'un décroche, je me présente comme le secrétariat de Maître Édouard de la Tremblaye, en charge de la succession de la famille « Un Tel ». Je trouve le nom dans la deuxième colonne. Si l'interlocuteur ne connaît pas ou demande trop de détails, je dis que je verrai avec Maître de la Tremblaye et que je le rappellerai avec des précisions. Je mets OUI dans la colonne « prudent ». Si tout se passe normalement, j'indique qu'un contrat d'assurance vie avait été souscrit et que je dois vérifier les bénéficiaires. Je demande à l'interlocuteur d'épeler son nom, j'attends trois secondes, et j'annonce qu'il figure bien sur ma liste. Je note ce nom dans la colonne "bénéficiaire". Je le félicite et je demande quand je peux rappeler pour expliquer les modalités qui sont souvent complexes pour minimiser les frais fiscaux. Je note le prochain rendez-vous téléphonique dans la dernière colonne. J'ai tout bon ?

- Parfait, ma chérie ! Je t'embauche sur-le-champ ! On passe au deuxième appel, si tu veux ?

- Oui, d'accord, c'est plus subtil, je me sens moins à l'aise. Bon, je commence. Je choisis quelqu'un en fonction de la date que j'ai marquée dans la dernière colonne, et j'appelle dans le créneau horaire prévu. Je me présente et je dis bonjour avec le nom de bénéficiaire que j'ai noté. Je demande à la personne de prendre une feuille et d'écrire ce que je vais lui indiquer. Voilà : Pour les bonnes nouvelles, je vous confirme que vous faites partie des bénéficiaires désignés pour une somme estimée à 320 000 euros. J'attends trois secondes, et je poursuis. Il n'y a pas vraiment de mauvaises nouvelles, mais des démarches très importantes à respecter. Comme il est probable que nous ne puissions pas contacter tous les bénéficiaires, nous allons vous transmettre une clause de confidentialité à nous retourner signée avec la mention "lu et approuvé" en bas de page. J'insiste, il est de votre intérêt de toujours garder le secret sur la transaction. Si elle s'ébruitait, vous pourriez devoir en rembourser une partie, faire face à une contestation avec des frais de justice, affronter des reproches, et éventuellement nous dédommager également. Donc discrétion absolue ! Ensuite, vous devrez ouvrir un compte en Suisse. Étant frontalier, ce ne sera pas une difficulté pour vous, et la fiscalité est avantageuse. Vous déposerez sur ce compte un pourcentage du montant brut qui vous sera versé sous deux mois. Il s'agit des frais de notaire et des taxes. Ils ne s'élèvent qu'à 3%, ce qui fait 9 600 euros. Dès que le virement sera établi, vous devrez transférer les frais depuis votre compte vers celui du gestionnaire. N'ayez aucune inquiétude. Notre cabinet est spécialisé et reconnu pour son savoir-faire dans la gestion des successions complexes, dans un environnement international. Dans votre cas, il s'agit d'une situation simple et de montants modestes. Je vais également vous adresser tous les documents ainsi qu'un courrier clair qui vous rappellera la procédure à suivre. Je vous souhaite une très bonne journée et je vous rappellerai dans deux semaines à la même heure.

- Écoute, tu es crédible, aimable, sérieuse. Félicitations ! 

- Merci, Bruno. Tes compliments me vont droit au cœur. Je n'ai pas l'habitude. Je suis contente que tu sois revenu dans ma vie, tu me redonnes le sourire. Je suis épuisée, là. Je peux aller me coucher ?

- Évidemment ! Il faut que tu sois en pleine forme demain, on commencera pour de vrai !

Ils échangent un bisou et un regard complice. Bruno regarde Chloé se diriger vers sa chambre. Il doit encore préparer ses lettres et compléter son tableau. Il se prépare un café et se remet au travail. Il se contentera du canapé pour sommeiller un peu.

Elle se déshabille et s'enfonce sous les draps. Elle a toujours vécu seule depuis sa rupture avec Bruno. Elle a des moments de cafard quand la solitude est pesante mais elle aime aussi cette vie de liberté. Elle n'envisage pas une nouvelle cohabitation. Elle veut bien l'aider, créer une amitié, partager une relation libertine, mais pas plus. 

Quand le soleil envahit la maison, et qu'une porte s'ouvre, il ouvre un œil et aperçoit Chloé.

- Tu prends une douche, tu t'habilles et tu me rejoins ? Je fais le café, je te laisse nous trouver quelque chose à manger, et on s'y met ? questionne Bruno.

- Je suis d'accord avec le programme et j'ai faim ! Je vais arriver très vite !

Il allume machinalement la radio, puis sort les tasses. Des bribes d'informations lui parviennent et le stoppent dans son mouvement. 

"... procureur..., ... justice..., ... escroquerie..., ... Mulhouse...". 

Il s'interrompt pour mieux écouter. 

- Une plainte a été déposée hier à l'initiative des enfants d'une femme âgée, trompée par les promesses d'escrocs. Le stratagème consiste à rappeler le décès récent d'un proche, à annoncer un contrat d'assurance vie qui entre dans l'héritage, à gagner la confiance et à promettre une coquette somme à une personne crédule et fragile qui se laisse berner par un contexte faussement juridique. Bien sûr, tout ceci est une arnaque ! D'autres plaintes seraient en cours d'instruction. 

Bruno éteint rapidement la télé. Chloé va arriver, elle ne doit ni savoir ni s'inquiéter.

- Tu as bien dormi, ma douce ?

- Oh oui ! Comme un bébé ! Maintenant, je suis en pleine forme !

- Alors, on va pouvoir avancer vite ! Tant mieux ! Il faut que tu fasses un virement sur le compte en Suisse que tu as ouvert. N'attends pas, il y aura sûrement un délai pour que le solde apparaisse.

- Tu m'as déjà expliqué mais je n'ai pas bien compris pourquoi et combien je dois déposer.

- Ce sera plus crédible dans les échanges avec les bénéficiaires. On verse chacun 12 000 euros, pour afficher un solde confortable.

Elle le fixe avec un léger froncement de sourcils, il sent son regard insistant.

- Arrête de flipper ! C'est notre argent, on le récupérera ! Tu fais ça en premier, et ensuite, tu prépares les lettres à en-tête. On a assez cogité, on passe à l'action.

- Tu as mis où le matériel ?

- Tout est dans la commode sous la télé. Tu as un modèle, mais je te fais confiance pour faire un truc sérieux. Et pro !

- Bon, OK, alors je fais juste un chèque pour alimenter le compte en Suisse ?

- Non, fais un virement, c'est plus simple et plus rapide.

- Je prends une douche et je reviens. Tu as encore des questions ou tu as tout pigé ?

- C'est bon. T'inquiète pas.

Il emporte la radio dans la salle de bains. L'eau fraîche lui fait du bien, mais dans son cerveau, tout reste en ébullition. Si les journalistes sont au courant, c'est que l'enquête de police est en cours. Il avait déjà parlé de Chloé à ses potes quand ils cherchaient une voix féminine. Depuis, il s'est installé chez elle, il utilise son téléphone, il l'a laissée payer des achats avec sa carte bancaire. Lui, il n'a pas dû laisser d'indices mais elle, elle peut parler. Il s'est rasé, et a enfilé un polo blanc. Il laisse traîner son regard dans le miroir. Il ajoute un sourire et se trouve séduisant.

Une sirène de police retentit au carrefour. Il doit faire vite, décider, et partir. Chloé s'applique à recadrer des adresses sur un traitement de texte. Elle a donc effectué le virement. Il reste en chaussettes, passe sans bruit dans la cuisine, attrape un sac plastique, un couteau et une bouteille vide.

Il n'a pas réfléchi, il en est sûr. Il regarde, incrédule, la scène, son œuvre : un corps gisant sur le carrelage de la salle à manger, fracassé par une bouteille dont les morceaux se sont éparpillés dans toute la pièce. Il rassemble ses affaires, fourre l'ensemble dans sa valise, sort par le jardin, et casse une fenêtre pour faire croire à un cambriolage. Il s'enfuit par un chemin piétonnier et quand il se retourne, essoufflé, il aperçoit un gyrophare devant l'entrée de Chloé.

Il se souvient alors qu'il a oublié ses pantoufles sur le tapis de bains.





LE FAIT DIVERS :

ESCROQUERIE BELFORT : DE NOUVELLES VICTIMES DE L’ARNAQUE À L’ASSURANCE VIE


Les faux avocats et leurs arnaques à l’assurance vie n’en finissent pas de sévir dans le Territoire de Belfort. Hier, Martine, une habitante de Rougegoutte nous a contactés. Après le décès de sa mère, elle a été appelée par le faux Me Sougnac. Méfiante, Martine a enregistré la conversation. Une habitante de Sermamagny, Corinne, témoigne également. « Après Roland Sougnac, Alfred de Brocard, voici René de Cyves », explique Corinne. « Le même faux avocat qui tente le même type d’arnaque sur le même type de cibles depuis quelques mois. Mais l’escroc est toujours dans la nature ».

Jeudi dernier, nous avions dénoncé dans un article, cette escroquerie bien rodée qui avait visé un couple du Territoire de Belfort. Le lendemain, un autre Belfortain avait appelé, disant avoir vécu la même mésaventure. Le procédé est toujours le même : un parent décédé il y a quelques mois et une assurance vie dont il serait bénéficiaire et qui tombe du ciel. Avec une coquette somme d’argent à verser dans l’héritage. Plus de 300.000 € pour les Belfortains qui en ont été victimes.

La JIRS (Juridiction interrégionale spécialisée) de Nancy met en garde les particuliers sur son site internet. « Ces dernières semaines, des faits d’escroqueries en bande organisée ont été commis sur l’ensemble du territoire national. Les auteurs de cette escroquerie à grande échelle procèdent en plusieurs étapes ». Après le premier coup de fil en numéro masqué, l’escroc annonce qu’il faut ouvrir un compte en Suisse qui doit être abondé par la victime, sous prétexte de cotisations restant à acquitter rapidement pour bénéficier de l’ensemble des fonds promis. « À l’appui de leur démarchage téléphonique, les escrocs (constitués le plus souvent d’une femme chargée du rôle de secrétaire et d’un homme représentant l’avocat) adressent par courriel, de faux documents ou contrats à l’en-tête du cabinet d’avocats ainsi que de fausses factures. Les auteurs utilisent également de faux sites internet d’avocats aux noms fluctuants ou usurpés, tels que Marc de la Villardiaire, Charles de la Roche, Pierre Calvin, Gérald de Courcheville, Julien de Fréville, Charles Delcourt, Pierre Delaunay, Honoré & Caron ». La JIRS de Nancy invite les victimes à déposer plainte.

« Dès que j’ai dit au faux avocat que je souhaitais le rencontrer à Paris avec un avocat du barreau, je n’ai plus eu de ses nouvelles », conclut Corinne.

Si vous êtes victime d’un coup de fil similaire, restez sur vos gardes et ne transmettez aucun document personnel.

Isabelle PETITLAURENT


http://c.estrepublicain.fr/edition-belfort-hericourt-montbeliard/2016/02/17/belfort-de-nouvelles-victimes-de-l-arnaque-a-l-assurance-vie





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