L'épreuve finale

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Un corbeau croassa sur le toit de la tour. La pointe de ma plume crissa sur le parchemin rugueux de mon journal. On frappait à la porte, et mon maître d'arcane se hâta d'ouvrir. Il remercia, puis congédia le jeune coursier qui nous apportait le courrier, une lettre cachetée d’un sceau de cire pourpre. Le magicien vint à mon bureau, survola mes écrits d'un regard, et me la tendit, un sourire flottant aux commissures des lèvres. Il avait d’ores et déjà deviné la provenance et le message qu'elle nous apportait. Sentant l’excitation m’envahir, je m’étais empressée de l’ouvrir pour en commencer la lecture à haute voix.

« À l’attention de Ludyl du 5ème cercle, apprenti de maître Rygon du 3ème cercle, membre et gardien de la Tour des Trois Sœurs,

Nous vous informons que la requête de votre maître a bien été étudiée.
Les différentes compétences récemment validées aux examens de fin de cycle nous indiquent que les prérequis pour postuler à la 43ème édition de l’épreuve qui aura lieu peu avant la saison des moissons, à la fin juillet, sont bien acquis et validés par l’assemblée constituante de la ville d’Albar.

Le jour venu, chaque jeune homme devra représenter la tour et le district auquel il appartient. Il sera pleinement conscient et responsable des risques encourus lors des différents affrontements. Les examinateurs et archi-mages présents le jour de l’épreuve ne pourront, en aucun cas, être considérés comme responsables d’une blessure grave ou mortelle. Les catalyseurs et autres artefacts magiques sont strictement interdits.

Arégos, Archi-mage du 3ème cercle, Commandant de la Garde Pourpre »

— Arégos, avais-je répété, admirative.

J’étais officiellement acceptée en tant que candidate à l’examen d’entrée de l’académie de la citadelle. C’était la dernière étape. L’étape que tout maître, d’arme ou de magie, pouvait souhaiter à ses étudiants de passer : à ceux qui, comme moi, aspiraient déjà à atteindre d’une façon ou d’une autre les plus hautes sphères du pouvoir en place.

— Ludyl, parmi tous les apprentis de l'île, je crois bien que tu es une des premières elfes à atteindre ce stade, m’informa maître Rygon. Le plus dur reste à faire mais nous savons toi et moi que tu en es tout à fait capable.

Une main posée sur mon épaule, le vieil homme rajusta les verres de ses lunettes pour mieux voir une nouvelle fois les lignes serpentant sur le parchemin et poursuivit :

— Tu dois, en revanche, comprendre que beaucoup d’hommes là-bas auront du mal à accepter ta différence.

Et combien avait-il raison ! C’était ce que je redoutais le plus, peut-être même davantage que l’affrontement en lui-même.

— Je comprends, avais-je répondu, les candidats et examinateurs de ces épreuves n’ont pas pour habitude d’être confrontés à des elfes, et encore moins à des femmes.
— C’est exactement ça, Ludyl. Même si rien ne l’interdit clairement dans la réglementation, il n’est pas impossible que la participation d’une femme à ce genre d’événement provoque certaines réactions.

Fouillant dans l’étagère à la lueur de la torche fixée au mur, mon maître attrapa un de ses vieux grimoires pleins de poussière et me le tendit. Le livre s’intitulait « Sortilèges et maléfices de Trendis de la Tour de fer ».

— Pour les jours à venir, je veux que tu révises tout ce que tu as appris cette année. Tu devrais trouver l’essentiel là-dedans.

Je me suis donc astreinte, dans un premier temps, à revoir méthodiquement l’ensemble des incantations et enchantements abordés dans l’ouvrage. Cela comprenait tout aussi bien de simples sortilèges de protection et de guérison que de puissantes attaques aux formules écrites dans le langage runique des anciens elfes. Dès la fin de la première semaine, mon maître avait tenu à m’évaluer en testant la résistance de mes boucliers arcaniques. Étrangement, les exercices visant à mesurer la puissance de mes attaques - rayons destructeurs et autres boules de feu - sur les protections de mon maître, furent beaucoup plus douloureux.

— Tu dois apprendre à te concentrer si tu ne veux pas perdre l’usage de tes mains avant la vingtaine !

À ce moment-là, j'avais la paume de la main droite partiellement brûlée par les flammes. Je me rappelle m’être servie de celle de gauche pour faire apparaître de la pointe des doigts ces étranges serpentins d’eau régénérateurs aux lueurs bleuâtres. J’étais vraiment contente d’avoir trouvé et assimilé ce sort si particulier dans le chapitre sur les invocations. La semaine suivante, il m’imposa de faire des exercices physiques et des duels à l’arme blanche : notamment à l’épée, aux poignards et au bâton.

— Tu dois tenir Ludyl ! Le vainqueur sera celui qui tiendra le plus longtemps. L’endurance est capitale dans ce genre d’affrontements ! me répétait-il sans cesse en fracassant son arme contre mon bouclier.

Enfin, dans les derniers jours d’entraînements passés en sa compagnie, il me fit travailler la concentration, la perception de chacune des particules magiques présentes dans l’environnement.

— Retiens bien que les plus grands magiciens sont ceux qui ont cette étonnante capacité de repérer et d’absorber les énergies et particules non-visibles qui nous entourent et qui évoluent librement dans notre monde. Personne, à part peut-être Wildiven ne peut prétendre aujourd’hui se soustraire à cette règle et représenter l’excellence dans l’art de la magie.

C’est probablement le souvenir et le conseil le plus marquant que je garde du vieil homme.
Tant d’années se sont écoulés depuis. Je ne parviens toujours pas à retenir un sourire narquois en mesurant combien il avait raison et la fois tort en même temps.
Je pense que c’est ce qui m’a sauvée ; ce précepte a véritablement transformé mon essence dans les décennies qui ont suivies, me permettant de devenir celle que je suis aujourd’hui.

Au bout du compte, le jour de l’épreuve arriva, nous étions le 26 juillet 1533. Comme me l’avait finalement recommandé mon maître d’arcanes, je m’étais attaché les cheveux en chignon et portais un casque en cuir qui cachait mes oreilles d’elfes. Je ressemblais plus où moins aux jeunes étudiants qui participaient. J’étais prête à me battre.

Quittant avec moi les hauteurs de la Tour des Trois Sœurs, Maître Rygon m’accompagna à travers le quartier de l’île jusqu’à ce qu’on lui demande, alors que nous étions arrivés aux portes de la citadelle, de rejoindre le public venu assister à l’épreuve. Comme chaque année, l’assemblée de la forteresse avait fait installer dans la cours intérieur une multitude de gradins capables d’accueillir les quelques centaines d’habitants présents à l’événement.

Dans une des tentes prévues pour les candidats, deux des examinateurs vinrent à notre rencontre et nous rappelèrent les différentes règles à respecter.
J’étais ailleurs, pleinement concentrée sur l’étudiant qui avait été désigné pour se battre contre moi. C’était l’adversaire que je devais vaincre, Trygal, un des deux favoris de cette année.

— Je ne t’ai jamais vu ici, tu es nouveau ? m’avait-t-il lancé.
— C’est que je viens de la ville basse.

L’expression de mépris que lui et un de ses amis d’étude prirent me signifia que ce n’était peut-être pas le meilleur des mensonges de mon invention.

L’épreuve commença et, après chaque départ de la tente et fin de combats, nous pouvions entendre distinctement la foule au dehors rugir d’une seule voix, vociférant ses acclamations toujours plus fortes au fur et à mesure que les rounds passaient.

Enfin, peu avant le milieu de la journée, ce fut mon tour de sortir, armée du grand bâton en bois de chêne de mon maître. Je me souviens de la lumière aveuglante, de la clameur et de cette chaleur étourdissante qui régnait. Tout se passa assez vite après ça. Nous nous dirigeâmes au centre de la cours, au centre des attentions, et les examinateurs lancèrent le combat d’un regard entendu.

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