Chapitre 4

10 minutes de lecture

 Quand Jamal ben Ahmad Al Shamseni, roi de Shamsen, entra dans la chambre, une vision funèbre s'offrit à lui. Il y avait une femme à genoux par terre, le regard dans le vide, le visage marqué par les larmes qui semblaient s'être taries depuis longtemps. Ses longs cheveux noirs étaient tout emmêlés à force d'avoir été triturés. Elle portait une robe toute simple qui devait être originellement verte et était désormais rouge de sang. Dans ses bras reposait un homme égorgé, un poignard dans la main. Sa tête tombée sur le corps d'une femme, qui gisait sur le lit, son visage dirigé vers un nouveau-né. Tout le monde semblait mort. Excepté la survivante qui restait déconnectée de la réalité, complètement amorphe.

 Inquiet et curieux de savoir ce qu'il s'était passé, il questionna l'aubergiste, le pressant afin qu'il lui fournisse les réponses qu'il attendait. Quand l'histoire lui fut racontée, il ne mit pas longtemps à comprendre que l'homme s'était suicidé pour rejoindre sa famille. Il s'approcha du défunt, en prenant soin de ne pas marcher dans le sang qui imbibait le plancher de la chambre, et lui ferma les yeux. Il dégagea avec douceur la jeune femme qui ne réagissait toujours pas. Il tenta de lui parler, souhaitant obtenir une réaction de sa part, mais elle ne lui répondit pas, le regard continuellement vide.

 Il comprit qu'elle était en état de choc. Son esprit s'était déconnecté de la vision d'horreur qui l'entourait. Il la porta délicatement et ordonna qu'on s'occupe des corps dans la chambre afin que leurs funérailles puissent être organisées. Il envoya un messager contacter leur famille pour qu'elles soient mises au courant de la situation. Il descendit d'un bon pas les escaliers pour rejoindre la salle principale et se dirigea rapidement vers son carrosse où son valet l'attendait. Il lui ouvrit la porte et le roi s'installa confortablement sur les sièges de cuir rouge, la dernière de ses candidates toujours lovée contre lui.

 Il profita de ce moment de calme pour l'observer avec attention. Elle avait beaucoup changé depuis la dernière fois qu'il l'avait vue. L'enfant qui pleurait dans ses jardins avait disparu pour laisser place à une splendide jeune femme au cœur pur. Son corps s'était développé et des courbes délicates s'étaient formées. Elle était vraiment magnifique. Le contraste de sa peau de lait avec ses cheveux d'ébène et ses lèvres rouges et pleines, était saisissant. Il avait hâte qu'elle ouvre enfin les yeux, qu'il se souvenait sombres, bruns presque noir, pour qu'il puisse s'y perdre dedans.

 Cela ne l'avait étonné qu'à moitié quand il avait appris la raison de son retard. À vrai dire, le contraire aurait même été plus que surprenant. Mais quand il avait vu la nuit tomber sans qu'elle ne revienne, il avait décidé de partir à sa recherche, rongé par l'inquiétude.

 Même si les conditions de vie à la capitale avaient été grandement améliorées, notamment grâce aux efforts fournis par la jeune fille, on n'était jamais à l'abri d'une attaque de brigands, surtout à cette heure-ci. Il avait remonté la piste jusqu'à l'auberge, à l'aide des différents témoignages qu'il avait recueillis sur l'accident. Il s'était senti rassuré quand il avait compris qu'elle n'avait pas repris sa route.

 Mais son cœur n'avait fait qu'un bond quand il l'avait vue prostrée au milieu de cette chambre, entourée de tout ce sang. Un frisson d'horreur le parcourut et il s'assura à nouveau qu'elle ne soit pas blessée. Satisfait, il ordonna à son cocher de démarrer. Le chemin du retour se fit dans le silence, perturbé uniquement par le bruit des chevaux qui arpentaient encore la rue.

 Il se remémorait en boucle les différents témoignages qu'il avait entendus, tentant d'identifier l'auteur de tout ce drame. Au vu de l'heure et de la route empruntée, il n'y avait qu'une autre candidate qui pouvait être concernée. Il espérait sincèrement se tromper, car cela voulait dire qu'il allait au-devant de nombreux problèmes et il comptait sur l'ultime témoignage de la demoiselle endormie contre lui. Elle était intelligente et possédait les connaissances nécessaires pour être capable d'identifier la coupable, surtout si l'une de ses sélectionnées étaient bel et bien impliquées.

 Au fur et à mesure de leur avancée, le paysage se modifia pour devenir de plus en plus somptueux. Ses ancêtres avaient dépensé une immense fortune pour en mettre plein la vue aux éventuels visiteurs qui s'aventuraient sur le chemin du palais. Tout était fait pour témoigner de l'incommensurable richesse du royaume. Du moins, c'était le cas avant que son horrible père ne la dilapide dans sa totalité.

 Toutefois, la demeure de la famille royale restait majestueuse et luxueuse. Deux colonnes de marbre marquaient l'entrée. Une route menait jusqu'au pied d'un escalier en marbre lui aussi. Elle était bordée de plusieurs étendues de fleurs, séparées par de petites rigoles chargées d'amener l'eau nécessaire à leur développement. La voiture les transportant s'y arrêta juste en bas. Il en sortit, la jeune femme toujours inerte et apathique dans ses bras, et s'y engagea pour atteindre une grande porte en bois massif incrusté de pierres précieuses.

 On lui ouvrit et il pénétra dans l'enceinte du palais. Le hall d'entrée était très vaste. Des colonnes d'acier damasquinées de fils d'or, de cuivre, de bronze et d'argent représentant de somptueuses arabesques soutenaient le plafond et le sol était recouvert d'une mosaïque reproduisant un soleil géant, brillant de mille feux, l'emblème du pays. Il traversa le hall pour se diriger vers le sérail où étaient logées les différentes candidates.

 Des servantes lui ouvrirent la porte et il se trouva face à une cour à ciel ouvert où trônait un bassin alimenté par une fontaine. Il était tapissé d'une mosaïque représentant un paon aux multiples couleurs, l'emblème de la reine. Autour d'eux se trouvait un magnifique jardin où poussaient différentes variétés de fleurs dont le parfum embaumait l'air d'une délicieuse fragrance.

 Toutes les habitantes dormaient déjà, rendant l'endroit très calme, que seule une légère brise venait perturber. Le roi se dirigea vers la chambre de sa dernière prétendante. Les femmes qui l'avaient suivi lui ouvrirent la porte et il posa la nouvelle propriétaire des lieux par terre, la tenant fermement jusqu'à ce qu'il soit sûr qu'elle tienne solidement sur ses deux jambes.

 Elle était réveillée, mais son regard, perdu dans le vide, semblait sans vie. Il demanda à ses employées de s'occuper d'elle. Elles la conduisirent dans la salle de bain attenante et l'aidèrent à se déshabiller. Elles la guidèrent ensuite dans le bassin qui servait de baignoire pour l'aider à se laver. Pendant ce temps, il l'attendait allongé sur son lit, les bras croisés derrière la tête, les jambes nouées au niveau des chevilles.

 Leïla avait l'impression de rêver. Elle ne ressentait rien, ne réagissait à rien, elle se sentait déconnectée de la réalité. Elle ne savait pas qui elle était, ni où elle était. Elle ne se souvenait de rien, focalisée uniquement sur le moment présent, oubliant son passé et son avenir. Elle venait d'entrer dans un bain chaud, la sensation était agréable et ses muscles douloureux commencèrent à se détendre peu à peu.

 Des femmes habillées de tissus colorés et couvertes de la tête aux pieds, s'affairaient autour d'elle pour l'aider à se nettoyer. Elle se laissait faire, profitant de leurs soins pour se détendre complètement. Elle ferma les yeux et glissa dans cette douce torpeur. Elles commencèrent à lui laver sa chevelure et des murmures s'élevèrent autour d'elle.

 Curieuse de connaître la raison de leurs messes basses, elle rouvrit les yeux et vit du sang quitter ses cheveux et ses mains sales. Comme si c'était là la clé qu'attendait son esprit pour se remettre en marche, les événements de ces dernières heures lui revinrent en mémoire. Son pouls s'accéléra et sa respiration se fit plus courte. Elle hurla de toutes ses forces et prit sa tête dans ses deux mains, tirant sur ses cheveux, dans l'espoir de se purger de ce mauvais souvenir.

 Elle entendit une porte claquer et des pas se précipiter dans la salle de bain. Deux puissants bras l'immobilisèrent, quand elle tenta de se débattre, et sa tête se retrouva maintenue contre un torse ferme. Une voix d'homme, grave et puissante, qui provoqua des vibrations au niveau de son visage, ordonna aux servantes de partir, leur disant qu'il prenait la relève et qu'il était en mesure de gérer seul cette crise.

 Il tenta de la calmer, tant bien que mal, alors qu'elle hurlait encore et encore. Quand soudain deux yeux verts apparurent dans son champ de vision pendant que des mains se posaient fermement sur ses joues, dans une tentative d'immobilisation complète, captant ainsi toute son attention. Elle ancra son regard, hypnotisée par les iris verts qui se tenaient à sa hauteur. Des ordres percèrent la brume de son esprit :

 « Tout va bien, calmez-vous. Voilà, c'est bien, respirez maintenant, comme ça, c'est bien. »

 Il mimait ses consignes pour l'aider à les interpréter. Il la prit dans ses bras et elle vint nicher sa tête contre son épaule ferme. Elle continua de sangloter, hoquetant à chaque inspiration.

 « Je n'ai pas réussi à les sauver...

 — Je sais ... »

 Il la serra plus fort tout en continuant de la bercer.

 « Vous avez fait tout ce que vous avez pu. Maintenant, essayez de vous calmer. »

 Au bout d'un moment dans cette étreinte ferme et puissante, elle finit par retrouver son calme, bercée par les battements de son cœur, son odeur apaisante emplissant ses narines. Mais avec lui revint aussi sa capacité de raisonner. Elle tenta de se dégager et bafouilla, rouge de confusion.

 « Je ... Hum ... Je suis nue ?

 — En effet. »

 Il avait un sourire dans la voix et ses yeux pétillaient de malice. Il lui tint fermement le visage et l'observa attentivement.

 « Je vois que vous avez retrouvé tous vos esprits. »

 Elle se dégagea violemment et le repoussa fermement, ce qui la fit tomber dans l'eau, ses fesses heurtant douloureusement le sol. La colère lui montait au nez.

 « Vous m'avez vue nue !

 — Un très joli spectacle, je dois dire. Même si je n'ai pas eu le loisir d'en profiter autant qu'il m'aurait plu.

 — Comment osez-vous ? »

 Elle laissa exploser sa rage et sa frustration en frappant l'eau de ses poings.

 « Oui, magnifique vue, en effet ! »

 Son regard pétillait de malice et un immense sourire se dessina sur ses traits. Elle rougit de plus belle et se cacha tant bien que mal la poitrine à l'aide de ses membres supérieurs en repliant ses jambes sur elle-même. Elle était à bout et craqua devant lui, secouée par ses sanglots.

 « Allez-vous-en ! On ne se connaît même pas ! »

 Elle était fatiguée de cette horrible journée et vexée que l'inconnu devant elle se moque de sa pudeur. Il s'accroupit devant elle et la transperça de son regard malicieux.

 « Vraiment ? La dernière fois que je vous ai vue, vous pleuriez aussi, petite pleurnicheuse. »

 Elle fut choquée lorsqu'elle comprit que l'homme qui se tenait devant elle n'était autre que le roi de son pays.

 « Vous !? »

 Elle cligna plusieurs fois des paupières pour se remettre de sa stupeur. Quand ce fut fait, une bouffée de rage la saisit et sa voix claqua sec quand elle s'adressa à nouveau à lui.

 « Ce n'est pas parce que vous êtes le roi que vous pouvez vous croire tout permis ! 

 — Et bien ? Et bien ? Mademoiselle Khazar ! Ne faites pas tant de manières pour si peu, d'autres à votre place en auraient profité pour me faire du charme.

 — Ce n'est pas parce que les autres le feraient que je me dois de le faire aussi et que vous soyez le roi ou je ne sais quoi n'y changera rien. Que cela soit bien clair, Votre Altesse, votre statut ne change rien pour moi, je n'épouserai que l'homme que j'aimerai ! Et puis ... Et puis, il sera le seul que j'autoriserai à me voir nue. Alors si vous ne voulez pas finir noyé au fond de cette stupide piscine, je vous conseille de déguerpir et vite. »

 Le roi explosa de rire face à son commentaire.

 « Bien, mademoiselle Khazar, vos désirs sont des ordres. »

 Il se redressa de toute sa hauteur et son regard se fit plus sombre.

 « Je suis satisfait de constater que je ne m'étais pas trompé sur vous, vous ne ressemblez en rien aux autres femmes que j'ai eu le loisir de côtoyer. La suite promet d'être ... intéressante ! Puis-je au moins avoir un baiser de remerciement pour vous avoir sauvée de la noyade ?

 — Dehors ! »

 Elle lui hurla dessus en lui montrant la sortie du doigt, tentant vainement de cacher sa poitrine avec son autre main. Ce qui le fit rire, à nouveau, mais il lui obéit. Avant de sortir, il se retourna vers elle la mine grave, les sourcils froncés.

 « Je vous attends dans votre chambre, nous devons parler. Ne tardez pas trop ou je pourrais décider de venir vous chercher. »

 Sur ces dernières paroles, il lui fit un clin d'œil, ravie de la voir enrager. Il la trouvait tellement belle quand elle était hors d'elle. Il la préférait ainsi qu'avec les yeux baignés de larmes. La rougeur occasionnée lui gâtait le teint, lui donnant une mine épouvantable. Mais la vérité était qu'il détestait tout simplement la voir pleurer et ce sentiment le perturba plus qu'il ne le voulut, n'ayant pas l'habitude de ressentir cela.

 Quant à elle, ne sachant pas s'il disait cela pour se moquer ou parce qu'il était sérieux, elle se dépêcha de se laver, ne souhaitant pas qu'il mette sa menace à exécution.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Moonie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0