Le ventre d'une cochonne
Pigie avait tout avalé. Jusqu’au dernier atome de l’univers. Elle ballottait dans le néant, douloureusement ballonnée. Tout autour d’elle était gigantesque et minuscule à la fois au coeur de ce noir quasi absolu. Seul son estomac dégageait un peu de lumière par endroits. Des points lumineux qui traversaient sa peau épaisse, là où des galaxies remplies d’étoiles s’étaient regroupées.
Elle avait bien mangé. Mais trop. Beaucoup trop. Même son maître préféré. C’est d’ailleurs par lui qu’elle avait commencé son festin. Il lui manquait, avec sa fourche pointue et son chapeau de paille.
Pigie sentait que son estomac rencontrait de grandes difficultés à tout contenir. Elle avait décidément vraiment trop ingéré. Les soleils qui tapaient les uns contre les autres sonnaient telles des billes qui s’entrechoquaient par milliards la faisant éructer. Les vibrations émises par son ventre distendu ressemblaient à celles de tonnerres puissants, effrayant la pauvre cochonne dont les larges oreilles tressaillaient à chaque gargouillis. Tout était allé si vite. Elle avait tout gobé sans réfléchir, ne permettant à rien ni personne d'échapper à son appétit inassouvissable. Mais maintenant, elle le regrettait. Ses boyaux la torturaient et elle n’avait plus aucun être-vivant avec lequel jouer. Elle se laissa ainsi bercer en attendant que son métabolisme fasse le travail de digestion et que la douleur disparaisse enfin.
Malgré sa patience et ses efforts, les aliments en excès remontaient petit à petit le long de l’oesophage. Puis, soudainement, elle régurgita son repas dans le vide en plusieurs fois, formant des galettes multi-couleur informes. L'intégralité était ressorti un peu dans le désordre. Les molécules elles-même n’étaient plus assemblées tout à fait comme avant, formant un nouvel univers approximatif.
Les planètes biscornues baignaient dans un espace étrange, se familiarisant à leurs soleils mystérieux.
Les chanceux qui avaient échappés au broyage de l’intestin retrouvaient gaiement leurs maisons et leurs familles aux aspects invraisemblables, perplexes de découvrir leurs nouveaux visages. Dans la maisonnée de Pigie, le nez de la petite soeur s'était déplacé sur le front du grand-frère, la nuance du poil du chat s'était transformé en celle du chien et la tête du maître avait pris une forme de pomme. La fillette riait de bon coeur de ces transformations, pointant les deux nez de son frère du doigt mais son papa était furieux. Il disputa Pigie, honteuse de ce qu’elle avait fait. Les oreilles baissées et le groin contracté, elle lui promit de ne plus jamais le manger.
À moins d’avoir vraiment très, très, très, très faim.
Annotations