Chapitre 12

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Juste avant de quitter le couvert des arbres nous fîmes une pause. Vu notre rôle à venir, nous devions nous rendre présentables. Un petit ruisseau coulait non loin de là, pas de quoi se baigner, mais suffisant pour une toilette rapide. Mon dos encore trop faible m’obligea à me tenir à Meton pour rester debout. Malgré sa silhouette élancée, la pauvre Lassa n’était pas très grande. Elle dut monter sur un rocher pour renverser sur nous le seau d’eau destiné à nous rincer. Une fois sec, je pus revêtir une tenue correspondant à mon rang. Le pantalon ne posa aucun problème. Puis Meton m’aida à mettre en place le harnais, ajustant les sangles une ultime fois. Il inséra même des bandes d’étoffes aux endroits où elles me blessaient. Pour le haut, je ne me voyais pas passer une tunique. Lever les bras au-dessus de la tête s’avérait un tel supplice que j’en avais des sueurs froides. Malheureusement, je n’avais rien d’autre. Quelle ne fut pas ma surprise quand Meton me tendit une chemise ? Je reconnus une des siennes qu’il avait ajustée à ma taille. Avec son aide, je pus la revêtir. Ce fut douloureux, mais nettement en deçà de ce que je pouvais supporter. Je trouvais étrange quand même qu’après autant de temps ce fût encore sensible. Je savais que la blessure s’était infectée et que sans les baumes de Lassa, je serais morte. De plus, un plomb du fouet s’était cassé et les débris avaient commencé à m’empoisonner jusqu’à qu’elle les enlève. Mais j’en étais à me demander si elle n’avait pas oublié quelque chose.

Perdu dans mes réflexions, je boutonnais la chemise. Elle m’allait bien d’ailleurs, il ne s’était pas trompé en estimant mes mensurations. Par réflexe, je fis jouer mes épaules pour que le tissu se mît bien en place. Puis je m’effondrais en gémissant contre la silhouette de Meton. Je restais là, soutenue par ses mains pleines de sollicitude, le temps que les élancements de mon dos s’atténuassent. Puis il m’aida à rejoindre ma monture.

Pour l’arrivée en ville, nous devions nous comporter comme les deux enquêteurs dont nous interprétions le rôle. Il n’était pas question que je fisse preuve de faiblesse. Je remontais donc sur mon propre hofec et Meton sur le sien. Il prit Lassa en croupe et nous quittâmes la forêt pour nous mêler aux voyageurs qui allaient vers la ville. Ce harnais était fabuleux. Il me soutenait sans effort. En revanche, il limitait mes mouvements et m’imposait une attitude un peu raide, presque altière. En l’occurrence, elle convenait à nos besoins. Mais Meton et Lassa avaient raison. Si je voulais un jour me resservir de mon épée, je devrais apprendre à m’en passer.

Nous déposâmes Lassa à l’entrée de la ville. Meton lui donna quelques piécettes et une liste de course à acheter. Je n’avais pas fait attention, mais la jeune femme aussi s’était préparée. Elle avait remis son bracelet d’esclave. Quand je pense au mal qu’on avait eu, Meton et moi, à le lui enlever. En signifiant ainsi qu’elle appartenait à quelqu’un, elle se protégeait contre les éventuels gêneurs. Elle disparut dans la foule pendant que nous nous dirigions vers l’échoppe de notre vendeur.

En fait, ce fut rapide. Nous n’eûmes même pas à sortir le bobard habituel. Nous fûmes reçus par un commis qui, à partir de la date d’expédition à Erganel, sans même voir la gemme, put nous dire d’où elle venait. Quand je découvris que la marchandise lui avait été cédée par un marchand d’esclaves, je devins tout excitée. Nous touchions au but.

Staploss, ainsi que s’appelait notre nouvelle destination, se présentait comme un commerçant honnête gérant une boutique aussi respectable que les autres. Il nous fut donc facile d’accéder à lui. Il ne cachait même pas la nature de sa marchandise. Bien sûr, cette dernière ne pouvait pas être exposée dans la pièce où il nous reçut malgré sa dimension appréciable. En fait, son hall d’accueil était organisé tel un petit salon avec une table basse entourée de fauteuils confortables. Lui-même était installé à son bureau. Il lisait. D’où je me tenais, je ne pus voir ce qui retenait notre attention. En nous entendant entrer, il leva la tête.

— Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il.

Pendant tout le trajet, j’avais cherché une excuse à lui fournir. Je me doutais que le bobard que j’avais monté ne marcherait pas avec lui. Habitué à vendre des stoltzt, un enlèvement et une menace de représailles ne le feraient pas frémir. Il devait en recevoir douze fois par jour. Mais je n’arrivais pas à me concentrer. Comment l’aurais-je pu quand mon dos me rappelait à mon souvenir à chaque pas ? J’en avais fait part à Meton qui avait médité sur la question. J’espérais qu’il avait trouvé une solution.

— Nous sommes venus acheter des esclaves, répondit-il.

— Eh bien, vous avez frappé à la bonne porte.

Il se leva pour nous accueillir. Il ignorait ce que nous cherchions, mais même un seul lui rentabiliserait sa journée.

— Que vous faut-il ? demanda-t-il.

— Un peu de tout, répondit Meton. Mais surtout beaucoup.

— Beaucoup ? Combien ?

— Une bonne grosse centaine.

Je pus voir les rouages se mettre en branle dans son cerveau. Des montagnes d’or qui s’accumulaient dans son esprit.

— Je ne dispose pas d’une telle quantité, dit-il, avec l’hiver qui approche.

— Combien pouvez-vous en fournir ?

— Nous n’allons pas rester debout pour parler.

D’un geste du bras, il nous invita à prendre place sur un siège. Nous nous installâmes de façon à ce que chacun de nous pûmes surveiller une des deux portes de la salle. Staploss frappa dans ses mains. Aussitôt, une stoltzin entra. Une jeune femme très belle et très nue, à l’exception des bijoux qui la couvraient. Meton la suivit du regard, l’air intéressé. Pour ma part, j’étais offusqué. L’hiver approchait, avait dit ce monstre. Comment pouvait-il la laisser ainsi ? En plus pieds nus sur ce dallage froid, c’était inadmissible.

Staploss lui donna quelques ordres. Très simples, remarquais-je. Elle ne parlait pas la langue de son geôlier. Elle sortit. Avant qu’elle ait pu passer la porte, Meton lui adressa quelques paroles :

— N’aie pas peur, mon enfant, tu ne resteras pas longtemps dans cet endroit sordide.

Il avait utilisé l’helariamen. Le trafiquant ne l’avait pas compris. Et il n’obtint aucune réaction de l’esclave.

— Qu’avez-vous dit ? demanda-t-il.

— Je lui ai adressé un compliment à sa beauté.

— Il faudra que vous m’appreniez ces mots. Je m’intéresse à l’amour dans toutes les langues.

— Plus tard, peut-être, objecta Meton. Quand nous aurons traité notre affaire.

— Bien sûr. Mais, par ce temps, il serait préférable de procéder devant une boisson chaude.

Jusqu’à présent, je n’avais pas ouvert la bouche. J’allais répliquer. Mais Meton m’interrompit.

— Utilise exclusivement notre langue, m’enjoignit-il doucement, je traduirais. Et dis oui.

Sans saisir pourquoi, j’obéis. Il avait une idée derrière la tête. Le marchand d’esclaves avait suivi notre échange sans comprendre. Peut-être ne voulait-il pas qu’il sût que je comprenais.

— Je lui ai fait part de votre proposition d’une boisson chaude, expliqua-t-il.

— Ah !

Il m’adressa un sourire.

— N’est-ce pas un peu cruel de la laisser dans une telle nudité par ce froid ? remarquai-je. D’autant plus que votre bâtiment n’est pas chauffé.

Comme promis, Meton traduisit, ainsi que la réponse de cet individu.

— Ce n’est qu’une esclave. Et cela ne la tuera pas. Et croyez-moi, il est préférable pour elle d’être nue dans mon hall d’accueil qu’habillée chez certains des clients qui me les achètent.

C’était bien le reproche que je lui faisais. Qu’une esclave qu’il vendait pût se sentir mieux dans sa situation que ce qui l’attendait plus tard, cela le classait bien dans la catégorie monstre. Je me demandais comment Meton arrivait à garder son calme.

La jeune femme revint. Elle portait un plateau sur lequel étaient disposées plusieurs tasses et une théière. Elle la posa sur la table basse. Puis elle nous servit. Elle me passa la tasse. En me la tendant, elle me prit le poignet. Le regard qu’elle me lança me fit pitié. C’était un appel au secours. Elle était terrorisée. Elle répéta le même geste avec Meton. Puis elle alla se poster derrière son maître, attendant ses ordres.

Nous reprîmes nos négociations, moi parlant helariamen, le négrier sa propre langue et Meton traduisant chacune des phrases que nous prononcions. Cela rendait la discussion longue et empesée.

— Ainsi donc, vous désirez acheter plus d’une centaine d’esclaves, dit-il. Pourquoi une telle quantité ?

— Mon client a acquis un terrain sur la route qui part de Diacara et fait le tour de la mer intérieure. Il envisage d’y construire un relais pour les caravanes. Il a besoin d’ouvriers pour le bâtir et l’entretenir puis cultiver les champs et de personnel féminin pour servir et distraire les voyageurs.

— Il vous faut donc des travailleurs de force autant que des hétaïres.

— C’est cela.

— Pour les esclaves de plaisir, vous avez devant vous un échantillon de mon cheptel. J’en ai un peu moins d’une dizaine d’autres. Pour les travailleurs, je dois avoir une trentaine en stock.

« Cheptel, stock. » Heureusement que c’était Meton qui détenait mon épée. La tête de ce sombre individu roulerait déjà sur le sol.

— Ce sera un bon début, répondit-il, vos collègues pourront-ils fournir le reste.

Sauf que ce qu’il me traduisit était tout autre.

— Je serais curieux de savoir combien d’esclaves pourront prendre les armes et s’il y a des helariaseny parmi eux.

J’avais compris. Il avait utilisé ce stratagème pour que nous pussions échanger des informations sans que Staploss se doutât de quoi que ce soit.

— Si vous disposez des fonds nécessaires, je pourrais négocier auprès d’eux. Comment envisagez-vous de payer ?

— Mon client m’a accordé un crédit illimité. Je ne dispose pas de beaucoup d’or sur moi pour des raisons de sécurité. Mais je possède plusieurs lettres de change sur le compte de mon client pour un total de plus de vingt mille cels diacareal. Chèque que je pourrais déposer dès demain à une banque si vous préférez de l’or.

À ma grande surprise, il tira un carnet de coupures de la poche intérieure de sa veste. Mais où les avait-il trouvés ? Il le tendit au négrier qui en contrôla la conformité. La jeune esclave se pencha légèrement pour voir, mais elle reprit bien vite sa position d’attente. Je remarquais qu’elle s’était placée pour être dans la ligne de visée de mon collègue. Comptait-elle sur lui pour lui porter secours ?

Pendant que le marchand vérifiait les sceaux des lettres, il me traduisit, me faisant passer un autre message.

— Je n’ai pas l’intention de les payer, mais de les voler. Nous devons trouver un moyen d’armer les esclaves au cas où nous serions poursuivis.

Il était fou de dire cela. Cet individu ne comprenait pas l’helariamen. Mais il pouvait parler une langue proche comme le diacariamen ou l’ocarmen. Cela ne semblait pas être le cas, mais il pouvait lui aussi masquer ses connaissances réelles.

— Si nous examinions votre marchandise, proposa Meton.

— Les hommes sont gardés dans mon entrepôt en dehors de la ville. Mais les femmes sont ici. Je peux vous les montrer.

— Ce serait avec plaisir, répondit Meton.

Le négrier frappa dans ses mains. La porte s’ouvrit. C’est un homme qui entra. Ce dernier, armé, faisait certainement partie du service d’ordre de Staploss. Il lui donna quelques ordres. Quand le garde revint un moment plus tard, il était accompagné de sept femmes. Il les fit disposer en ligne le long du bureau. Leur beauté et leur condition variaient beaucoup. Deux d’entre elles, les plus belles, étaient nues, ne portant que quelques bijoux. Les autres étaient habillées. Mais de leurs vêtements ne restait parfois que quelques haillons. Et elles n’avaient pas accès à l’hygiène la plus élémentaire. Certaines étaient blessées, les entraves qu’elles avaient supportées pendant leur calvaire avaient laissé des traces qui ne s’étaient pas encore effacées. Et toutes étaient terrifiées.

Meton se leva pour les examiner, il jouait à la perfection le rôle du maquignon évaluant ses futurs achats. Le trafiquant, complètement aveuglé par sa bonne affaire, ne remarqua pas la douceur avec laquelle il les touchait. Mais elle si. À chacune il adressa un encouragement. Elles ne comprenaient pas, mais le ton leur redonna de l’espoir. À l’une d’elles, dont les haillons ne masquaient pas les mauvais traitements qu’elle avait subis, il prit la main et la regarda comme si c’était l’objet le plus passionnant du monde. Il la retourna constamment. Il cherchait à me dire quelque chose. Mais quoi ? C’est la voix de Muy, tapie au fond de mon crâne qui me mit sur la voie.

« Son poignet, me dit-elle, regarde son poignet. »

Je m’exécutais. Son poignet, qu’avait-il de si extraordinaire en dehors d’une cicatrice circulaire qui allait mettre du temps à guérir et …

Bon sang ! Le bracelet ! Elle portait un bracelet d’identité helarieal. Nous avions retrouvé une compatriote. Je remontais légèrement ma manche pour lui dévoiler discrètement le mien. Elle le remarqua. Aussitôt, son attitude changea. Elle se redressa, gonfla la poitrine. Un espoir insensé éclairait maintenant son regard. À son comportement, Meton comprit que nous nous étions reconnues. Il passa à la suivante. Je parcourus le groupe des yeux pour en chercher une autre. Deux. Elles étaient deux au total.

Meton se retourna.

— Nous pourrions négocier au cas par cas, dit-il, mais je pense que trois cent cinquante ocars pour l’ensemble représentent un bon prix.

— Trois cent cinquante ! Mais elles coûtent au moins le double.

— Si elles avaient été bien traitées, je ne dis pas. Mais là, elles ne paraissent pas très fringantes. Je vais devoir dépenser beaucoup pour le remettre en l’état. Celles-là (il désigna les trois belles) valent bien une centaine d’ocars chacune, mais les autres dix tout au plus.

— Un bon bain et elles redeviendront présentables. Je ne les lâche pas à moins de sept cents.

Il en retourna une et souleva sa tunique, révélant les lacérations de son dos. Elle était particulièrement belle d’ailleurs, mais son indiscipline avait dû lui valoir de se retrouver reléguée parmi les souillons.

— Ces marques mettront des douzains pour disparaître, constata Meton, et pendant ce temps, je ne pourrais pas l’utiliser. Elle ne rapportera rien. J’accepterai de payer quatre cents ocars, mais pas plus.

Meton était tellement entré dans son rôle qu’il manipulait l’esclave comme un objet. Mais elle s’y soumettait, presque avec joie aurait-on dit. Elle avait compris ce qui se jouait ici. Indocile, mais pas idiote.

Meton en exhiba une autre dont la tunique lacérée laissait apparaître ses côtes saillantes.

— Quatre cents, je ne peux pas, protesta le négrier, j’ai dû les payer à mon fournisseur. Et les nourrir depuis des mois. Je ne peux pas descendre à moins que cinq cents cels sinon j’y perds.

— Tu ne les as pas nourries beaucoup, si j’en juge par celle-là.

— Celle-là ne vaut pas grand-chose. Elle n’est pas belle, elle n’est pas forte. Elle me restera sur les bras. Je vous l’offre.

Donc tu la laisses mourir, pensais-je. J’étais maintenant sûre que si elle était encore vivante, c’était parce que les autres prisonnières lui offraient une partie de leurs rations.

— C’est d’accord pour cinq cents, conclut Meton.

À l’air matois de Staploss, je compris qu’il avait fait une bien meilleure affaire qu’il ne voulait nous le faire croire.

— Vous avez l’argent ? demanda-t-il.

Meton sortit un billet à ordre de sa poche.

— Vous avez les titres de propriété ? répliqua-t-il.

Le négrier se rendit à son bureau. D’un tiroir, il tira un dossier contenant une cinquantaine de pages environ. Il les tria et en sortit huit feuillets. Prévoyant, il avait préparé les documents pour une éventuelle vente. Ils étaient déjà remplis. Il ne restait plus qu’à les compléter avec le nom du nouveau propriétaire.

— À quel nom dois-je les mettre ? demanda-t-il.

— Meton, répondit-il.

Staploss prit une grande plume et la trempa dans l’encre. Il nota le nom sur les huit actes sur lequel il apposa sa signature. Puis il les passa à Meton. Ce dernier les lut avant de les parapher à son tour. Puis il posa le billet à ordre sur le bureau du négrier et il le valida. Ce dernier le prit et l’examina. Son visage rappelait celui d’un chat qui avait attrapé une souris. Il rangea son argent dans le tiroir qu’il ferma.

— Il est bon de faire affaire avec un homme honnête.

— Tout le plaisir est pour moi, répondit Meton.

— Dites-moi où vous logez, je vous les ferais conduire demain matin.

— Inutile, je les emmène avec moi.

— Vous êtes sûr, il fait un peu froid dehors, elles sont presque nues.

À sa réaction, je sus que l’une des trois belles stoltzint nues, pas celle qui nous avait accueillies, comprenait nos paroles. Et à son air, il était clair qu’elle traverserait un glacier dans cette tenue, tant qu’on l’éloignait de cet endroit.

D’un coffre, Stapplos sortit huit bracelets d’esclave en bois. Ils étaient vierges.

— C’est un cadeau de la maison. Avez-vous de quoi les identifier ?

Meton me fit signe. Mon sceau. Depuis l’enquête que j’avais menée dans ce village de la Diacara, Helaria m’avait doté d’un sceau officiel. Je le portais toujours sur moi, à mon majeur droit. Le négrier apporta la cire et une bougie allumée. Il plaça à toutes les esclaves un bracelet à la cheville. Puis Meton positionna une jambe sur un petit tabouret qui me permit d’apposer mon sceau – celui de la corporation en fait – sur le méplat prévu à cet effet. Les jeunes femmes se laissaient toucher sans protester. Mais après les sévices qu’elles avaient endurés, la douceur de Meton ne les laissait pas insensibles. Enfin, je croyais. Je n’en étais pas sûre. La dernière fois que j’avais été maltraitée, je ne supportais plus le moindre contact. Et j’avais été loin d’égaler ce qu’elles avaient subi.

Les certificats en poche, les esclaves derrière nous, le rendez-vous pris pour le lendemain, les ultimes politesses effectuées, nous pûmes enfin quitter cet endroit sordide. Dehors, nos montures nous attendaient. Meton fit grimper les cinq femmes les plus misérables sur leur dos, les trois belles étaient suffisamment valides pour marcher. Nous nous mîmes en route vers la sortie de la ville, les hofecy devant, Meton et moi en queue de convoi.

Une fois hors de la rue, nous pûmes reprendre notre discussion.

— Huit esclaves sauvées, remarquais-je, dont deux Helariaseny.

— Cinq, corrigea Meton.

— Cinq ! répétai-je sous la surprise.

La belle femme qui nous avait accueillis tourna la tête vers moi.

— Je suis une Helariasen, dit-elle.

— Moi aussi, ajouta une des deux autres marcheuses.
La troisième ne dit rien. Elle nous regarda, mais sans comprendre quoi que ce soit à la discussion autour d’elle.

— Comment as-tu su ? demandais-je.

— À sa réaction quand on a parlé en helariamen.

— Quand je vous ai touché, c’était pour vérifier la présence du bracelet d’identité, expliqua la première. Et aussi pour vous faire comprendre que j’avais deviné d’où vous veniez.

Et j’étais passée à côté de ça. Heureusement que Meton disposait de toute sa tête.

— Mais attend ! m’écriais-je, quand tu m’as fait ce cirque pour ces traductions foireuses, ce n’était pas pour me transmettre des messages.

— Non, ils s’adressaient à… à ?

— Dinlirsle, répondit-elle avant que Meton nous fit signe de nous taire.

Tu parles d’un nom prédestiné : « La belle était arrivée ». Tu m’étonnes que ce monstre l’ait gardée pour lui aussi longtemps. Il nous l’avait cédée pour cent ocars ; presque un an de ma solde de guerrier à l’époque où je voyageais avec les caravanes.

Confusément, je sentais qu’elle représentait la clef d’un malaise qui m’étreignait. Les pirates avaient emporté les hommes et laissé les femmes, considérant que la suite de la conquête se révélerait plus facile quand ils reviendraient. Je la détaillais davantage. Je ne la connaissais pas. Mais je pouvais affirmer sans peine qu’elle n’était pas originaire de Neiso. Avec un corps pareil, même moi je l’aurais remarquée. C’est ce qui me mit la puce à l’oreille.
J’examinais attentivement les huit femmes. Les haillons qui les couvraient à peine, voire l’absence de vêtements, me laissaient le champ libre pour les étudier. Je notais un point commun. Elles étaient toutes belles. Les trois que le négrier avait pris soin de dénuder étaient exceptionnelles. Mais les autres, si on les nettoyait, les remplumaient un peu pour reconstituer leurs rondeurs et qu’on les habillait proprement – ou qu’on les déshabillait au contraire – devaient être magnifiques aussi. Je compris soudain que les pirates avaient emmené avec eux les hommes, mais également les plus belles femmes. Helaria ne me l’avait pas dit, mais c’était inscrit en filigrane dans ses paroles. Ils avaient emporté Vespef à cause de sa beauté. Certes, elle était une femme superbe. Mais elle n’était pas la seule. Cette Dinlirsle pouvait largement se comparer à elle. Et toutes les huit en fait.

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