Chapitre 6 (4/4)

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La renarde me fixait avec malice et bienveillance. Son parfum ondula jusqu’à moi, une senteur douce de lavande, de vanille et de lys blanc. Une brume légère émanait de son corps et m’enveloppait de sa lumière blanche. Cette vapeur dansait autour de moi avec tendresse. Ça éveillait ma curiosité.

Qui était cette fille ?

— En même temps, ça t’arrive souvent d’aborder des inconnus pour leur demander de t’apprendre à danser ? rétorquai-je.

— Tout le temps.

Elle sourit malicieusement.

— C’est mon secret pour réussir une fête : aller parler à la personne la plus déprimée de la soirée.

— Je te donne l’impression de déprimer ?

— On se croirait à des funérailles.

Je ne pus retenir mon sourire.

— Oh non ! Ne souris pas trop, sinon je vais devoir changer de cible.

— Ce serait dommage.

— Et comment il s’appelle, l’homme grognon ?

Je ne répondis pas immédiatement. À vrai dire, je n’étais pas sûr de vouloir lui confier mon prénom. Mon père m’avait toujours répété de garder mes distances avec les humains. Et, de toute façon, je le faisais naturellement. Elle continuait de m’observer avec de grands yeux, dans l’attente d’une réponse.

— Maître Corbeau, répondis-je.

Oui, bon, ce n’était pas très original. Mais il fallait bien que je réponde quelque chose !

— Et moi, je suis Maître Renard. Je voulais te rendre ton fromage, mais j’ai bien peur de l’avoir englouti.

— Quoi ?

— La fable. C’est pas à ça, que tu faisais référence ?

— Oh, si.

Sans même m’en rendre compte, je tripotais nerveusement mon badge, ce qui attira le regard de La Renarde.

— T’es dans l’aile des super riches, toi, c’est ça ? demanda-t-elle.

— L’aile... des super riches ? répétai-je, sans comprendre où elle voulait en venir.

— Bah ouais, l’aile gauche ? Avec les bourgos !

— Quoi ?

— Les bourges, quoi !

— Je sais pas ce qu’on t’a raconté, mais je n’ai rien à voir avec ça.

Elle me fit un sourire en coin. De mon côté, je la détaillais en silence, intrigué par cette lueur qui dansait autour de nous.

— Pourquoi tu me fixes comme ça ?

Un air surpris déforma ses traits.

— Oh merde ! J’ai quelque chose entre les dents, c’est ça ? Je savais que je n’aurais pas dû manger une salade avant de venir !

Avec le bout de son ongle, elle grattait ses dents.

— Non, t’as rien du tout ! répondis-je, gêné. Je suis juste… pas très doué pour… sociabiliser.

— Non, jure.

Elle laissa échapper un rire.

— J’avais pas remarqué du tout.

La Renarde glissa vers moi. Je me sentis mal à l’aise. Son parfum envoûtant se faufila dans mes narines. La chaleur de la pièce se fit plus intense autour de nous. Mes sens étaient en éveil. Sa vapeur couvrait toutes les autres effluves, comme une douce caresse.

Elle se pencha en avant.

— Ça te dirait qu’on bouge de là ?

— Tu veux aller où ?

— Tu me fais confiance ?

Je la scrutai, un mélange de méfiance et de curiosité. Elle se pencha un peu plus vers moi. Un collier en forme de lune se dévoila, son or blanc brillait dans le feu des projecteurs. Lorsqu’elle releva son visage vers moi, sa bouche était entrouverte, ses lèvres esquissaient un léger sourire. Je prolongeai notre échange de regard. Un sentiment étrange s’insinua en moi. Comme c’était nouveau pour moi, je ne sus l’interpréter.

Puisqu’elle attendait toujours une réponse de ma part, et que, de toute façon, je ne risquai rien avec une humaine, je hochai simplement la tête.

Quand elle reçut mon approbation, elle attrapa fermement mon bras et m’entraîna avec elle. Je tenais toujours mon badge dans mon autre main, je le glissai alors dans ma poche.

Tandis que la musique s’évanouissait derrière nous, nous nous engouffrions dans les couloirs de mon aile. La Renarde avançait d’un pas maîtrisé. La pénombre nous accueillit. Je finis par me demander si nous avions la permission de fouler cette partie du campus.

Notre marche me semblait durer une éternité, quand elle s’arrêta enfin devant une porte en verre trempé. L’une de celles qui s’ouvrent avec un badge.

— Faut que je te montre quelque chose, dit-elle, une lueur dans les yeux.

— Tu es venue là pour me tuer ? lançai-je, un sourire moqueur aux lèvres.

Elle rit faussement coupable :

— Mince, t’as deviné mon plan diabolique.

Elle fouilla ses poches, ses gestes devenant plus nerveux.

— Merde… j’ai oublié mon badge.

— J’ai le mien, répliquai-je sans hésiter.

Elle mordilla sa lèvre, un air espiègle flottait dans ses yeux.

— Ça te gêne pas de l’utiliser ?

Je fis un léger mouvement d’épaule avant de m’avancer et de passer mon badge dans le lecteur. Le boîtier émit un bip. Je me figeai, prenant conscience de ce que je venais de faire. Le Grand Conseil allait savoir que je venais d’ouvrir cette porte, quoi qu’elle cache.

La Renarde se précipita à l’intérieur et me laissa sur le seuil. D’où j’étais, j’apercevais une pièce remplie de livres. Je finis par la suivre à l’intérieur et j’entendis le verre glisser sur le sol, se refermant derrière nous.

— Tu voulais me montrer quoi ?

Je l’observais faire. Elle bougeait dans tous les sens, attrapait des livres, les posait, les feuilletait avec frénésie.

— Je te dirai quand j’aurai trouvé, répondit-elle distraitement.

Les minutes s’étiraient, autant que mon impatience. Je la stoppais en l’attrapant par le bras. Elle eut un mouvement de recul et laissa échapper un livre d’entre ses mains.

— Tu te foutrais pas un peu de ma gueule ?

Un éclat de surprise traversa ses pupilles. Elle se reprit aussitôt. D’un mouvement souple, elle s’approcha de moi. Son corps effleurait le mien. Ses mains glissèrent derrière ma nuque. Elle me regardait avec des yeux de biche, une bouche en cœur. Son souffle chaud caressait ma peau.

Que faisait-elle ?

— Tu t’impatientes ? murmura-t-elle, sa voix basse et suave.

Un frisson glacé m’envahit.

Qu’est-ce qui lui prenait ?

Son parfum emplissait la pièce, titillant une nouvelle fois mes narines. Je secouais la tête pour m’en défaire. Je la repoussai brusquement. Je venais de comprendre ce qu’elle essayait de me faire croire.

— Me prends pas pour un idiot. T’es pas venue ici pour ça.

Son air séducteur toujours présent, elle se trémoussa. Je fronçai mes sourcils et croisai les bras. Elle croyait vraiment que j’étais aussi stupide pour succomber à sa mascarade ?

Ses yeux finirent par rouler et se lever vers le ciel.

— OK, t’as raison, je t’ai menti, souffla-t-elle.

— Pourquoi tu voulais venir ici ?

— Eh bien…

Elle mordilla l’intérieur de sa joue et lâcha un nouveau soupir.

— Ma mère est morte.

— Quand ?

— Y'a douze ans. Et je pense que tout ça... C’est lié à cette école. À cette aile secrète.

— Comment ça ?

Sa voix tremblait légèrement. Elle baissa les yeux, l’air coupable.

— Elle travaillait ici, dans l’aile gauche. C'était une des professeures. C’est là qu’elle a rencontré mon père, qui, lui, travaillait dans l’aile des bourgos.

— Faut vraiment que tu arrêtes de nous appeler comme ça.

— T’as vraiment l’impression que c’est le cœur du sujet ?

Je secouai la tête.

— Excuse-moi, je t’écoute.

— Mon père a toujours fait un mystère de cette école. Il n’a jamais rien voulu me dire. Mais dans mon fort intérieur, je sais que j’ai raison. Me demande pas pourquoi. Je le sais, c’est tout. J’ai passé ma vie à travailler pour venir ici et percer le mystère de sa mort. J’ai envie de comprendre. Le problème, c'est que mon fichu badge ne fonctionne pas de votre côté.

Avec rapidité, elle sortit le dit badge. Je levai les sourcils si haut que j’eus l’impression de sentir les nuages. Depuis le début, elle m’avait mené en bateau. Comme un bleu, je n'avais rien vu venir. J’étais partagé entre la colère et l’admiration.

— Je sais que dans ton aile, il y a une pièce avec des archives… Je pensais que c’était celle-ci. C'est une pièce pleine de couleurs et de tiroirs. Ça peut paraître fou, mais… j’ai l’impression qu’on m’a effacé la mémoire.

— Effacer ta mémoire ? répétai-je, un sourcil arqué.

Non, c'était impossible. Seuls les Empathes étaient capables de manipuler les souvenirs. Leur don leur permettait justement d’effacer ce que les humains pouvaient entrevoir de notre monde. Ça leur permettait également d’alléger leur souffrance. Comme des tisseurs, ils leur construisaient des souvenirs plus doux. Seulement, les Empathes n’avaient pas le droit de supprimer ou d’ajouter des souvenirs sans l’accord du Grand Conseil.

— Tu te drogues ? demandai-je, feignant l’inquiétude.

La Renarde eut un mouvement de recul et fronça les sourcils.

— Tu me prends pas au sérieux… Je vois.

Elle passa devant moi pour quitter la pièce. Au dernier moment, je la retins par le bras.

— Attends, excuse-moi… C’est juste que ton histoire est un peu… Loufoque.

Ses yeux se posèrent sur la main qui lui tenait le bras. Je la libérais.

— Je sais. Mais je suis pas folle mec. Y’avait des fioles avec des trucs dedans.

Dans un effort le plus total, j’essayais de ne pas réagir et de garder mon éternelle expression neutre.

La pièce dont elle parlait était “L’Âmularium”. C’est là qu’étaient stockées les âmes. Ce qu’elle cherchait sans le savoir était sûrement l’Âme de sa mère. Si elle avait ces informations, c'est qu’on avait forcément voulu lui faire oublier qu’elle était là, quelque part. Mais quand bien même elle réussissait à entrer dans l’Âmularium, elle ne pourrait jamais visionner l’Âme de sa mère. Et le destin avait voulu qu’elle demandât de l’aide à une personne qui le pouvait.

La Renarde ne se rendait pas compte qu’elle se mettait en danger à raconter son histoire à n’importe quel inconnu. Elle risquait la mort. Le Grand Conseil ne faisait pas de cadeau à toute personne mettant son monde en danger.

— Tu devrais pas raconter ça à tout le monde.

— C’est pas ce que je fais.

— Je suis sérieux.

— Moi aussi.

Je laissai échapper un soupir. Comment je pouvais la laisser circuler dans l’école en toute connaissance de cause ? Je devais la protéger. Car, c’était ça aussi notre rôle, non ?

— Que dirait ton père, s’il savait ce que tu fais ? fis-je.

— Rien, parce que personne ne lui dira. Protecteur comme il est, il débarquerait illico.

Je laissai échapper un rire.

— Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? lâcha-t-elle d’une voix grave.

— C’est « marrant », ça me fait penser au mien.

— Il veut te protéger de quoi ?

— Bonne question, puisque je peux pas…

— Peux pas quoi ?

— Je peux pas faire de connerie. Je suis trop sérieux. Sauf quand une jeune demoiselle vient prendre mon badge et indiquer à toute l’école que je suis entré dans cette salle à…

Je jetais un coup d’œil à mon Platphone.

— 21 heures 35. Ce n’est pas du tout suspect.

La Renarde se mordilla la joue.

— Je suis désolée.

Elle me fit un grand sourire.

— Sinon, moi, c'est Alice.

Nous échangeâmes un regard et je me demandai ce que je devais faire. Est-ce que je devais garder l’anonymat ? Mais quelque chose en elle m’intriguait. Je n’arrivais pas à saisir quoi. Alors je lui répondis :

— Mattheus.

— On devrait retourner à la fête.

J’acquiesçai et nous nous mîmes en marche.

— Au fait, pour mon… affaire, tu gardes ça pour toi, OK ?

— À qui veux-tu que j’en parle, au juste ? répliquais-je.

— J’sais pas. Et si jamais tu trouves la pièce dont je te parle… Enfin si tu veux m’aider…

— Je peux pas Alice. C’est pas de mon ressort. Je peux pas me mettre en danger. Tu comprends, mon père…

La tristesse se lisait dans ses yeux.

— Oui, pas de problème, je comprends. J’peux te donner mon numéro, au cas où ?

Sans réfléchir, je sortis mon Platphone et la laissai glisser le sien contre le mien. Une vibration nous annonça que les données étaient partagées avec succès.

— Matt, t’étais où ?

Célestin nous interrompit. Alice me lança un sourire timide avant de disparaître dans la foule.

— Nulle part, répondis-je.

Je remarquai Mirabella au milieu de la piste, dans un échange passionné de baisers, avec le barbu. Quand elle capta mon regard, elle vint nous rejoindre. Elle n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit qu’elle fut attirée par autre chose. Célestin et moi suivîmes la direction de son visage et tombâmes sur Vilenia et Melvin.

— Dispute de couple, vous pensez ? lâcha-t-elle, amère.

La discussion semblait animée entre eux. Vilenia faisait de grands gestes. Melvin la pointait d’un doigt accusateur. La musique était bien trop forte pour que l’on arrive à capter le moindre mot. Un voile d’inquiétude sembla traverser Melvin, si furtif que je me demandai si je ne l’avais pas imaginé.

— Vous croyez qu’elle va le baffer ? Rigola Mirabella.

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