Chapitre 28 ~ Idylle (4/4)

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Mes paupières étaient encore collées et peinèrent à s’ouvrir avec la lumière qui filtrait à travers les rideaux. Cette journée allait être horrible, je n’avais aucune envie de la vivre. Je tâtais la place vide d’Alice. Était-elle déjà partie ?

Je me frottais les yeux, et finis par l’apercevoir de dos. Elle portait encore mon sweat. Sa tête était penchée en avant. Je me redressai doucement, encore engourdi de sommeil. Quand elle prit conscience que j’étais réveillé, elle me lança un regard. Son visage s’illumina.

— Bien dormi ?

Je m’adossais contre le mur. Puis, d’un geste las, je l'attirai contre moi, pour renifler son odeur. Je déposai un baiser sur ses lèvres avec tendresse.

— Ça peut aller, et toi ?

— Très bien, même si mon petit ami a eu la drôle d’idée de m’entraîner à l’extérieur en pleine nuit.

Elle rit, le cœur léger. Dans cette insouciance que je n’avais pas. Elle ignorait tout de ce qui allait se jouer aujourd’hui.

Je m’étirais, faisant craquer mon dos. Puis je posais ma tête contre son épaule, emboîtant ma main dans la sienne.

— Au fait, c’est quoi cette liste ? demanda Alice.

Comme je ne comprenais pas de quoi elle parlait, elle me tendit la page contenant une liste de noms. Mon cerveau était encore engourdi, si bien que je ne prenais pas conscience de ce qu’elle me désignait. Je m’avançai pour lire ce qui était noté, avant d’écarquiller les yeux. À ce moment, j'étais réveillé.

— Je… Je voulais faire une fête… J’ai noté des gens que je souhaitais… inviter, mentis-je du mieux que je le pus.

— Mais la date que tu as notée est dans longtemps… T’es vachement organisé.

Elle me fit un bisou sur le bout du nez.

— T’es trop mignon. Pourquoi t’as pas noté tes amis ? Eux aussi, tu vas les inviter, non ?

D’un mouvement vif, je récupérai le Livre entre ses mains et le rangeai à la hâte dans le tiroir de ma table de chevet.

Elle a vu, elle a vu, elle a vu !

Ces mots résonnaient en écho dans mon esprit, tous mes sens étaient en éveil.

— Parce que c’est évident que je vais les inviter, j’ai pas besoin de les noter sur une liste.

Elle se tourna vers moi, s’allongeant contre mon torse. Puis, elle m’entoura de ses bras.

— Ah bon ? Pourtant, je suis ta copine et tu m’as inscrite sur la liste. C’est pas une évidence que tu vas m’inviter ?

Mes sourcils se froncèrent si fort qu’une douleur m’envahit. Comment ça, elle était sur la liste ? Je déglutis.

Dans un geste brusque, je plongeai sur ma table de chevet, renversant Alice au passage. Le poids de son corps émit un bruit lourd.

— Mais… lâcha-t-elle, surprise.

Avec maladresse, j’attrapai mon Livre, que je faillis faire voler à travers la pièce. Je m’empressai de l’ouvrir à la bonne page, parcourant la liste de noms.

Et là, je le vis. Son nom. De modestes lettres, qui toutefois représentaient tout pour moi. Tout en bas de ma liste se trouvait son nom complet en italique. Mon cerveau se débrancha quelques instants, si bien que je n’avais pas conscience du moment où j’avais lâché le Livre.

Non, non, non, NON ! Mais c’est pas possible ! Non !

Même si j'étais assis, je sentis un vertige me saisir avec violence. Je poussai la couette et me levai en titubant. Mes jambes soutenaient difficilement mon poids, si bien que je manquai de flancher. Mon Livre gisait sur le sol, mais je n’avais pas la force de le ramasser.

— Qu’est-ce qui se passe, Matt ?

Alice posa une main rassurante sur mon épaule. Je sentais son souffle dans mon cou.

Ce n’est pas possible !

— Me touche pas ! hurlai-je, encore sous le choc.

Je secouai la main comme on le ferait pour chasser une mouche importune.

— Qu’est-ce que…

— Dégage !

— Matt, j’comprends pas qu’est-ce…

— Dégage ! hurlai-je de plus belle.

Alice était figée de stupeur. Sa bouche s’était ouverte en même temps que ses yeux s'étaient écarquillés. Le temps semblait avoir arrêté d’avancer. J’eus l’impression d’être dans une âme, mettant sur pause un moment désagréable. Malheureusement, nous étions bien dans la réalité. Cette putain de réalité pourrie.

Les jambes d’Alice tremblaient. J’étais incapable de dire ou de faire quoi que ce soit, la laissant faire face à ses angoisses. Elle finit par se mettre en marche, toujours sous le choc. Elle trébucha, se rattrapant sur mon armoire. Quelques gouttes de sang perlaient sur sa paume.

Son regard fuyait le mien. Au bout de quelques secondes, elle saisit la poignée, hésitante. Puis, elle quitta la pièce. Ses pas résonnaient dans le couloir à mesure qu’elle s'éloignait. Mon crâne bourdonnait.

Son nom est sur la liste, merde, merde, merde ! C’est ma faute, quel pauvre con !

Je ramassai mon Livre et m’assis sur mon lit. La page était ouverte sur les noms. Je fixais un point imaginaire, comme une coquille vide. Depuis le début, j’avais agi en ne pensant qu’à moi, qu’à mes envies. Mes. Putains. D’envies. Je me sentais coupable. J’avais condamné la femme que j'aimais le plus au monde à un destin funeste. Quel genre de pourriture je suis, hein ?

Une des phrases de mon père résonnait en écho dans mon esprit, comme s’il venait me narguer : Ne te mêle pas aux humains.

Comment allais-je faire pour l’enlever de la liste, maintenant ? Quelle solution avais-je ? Hors de question que je récupère son âme. Hors de question qu’elle meure. Pas elle. C’était injuste. Elle n’avait pas à porter le poids de mes propres erreurs.

Je saisis mon visage entre mes mains. Une envie de hurler me brûlait la gorge. Les paroles d’Alice tournaient en boucle dans ma tête, comme une chanson amère.

Pourtant je suis ta copine, et tu m’as inscrite sur la liste. Pourtant je suis ta copine, et tu m’as inscrite sur la liste…

La ferme !

Impossible de faire taire cette voix qui se jouait de moi. Je n'étais qu’un misérable rat. Finalement, je méritais de mourir, de me faire arracher dans d’atroces souffrances. Je voulais disparaître.

Disparaître…

Je comprenais enfin ce que Madame Brindillovan entendait par sacrifice corporel. Ce ne fut qu’une fois seul, le vide dans mon cœur de retour, que je réussis pour la première fois à disparaître entièrement.

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