Chimères

Nous sommes au milieu du mois de novembre. Les jours pluvieux s'accumulent et le froid devient de plus en plus dense. Les nuits sont plus sombres également. Durant mon sommeil, les évènements qui se produisent dans mes rêves sont de plus en plus brutals. Un monstre sanguinaire surgit au milieu de nulle part, ne laissant aucune chance à ses victimes. Tout commence par un songe normal durant lequel je me promène dans les couloirs du lycée. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je ressens une terrible colère. Mon coeur est comme glacé, incapable de ressentir une autre émotion que la furreur. Je suis comme prisonnière de ces ressentiments qui s'accumulent depuis le début de mon adolescence. Personne ne semble comprendre qui je suis. Aucun de ces idiots ne connaît ma valeur et pourtant ils se permettent tous de me juger. Voilà ce que je pense tandis que j'avance sans but dans ces longs couloirs d'un blanc cassé. Je n'aime pas cet endroit. Tout semble sinistre. Aucune lumière ne semble suffisament puissante pour illuminer l'espace. Ou alors est-ce simplement moi qui suis ainsi ? D'après ce que ceux qu'on appelle les proches disent, je suis négative. Pessimiste. Je vois le mal partout. Je prends la mouche à chaque fois que l'on me dit quelque chose. En somme, je n'ai rien d'une adolescente épanouie. Je me demande ce que cela veut dire : être une adolescente épanouie. Comment pourrais-je rire alors que des milliers d'enfants meurent de faim dans le monde ? Comment pourrais-je me sentir confiante alors des milliers de femmes se font battre par leurs maris sous le regard indifférent de la société ? Il faudrait que je sois totalement aveugle, ou bien incapable de prendre conscience des éléments, pour me sentir heureuse alors que le monde part en vrille. Peut-être que si je pouvais simplement détourner les yeux, comme le font tous ces humains heureux, alors je pourrais être bien dans ma peau. L'hypocrisie régne sur la terre sans que personne n'ait conscience de ses pouvoirs maléfiques.

Dans mes rêves, le monstre apparaît toujours au moment où j'ouvre la porte de la salle de classe. Je ne le vois pas mais je sens sa présence derrière moi. Il est immense. Probablement qu'il me dépasse d'une trentaine de centimètres. Une puissante odeur malaisante émane de son corps. Un mélange de sueur et de putréfaction. La mort semble l'entourer de toute part. Dés qu'il apparaît, je sens ma colère s'accroître. Une rage s'empare de moi, incontrôlable. À cette violence dissimulée s'ajoute une angoisse insurmontable. Mon petit corps tout entier semble pris de spasmes. Je n'ose plus bouger, sentant la chose qui se tient derrière moi me frôler. Elle semble vouloir s'emparer de mon être pour le dévorer d'une simple bouchée. Je sais que je devrais fuir mais je reste plantée sur le seuil de la porte, incapable de faire le moindre mouvement. Dans la pièce, mes camarades me regardent inquiets. Ils semblent pousser des cris que je n'entends pas. Tout est plongé dans un silence morbide. La main de la bête affreuse se pose alors sur mon épaule, m'entraînant un peu plus dans les ténébres. J'essaie de me libérer de son emprise mais ses griffes s'empoignent alors à mon omoplate. Une douleur vive me transperce de toute part et l'odeur âcre du sang recouvre celle émanant du monstre. Je suis alors embarquée dans un tourbillon puissant dans lequel de nombreux objets étranges viennent se jeter contre moi. Lorsque je me réveille, je suis couverte de sueur. Mon coeur bat à tout rompre, faisant souffrir mes tympans.

Cette nuit, mon rêve était encore plus terrible. Ce n'est pas moi qui fut embarquer par le monstre mais la fille du dernier rang. Cette même fille qui m'a accusé de tricherie au dernier contrôle. Elle a été aspiré par ce tourbillon. Je n'étais alors plus une victime du monstre nocturne mais une spectatrice impuissante. Je l'ai vu se faire avaler par la machoire béante de la tornade provoquée par la bête. J'ai aperçu les énormes griffes de la chose s'enfoncer dans sa peau et l'arracher violemment. Son sang a alors coulé à flot tandis que je fixais son petit corps se faire projeter de part et d'autre de la salle. Étrangement, ma colère a commencé lentement à s'apaiser. Ma camarade de classe était entrain de se faire déchiquetée et moi, je me sentais soulagée. C'est assez étrange, les chimères finalement. Il n'y a que dans les rêves que l'on peut se laisser aller ainsi sans être considérée comme totalement dérangée. La nuit est un peu un défouloir. Elle nous permet de laisser sortir cette part sombre de nous, de la laisser s'exprimer. Personne ne la voit dans les ténébres du soir. Tant que cela ne reste qu'une image exagérée de nos désirs inavouables, ce n'est pas grave. Enfin, c'est ce que je me dis.

Seulement, que faire si nos chimères prennent vies ? Si nos désirs les plus terribles se réalisent sans même que l'on y prennent part ? Je me ne cesse de me poser la question depuis que je suis rentrée de l'école. Tout cela à cause des évènements étranges de la journée. Comme chaque lundi matin, je me suis rendue au cours de mathématiques. C'est la matière que j'aime le moins. Les chiffres me donnent le tournis et le prof est juste horrible. Je ne comprends rien à ce qu'il dit et je ne suis pas la seule. Comme à mon habitude, je me suis installée au fond de la salle. La table juste devant celle de la victime du monstre nocturne. Mais Marie n'est jamais arrivée. Elle a été notée absente alors qu'elle ne manquerait jamais une heure de classe. Marie est le genre de fille assidue qui essaie d'avoir les meilleurs notes pour pouvoir s'en vanter au monde entier. Un être que je qualifie d'insupportable. Une hypocrite, prête à jeter sa meilleure amie de la fenêtre pour obtenir un meilleur résultat. Alors pourquoi était-elle absente aujourd'hui ? Le jour même où j'ai rêvé de sa mort... La coïncidence n'a cessé de me travailler tout au long de la journée. Je n'ai assimilé aucun cours, tellement j'étais perturbée par son absence. Non pas qu'elle m'ait manqué, loin de là. À cause d'elle, j'ai eu le droit à des heures de colle, un zéro et une remontrance de ma mère. Enfin, si elle n'avait fait que cela. Depuis le début de l'année, je suis sa cible. Une proie facile, comme elle dit, vu que je ne parle quasiment pas. Finalement si elle était réellement morte, ai-je pensé, alors je serais tranquille. Je retrouverais la paix en quelque sorte.

Puis, en fin de journée, alors que nous étions sur le point de quitter le dernier cours de la journée, le proviseur est entré dans la salle. Généralement, il ne vient qu'en cas de problème. J'ai donc supposé que quelque chose s'était passée. Peut-être deux idiots se sont-ils battus violemment dans la cour de récréation ou à la cantine ? Non. Vu sa tête, c'est beaucoup plus grave. Après un long moment de silence, l'homme en costume a fini par nous annoncer que notre camarade avait disparu. Elle ne se serait pas lever pour aller en cours ce matin, et aucune trace d'elle n'a été trouvé dans sa chambre. L'adolescente aurait disparu dans la nuit... En entendant ces derniers mots, j'ai été prise d'une sueur froide. Tout ceci n'était qu'un simple rêve, non ? Aucun monstre n'a surgit derrière moi. Il n'y a pas eu de griffes acérées ni même de tourbillon déchaîné. Marie n'a pas été avalé par un vide inquiétant. Son corps déchiqueté n'a pas été rejeté par les boyaux de l'enfer. Tout ceci n'est qu'un simple songe. C'est ce que j'essaie de me répéter, en vain. Une partie de moi ne cesse de se demander : alors pourquoi Marie a-t-elle réellement disparu ? Où est-elle passée ? Que lui est-il arrivé ? Un mauvais pressentiment s'empare de moi, tandis que je m'apprête à regagner mon lit.

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Premier incidentChapitre2 messages | 3 ans

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