Il y en avait plein, ce jour-là : des gens, de la vie. La mort n'était pas à sa place, mais elle est venue jouer les trouble-fêtes.

J'aime parfois imaginer que concert, détente et amusement continuent, ailleurs, dans un partage anonyme et éternel. Cette petite parcelle d'épicurisme et d'amour du quotidien, cultivée en esprit jusqu'à l'extrême, j'en prends soin chaque jour, lui donne à boire, lui glisse des mots doux et bienveillants, observe avec tendresse sa force vitale s'épanouir.

Les victimes du treize novembre gardent cette place particulière et, à chaque fois que c'est possible, elles s'invitent à nouveau, ici-bas, pour prendre la place qui est à jamais leur : pour chaque rendez-vous entre amis, pour chaque ola, pour chaque café commandé en terrasse, pour chaque billet de concert offert, pour chaque sortie en solo, à deux et plus encore ; pour tous ces instants précieux, ces croquis intimistes de la grande œuvre du vivant. Précisément parce qu'ils nous appartiennent, à nous tous, et que c'est ce qu'ils ont voulu nous prendre.

La voilà, la belle contre-attaque : ramenons un peu de ce et de ceux que nous avons perdus, tous autant que nous sommes, pour le restant de nos jours. Il n'y a pas de temps à perdre, mais de bons moments à prendre et partager. L'urgence est de vivre la belle vie, la croquer à pleine dents, la faire perdurer pour que le souvenir de nos frères et soeurs, tombés le treize novembre, ne soit pas figé dans un silence de mort mais danse éternellement dans le sacre du sel de la vie.

Maintenant que je me souviens pleinement de ce qu'il y a derrière, permettez que je replace le verrou. Derrière le cliquetis métallique s'entend encore l'écho du treize novembre deux mille quinze : mourir un peu, vivre beaucoup et pleurer, de temps en temps.