9 février.

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Aujourd’hui, Alexandre est monté à bord de Bucéphale, notre fourgon. Contraint de se soumettre à son obligation de soins suite à sa condamnation pénale, mais n’ayant de ce fait plus de permis de conduire, nous l’avons donc emmené voir son docteur, à Draguignan. A vrai dire, la surveillance médicale est sur le point de s’achever pour Alexandre ; le temps des analyses sanguines est révolu, il s’agit là d’un dernier contrôle de routine, et c’est peu dire qu’Alexandre est content de ne plus avoir à s’infliger cette corvée mensuelle.

Comme c’est jour de fête, Alexandre se grille un gros cône rempli d’une herbe appelée CBD (cannabidiol dans le jargon scientifique). En vérité, c’est la fête un peu tous les jours puisqu’il en fume régulièrement depuis que le juge a décidé de le priver de drogue. A très faible teneur en THC, le CBD ne défonce pas son consommateur, il ne procure aucune sensation d’euphorie ; ce produit légal est tout juste apaisant, comme un pousse-à-la-détente, à l’image d’une infusion bien corsée de valériane. Les yeux soudainement submergés d’une sérénité retrouvée, Alexandre finit par balancer son joint d’une chiquenaude en direction de la grille de la clinique ; ça m’aurait défrisé dans d’autres circonstances, mais le geste a quelque chose de chic avec Alexandre, un je-ne-sais-quoi de révérencieux qui nous fait dire qu’il vient de déposer son offrande à la médecine.

Haris, au contraire, a choisi de suivre une logique inverse à celle d’Alexandre : il fume de vrais joints bien renflés par la quantité d’herbe ; une herbe qu’il aura préalablement mis au four afin d’augmenter, dit-il, le taux de THC. De la sorte, il se perche à de plus hautes altitudes. Dans sa jeunesse, Haris aurait pu devenir un hippie, mais il a renoncé par déficit de paix et d’amour autour de lui. Du reste, il garde une rancœur tenace à l’égard du mouvement des sixties ; il prétend que les hippies d’alors ont fait grand tort à la cause environnementale, qu’ils l’ont phagocyté, qu’ils l’ont discrédité par trop de drogues, qu’ils l’ont maladroitement déraciné du réel pour en faire un fantasme, une utopie fumeuse. La protection de la nature est une affaire sérieuse à ses yeux ; les hippies l’ont rendue clivante et sujette à moquerie. En se proclamant marginaux, ils ont fait de l’écologie un phénomène marginal. Conséquence malheureuse : la classe dominante a fini par réprimer les mœurs hippies, de façon fort stupide au demeurant, jetant la cause environnementale avec l’eau du bain.

Pourtant, les hippies n’étaient-ils pas le signe avant-coureur d’un monde allant à la dérive, semblables aux globules blancs qui s’animent déjà tandis que le corps n’est qu’aux prémices d’une maladie funeste ? La question mériterait d’être soumise aux médecins veillant au chevet de notre système.

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