7 avril (nuit), Olympie.

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Deux heures du matin, réveil en fanfare, nous sommes attaqués sur le flanc droit de Bucéphale. Un objet non-identifié vient de frapper notre fenêtre latérale. Je crois d’abord à l’utilisation d’un pied-de-biche, mais le même impact se répète ailleurs sur la carrosserie, avant qu’une véritable pluie ne s’abatte sur nous. Nous voilà rapidement poussant des cris désordonnés, vaguement protestataires, moins pour effrayer notre agresseur que parce que nous sommes réellement effrayés. Les chaussures enfilées, nous gardons le pyjama, passons sur-le-champ dans la cabine avant, Marie prend le volant des deux mains, je prends mon courage à deux mains, nous reculons sur les chapeaux de roue, puis nous découvrons pantois ce qui sert de projectile à l’assaillant : des oranges, une grosse dizaine d’oranges qui jonchent gravement le sol, écrabouillées par l’impact. Le panache nous manque à cet instant, nous ne pensons qu’à fuir très loin d’ici malgré le ridicule de la situation. Mais surprise, à la sortie du parking, deux scooters détalent en pétaradant vers le centre d’Olympie.

Contraints, nous prenons la même route et débarquons sur une place en première, en catimini. Silence absolu qui soulage et dérange. Problème : où peut-on se rendre à pareille heure ? Il n’est plus question de rester dans cette ville. Mais le silence a parlé trop vite et revoilà nos deux scooters enfourchés par quatre petites frappes. Alors que nous quittons fissa le centre-ville, nous constatons que les types nous poursuivent. Feu rouge qui passe au vert. Dans l’anonymat de la nuit, sans public et sans gradin, une épreuve olympique a débuté, rien moins que l’épreuve reine : une course de chars endiablée. Avec ses trois tonnes cinq, Bucéphale est bien lourd à tracter sur les mille premiers mètres, au regard du poids plume des scooters. Sur chacun de ces engins batailleurs, un conducteur et son lanceur d’agrumes, une espèce d’onagre qui nous bombarde à l’envi – paf ! En qualité de copilote, j’essaie de me faire catapulte à mon tour, mais notre cageot de légumes est inaccessible depuis les sièges avant. Je suis à deux doigts de me lever pour aller le chercher, je veux leur en faire voir de nos aubergines, mais Marie m’engueule, on va pas se mettre à leur niveau putain, sans compter qu’elle a grand besoin d’aide : elle ne sait où aller. De toute façon, nous avons déjà semé les scooters, Bucéphale a bien galopé. La foule endormie n’a pas daigné se déplacer pour acclamer notre triomphe. Médaille d’or au rabais, nous quittons la ville avec armes et bagages et nous enfonçons dans la nuit d’un noir d’encre (où sont les lampadaires et les étoiles ?). Nous nous garons dans le premier village rencontré, sur une place à côté d’un primeur – encore des oranges en vitrine. Semblant d’asile, refuge à peu de frais, cela fera l’affaire pour la nuit. Mais sur ces entrefaites, effondrement soudain du pic d’adrénaline, la peur remontre sa gueule irritante, obsédante. Les chiens crèvent le silence en aboyant d’une façon glaçante, ils se répondent, ils se relaient de place en place ; à leur manière, ils se font le criard écho de nos agresseurs. La nuit ne sera dès lors qu’un sombre étouffoir, elle sera même très courte pour Marie qui pense entendre à tout bout de champ le bruit pétaradant des scooters, le hurlement des moteurs trafiqués. S’enfoncer des bouchons d’oreilles est pire : on ne sait pas ce qui vient. Je sors pisser vers trois heures du matin. Parfum d’une orange amère qui colle à la peau du fourgon. Je secoue mon machin, remballe le tout, jette un coup d’œil aux alentours, me prépare à faire un très sérieux rapport à Marie – RAS – et je sens poindre un grand sourire impossible à réprimer, ça va d’une oreille jusqu’à l’autre, un vrai quartier de lune au milieu de la nuit… Les mésaventures ont-elles un si bon goût dans la bouche des autres voyageurs ? Je rentre à l’intérieur, fais mon rapport et me rallonge en chien de fusil, tout contre Marie, il est maintenant grand temps de ne pas dormir.

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